Territoire d'actions collectives
Au Pays basque et en Béarn, un réseau d’acteurs et d’actrices engagéEs à défendre l’intérêt général se fédère face aux difficultés d’accès au foncier et au logement. Ensemble, ils et elles expérimentent pour rétablir une forme d’équilibre et ménager le territoire à partir de l’existant.
Des acteurs et actrices engagéEs sur le territoire
- Département des Pyrénées-Atlantiques : À l’origine de la démarche Fenics (Filière économique nouvelle pour l’innovation dans la construction et le social) qui accompagne des communes rurales de son territoire sur la revalorisation de leur centre-bourg et la réversibilité du bâti existant, en associant habitantEs, éluEs et technicienNEs aux réflexions. Aux côtés de l’EPFL Pays basque et Soliha Pays basque, il participe aussi à déployer le dispositif du viager solidaire.
- EPFL Pays basque : Outil au service des 158 communes de la Communauté d’agglomération du Pays basque, il les accompagne dans la mise en place d’une stratégie foncière (constitution de réserves foncières ou réalisation d’opérations d’aménagement). Récemment agréé organisme de foncier solidaire (OFS), l’EPFL Pays Basque peut réaliser des opérations en accession sociale à la propriété par l’intermédiaire du bail réel solidaire (BRS), qu’il mobilise autant en territoire tendu qu’en territoire détendu où il privilégie la réhabilitation du patrimoine existant.
- Association Renouveau Paysan : L’association accompagne les collectivités et les bailleurs sociaux dans l’acquisition et la réhabilitation de fermes en logements sociaux paysans pour faciliter l’installation agricole des jeunes agriculteurs et agricultrices. L’association porte l’expérimentation d’un bail social paysan, contrat locatif qui permettrait de lier logement, terres et espaces de travail.
- Collectif Encore : Les architectes et paysagistes de l’agence s’appuient sur l’existant pour réaliser des réhabilitations qualitatives et sur-mesure, avec sobriété et pragmatisme, qui restent dans des budgets serrés habituellement difficiles à obtenir. Le collectif s’entoure d’artisanEs du bâtiment engagéEs dans la préservation du patrimoine local et la valorisation des matériaux et des savoir-faire vernaculaires, notamment Jean-Jacques Etcheberry, maçon spécialisé dans les enduits chaux-chanvre, et Dominique Ducasse, artisan maçon.
Quelques dispositifs et montages mobilisés
- Organisme de foncier solidaire (OFS) : Les OFS sont des structures à but non lucratif dont la mission est de gérer des terrains ou des biens immobiliers pour réaliser des logements destinés à des personnes aux ressources modestes, dans le cadre d’une accession sociale à la propriété notamment et par l’intermédiaire du bail réel solidaire (BRS), et des équipements collectifs. 123 OFS sont agréés en France en avril 2023, dont 23 en Nouvelle-Aquitaine.
- Bail réel solidaire (BRS) : Contrat permettant à un OFS de distinguer le foncier (dont il reste propriétaire) du bâti dont il cède des droits réels à des ménages modestes qui peuvent ainsi accéder à un logement en-dessous des prix du marché.
- Viager solidaire : Mis en place par l’EPFL Pays basque qui achète le bien en viager à des personnes âgées, le principe est de favoriser le maintien à domicile en leur apportant une aide matérielle et financière. Au terme du viager, lors du décès des propriétaires, le logement peut être proposé à de jeunes ménages par une accession via un BRS.
Quelques opérations emblématiques
- Château Daguerre – Tardets-Sorholus : Réhabilitation du château Daguerre, ancienne école et mairie du village, en logements.
- Friche Remazeilles – Oloron-Sainte-Marie : Réhabilitation d’une friche vacante en questionnant la programmation du lieu par l’implication habitante.
- Ancienne minoterie – Navarrenx : Initiative privée de réhabilitation d’une ancienne minoterie du XIXe siècle en logements sociaux participatifs, tiers-lieu et espaces communs par un couple d’habitantEs. Le couple, via la SCI Bailko, passe par l’intermédiation sociale pour financer la réhabilitation du bâtiment en logements sociaux.
2005 : Création de l’Établissement Public Foncier Local (EPFL) du Pays basque à l’initiative des éluEs de la Communauté d’agglomération du Pays basque
2014 : Création des Organismes de Foncier Solidaire (OFS), structures favorisant l’accession sociale à la propriété, avec la loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR). Seuls les organismes à but non lucratif peuvent recevoir l’agrément pour exercer l’activité d’OFS
2015 : Création du Bail Réel Solidaire (BRS), bail de longue durée spécifique aux OFS, avec la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
2016 : Pour maintenir une dynamique agricole en Pays basque et faciliter l’accès à la terre aux jeunes agriculteurs et agricultrices, l’association Renouveau Paysan s’est créée et porte l’expérimentation d’un bail social paysan
2016 – 2019 : À la suite de l’étude réalisée dans le cadre de la démarche FENICS (Filière économique nouvelle pour l’innovation dans la construction et le social) lancée par le Département à Tardets-Sorholus, l’EPFL accompagne la commune et ses habitantEs dans la réhabilitation du château Daguerre en logements
2019 : Suite à l’élargissement permis par la loi pour l’Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (ELAN), l’EPFL Pays basque est agréé OFS, c’est la création de Bizitegia. Via Bizitegia, il propose un montage en BRS pour la réhabilitation du château Daguerre à Tardets-Sorholus, porté avec le bailleur social Soliha, la commune et le collectif d’architecture Encore. Le montage permet aux futurs ménages d’acheter ou de louer un logement à un coût abordable et à la commune de voir s’installer de nouveaux et nouvelles habitantEs
2020 : Le Comité ouvrier du logement (COL), bailleur social en Pays basque agréé OFS, réalise la première opération de logements en BRS en France, à Espelette
2021 : À travers Bizitegia, l’EPFL Pays basque signe son premier BRS à Banca
Février 2023 : Création du bail réel solidaire d’activité (BRSA), bail de location ou d’accession à la propriété de locaux à usage professionnel ou commercial
Juillet 2023 : Le Département, l’EPFL et Soliha Pays Basque signent une convention pour déployer le dispositif du viager solidaire « Lokarri » sur le territoire
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- 1. Un contexte dégradé et des éluEs aux marges de manœuvre réduites
- 2. Une volonté politique commune pour un territoire d’actions collectives
- 3. Expérimenter dans les montages et les processus architecturaux, une nécessité pour sortir de l’impasse
- L’EPFL du Pays basque, d’outil à acteur de l’aménagement
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- Créés avec la Loi pour un Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR), les OFS sont inspirés du modèle des Community Land Trusts (CTL) nord-américains qui pensent le foncier comme un bien commun géré de manière désintéressée par un collectif d’habitantEs. Développés dans les années 1970 aux États-Unis, cette démarche repose sur une approche non marchande du foncier, qui a pour objectif de favoriser l’accession à la propriété des personnes aux revenus modestes en dissociant la propriété du bâti de celle du terrain. Ainsi, les ménages sont propriétaires du logement mais sont locataires du foncier qui est détenu collectivement par les administrateurs et administratrices éluEs du CLT.
- Afin de maîtriser le coût de sortie des logements et d'assurer une valeur en dessous des prix du marché, le CLT mobilise des subventions publiques qui permettent de neutraliser le coût d’acquisition du sol et une partie du coût de construction. Le bail conclu intègre une clause anti-spéculative que les accédantEs s'engagent à respecter lorsqu’ils ou elles revendent leur bien pour permettre aux futures générations de ménages de bénéficier elles aussi de logements abordables. Le CLT étant propriétaire « à vie » du foncier, il est le garant de la régulation des prix immobiliers et de la sécurisation de l’accès à la propriété. Le contexte de création récente des OFS, et donc d’une politique publique en construction, permet à l’EPFL de disposer d’une souplesse d’adaptation utile à l’expérimentation de montages en BRS. La multiplication rapide des OFS (sur le territoire basque, deux établissements étaient agréés OFS en 2020, aujourd’hui il en existe une quinzaine pouvant potentiellement intervenir) va conduire l’État à encadrer les pratiques et les interventions des structures qui se sont constituées OFS, au risque de standardiser les réponses aujourd’hui contextualisées.
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- La réhabilitation du château Daguerre à Tardets-Sorholus : BRS et bail à réhabilitation
- Faire mieux avec moins, l’approche pragmatique du collectif Encore
- Faire école, faire filière
- L’EPFL du Pays basque, d’outil à acteur de l’aménagement
- Conclusion
Ménager le terrain
Rédaction l’École du terrain, septembre 2023
Entretiens avec Kathleen Boquet (Renouveau Paysan), Anna Chavepayre et le collectif Encore, Natacha Crampé (Ville d’Oloron Sainte-Marie), Dominique Ducasse (artisan maçon), Benoit Dupey (département des Pyrénées-Atlantiques), Jean-Jacques Etcheberry (artisan maçon), Yannick Fieux (EPFL du Pays Basque), Edith Inès (Ville de Tardets-Sorholus), Maïté Pitrau (maire de Tardets-Sorholus), Delphine Saint-Quentin (SCI Bailko), Thomas Zellner (agglomération Pau-Béarn-Pyrénées)
« J’achète un hôtel rue de la Paix ! » marque la consécration du joueur ou de la joueuse de Monopoly qui, comme le prévoient les règles du jeu, se livre à la spéculation foncière et immobilière pour mettre en défaut ses adversaires. En réalité, le Monopoly tire son origine d’un jeu bien plus ancien1 dont l’objectif était, au contraire, de dénoncer la propriété privée et les inégalités socio-économiques – notamment, la difficulté des plus modestes à se loger - engendrées par l’appropriation des terres et le système de rente qui l’accompagne.
Au Pays basque, la pression foncière contre laquelle agit l’Établissement public foncier local (EPFL) aux côtés des collectivités territoriales, d’architectes et d’artisanEs locaux, ou encore de la société civile, n’a rien d’un jeu. D’année en année, la frénésie foncière et immobilière entraîne une augmentation inexorable de cette pression, en particulier sur le littoral, contraignant les jeunes ménages à migrer vers l’arrière pays où l’offre de logements existants est faible, inadaptée à leurs besoins et parfois éloignée des bassins d’emploi.
Si les problématiques en matière de foncier et d’habitat se posent de manière différente entre le littoral et l’intérieur du Pays basque, elles se conjuguent pourtant et offrent un tableau contrasté des difficultés d’accès au foncier et au logement. Elles achoppent aussi sur une décorrélation entre le temps politique et celui de l’aménagement du territoire alors même que la construction de nouveaux logements adaptés se heurte à la volonté - mais aussi et surtout à l’obligation - de préserver autant que possible les terres non bâties. Ces problématiques incitent les actrices et acteurs locaux de la fabrique de la ville, par nécessité mais aussi par conviction, à réinvestir des bâtiments vacants vernaculaires. Mais, dans un contexte où construire du neuf semble plus simple et moins coûteux, privilégier la réhabilitation relève presque du défi.
Dès lors, quels leviers activer pour permettre à toutes et tous de se loger tout en ménageant le territoire ? Comment sortir de cet effet de cisaillement ? Comment en d’autres mots, favoriser l’habitabilité du territoire en mobilisant toute la chaîne de production du logement ? Comment sortir de ce modèle de consommation foncière et de production de logement pour développer un autre modèle économique et de propriété ? Comment engendrer de nouvelles filières en matière de construction et de réhabilitation sur le territoire ? Comment faire école de la richesse des expérimentations progressives et des initiatives singulières qui se déploient aux quatre coins du Pays basque ?
Très forte en Pays basque, la culture identitaire permet de rassembler un réseau d’acteurs et d’actrices engagéEs - institutionnelLEs, issuEs de la société civile ou du secteur privé - qui assure une forme de permanence territoriale. Tous et toutes se lient et expérimentent des manières de faire pour rétablir une forme d’équilibre, ménager le territoire à partir de l’existant, dans une optique de développement économique local, en emportant avec elles et eux, les habitantEs du territoire. Ces alliances participent ainsi à redéfinir, pour chacunE à son échelle, les contours de l’action publique et de la fabrique de la ville. ChacunE interroge sa manière de travailler et laisse place à d’autres pour se départir des compétences dont il ou elle est ou était souverainE avec le souci de l’intérêt général : « Le maire n’est plus uniquement le client, l’architecte n’est plus uniquement l’exécutant, l’habitant n’est plus uniquement l’usager et l’entreprise n’est plus uniquement exécutante », comme le résume Thomas Zellner, Directeur Habitat et Rénovation urbaine au sein de la communauté d'agglomération Pau Béarn Pyrénées.
Parmi ces acteurs et actrices engagéEs à défendre l’intérêt général, l’EPFL a saisi la question de l’habitabilité du territoire à bras le corps. Conforté par une volonté politique forte au niveau local, il anticipe et accompagne la mise en œuvre de la commande publique, propose de nouveaux montages, adapte ceux prévus pour les territoires tendus aux communes rurales et contourne les outils existants pour ajuster ses moyens d’intervention aux besoins locaux qui ne trouvent pas de réponse.
S’inscrivant dans des politiques publiques locales volontaristes (par exemple le programme de revitalisation des centres-bourgs ruraux lancé par le département), il intervient dans les communes rurales du Pays basque intérieur pour proposer des projets de réhabilitation qualitatifs mais toujours abordables, en s’associant aux expertises d'architectes, opérateurs, bailleurs et entrepreneurs du bâtiment, particulièrement Anna Chavepayre, architecte associée du collectif Encore implanté dans le Béarn depuis une dizaine d’années. Grâce à une intervention toujours très en amont du projet, elle fait intervenir économie de projet et bon sens face aux situations rencontrées, en faisant de la contrainte le moteur de toute intervention. Dans une démarche vernaculaire, désireuse de construire des projets qualitatifs avec un petit budget tout en s’appuyant sur la richesse de ce qui existe déjà, elle réalise des interventions sur mesure « en mettant l’argent au bon endroit ».
Habitant du territoire, le collectif d’architectes Encore a fédéré autour de lui un réseau d’artisans du bâtiment engagés dans la préservation du patrimoine local et sensibles à la démarche sobre et pragmatique du collectif, valorisant elles et eux-mêmes les matériaux et les savoir-faire vernaculaires. Et de là, l’idée de faire grandir cet engagement, de valoriser les richesses nées de ces expérimentations, de partager cette vision du territoire, et ensemble de faire filière et faire école.
1. Un contexte dégradé et des éluEs aux marges de manœuvre réduites
Un contexte tendu et une habitabilité dégradée
« Ce n’est pas surprenant mais très inquiétant ». Ce qui alarme le maire de Ciboure, bourgade voisine de Saint-Jean-de-Luz sur la côte basque, c’est, chaque année, l’exode d’un habitant sur dix de sa commune. Il n’en est pas surpris : « Avec une moyenne de 6 000 euros le mètre carré, la plupart des habitants ne peuvent plus suivre ». La ville de naissance de Maurice Ravel n’est pas un cas isolé au Pays basque. Tout le littoral, très attractif, se constelle de résidences secondaires2 et de programmes de construction incités par les dispositifs de défiscalisation, pour une population fraîchement arrivée dont les moyens sont souvent bien supérieurs à ceux des habitantEs déjà installéEs. « Aujourd’hui, les résidences secondaires occupent 23% du parc [...] privant de logement une partie des « locaux » - dont « certains, comptables ou caissières, finissent par dormir au camping ou dans leur voiture », s’inquiète Maider Arosteguy, maire de Biarritz3. Les acteurs et actrices de la construction délaissent les villages de l’intérieur et concentrent ces nouvelles constructions dans les grandes villes du bord de mer, là où, en détruisant l’ancien, se trouve la majorité des terrains constructibles, renchérissant d’autant le prix de l’immobilier. La pression foncière augmente ainsi inexorablement et s’est même renforcée pendant la crise sanitaire.
La dynamique de développement est la même dans le parc locatif privé : près d’un quart de celui-ci a été construit depuis 2006 (contre 14% au niveau national). Un parc récent, en grande partie réservé au tourisme saisonnier4, majoritairement composé de logements de deux ou trois pièces, dont les loyers ont continuellement augmenté au cours des dernières années. Tout comme la demande de logements sociaux : 12 000 demandes ne sont pas satisfaites.
« Beaucoup de mes potes ne vivent plus là, ils ont été obligés de partir dans le Béarn ou plus loin », déplore Iban Régnier, habitant de Bayonne5. Les habitantEs, notamment les jeunes ménages, sont contraintEs de migrer vers l’arrière-pays. Mais l’offre de logements existants se trouve souvent inadaptée à leurs besoins (rareté des petites typologies, faiblesse de l’offre sociale, prix élevés dans le parc privé locatif et en accession) et le mauvais état des logements (dégradation, mauvaises performances thermiques, défauts d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, etc.) nécessite d’importants travaux de réhabilitation, souvent coûteux. « Un équilibre s’est rompu, le territoire sature de partout. Le quotidien est devenu une galère totale. Pour le transport, le logement. Les gens ne parlent plus que de ça »6.
À l’image des territoires intérieurs, les villes et villages de Soule7, l’une des trois provinces du Pays basque voisine du Béarn, perdent des habitantEs d’année en année. À Tardets-Sorholus, commune centrale de la vallée de la Soule grâce aux nombreux services et équipements dont elle dispose, la demande de logements est importante. Mais le nombre de bâtiments vacants et le manque de logements adaptés empêchent les nouveaux et nouvelles arrivantEs et les jeunes tardetsienNEs de s’y installer, entraînant une dévitalisation progressive du centre-bourg.
Pour Yannick Fieux, chargé de missions à l’EPFL Pays basque, « La Haute-Soule est un territoire magnifique qui fonctionne bien économiquement mais qui n’est pas très habité parce qu’il y a un déficit d’offres de qualité ». La problématique du manque de logements, doublée de la faiblesse de l’offre en transports publics, touche les communes mais aussi les entreprises qui, bien que dynamiques, sont freinées dans leur développement parce que leurs salariéEs n’ont pas les moyens de se loger à proximité de leur travail.
Des injonctions contradictoires, un temps politique déconnecté du temps de l’aménagement
Protection des sols et du paysage oblige, indispensable à organiser au nom de la transition écologique, il va être de plus en plus difficile de trouver de nouveaux terrains à bâtir. La loi Climat et résilience de 2021 fixe pour 2050 un objectif de « Zéro Artificialisation Nette » des sols8. La construction de la ville doit désormais se faire sur elle-même et restreint le territoire du renouvellement urbain, qui devient de plus en plus concurrentiel, et donc de plus en plus cher.
Face à cet objectif louable de sobriété foncière, les éluEs locaux et locales se retrouvent prisEs en étau entre des injonctions contradictoires. Comment mettre en œuvre une stratégie de réduction des espaces construits tout en continuant à répondre aux besoins croissants en logements de leurs habitantEs ? Confrontés à la diminution progressive des espaces constructibles, les éluEs questionnent aussi le devenir de leurs stocks fonciers existants, voire remettent en cause la pertinence de constituer de nouvelles réserves. Bien souvent, au détriment d’une réflexion foncière à moyen ou long terme, ils et elles s’attachent à apporter au coup par coup la preuve d’une production rapide dans la durée de leur mandat, sans se projeter au-delà. Or pour Arnaud Portier, directeur de l’EPFL Pays basque, mobilisé par les collectivités comme outil de portage foncier, « la réponse foncière à court terme à laquelle l’EPFL est souvent condamné n’est que trop rarement efficace ».
Érigée en enjeu politique majeur à l’échelle nationale, cette politique publique de préservation des ressources foncières entraîne des difficultés supplémentaires pour les collectivités locales qui voient leurs capacités décisionnelles et leurs marges de manœuvre progressivement réduites. Conjuguée à une baisse progressive de leurs moyens d’intervention tant en ingénierie qu’en financements, elles peinent à mettre en œuvre des projets d’intérêt public. « Redevables devant leurs habitants, les collectivités locales placées devant l’obligation de résultats souffrent d’une paupérisation croissante liée à la diminution de leurs moyens d’intervention et à leur perte d’autonomie de décision, et donc d’adaptation aux problématiques territoriales »9. Pour continuer à réaliser des équipements publics (une mairie ou une école par exemple), certainEs éluEs se retrouvent contraintEs de recourir à des promoteurs ou des aménageurs privéEs parce qu’ils et elles n’ont plus les moyens de le faire elle et eux-mêmes. Pour Arnaud Portier « il convient donc de remettre les moyens de décisions, réglementaires et financiers, à disposition des acteurs locaux chargés de rétablir les équilibres des territoires aujourd’hui menacés ».
Aujourd’hui, alors même que l’attractivité du territoire basque ne s’émousse pas, que l’offre existante et la production nouvelle peinent à répondre à la demande en matière de logement, que l’accès à la terre et au logement est de plus en plus difficile pour les habitantEs, ces difficultés compromettent la mise en place d’une stratégie foncière d’anticipation, seule à même de faire valoir l’intérêt général et d’aller vers une maîtrise durable des coûts du foncier. Les éluEs, dont certainEs sont pourtant volontaires, peinent à élaborer une politique foncière à la hauteur des enjeux, en constituant des réserves foncières ou immobilières qui permettraient de répondre aux besoins des générations futures. Pour Yannick Fieux, « sans stocks fonciers et immobiliers, le Pays Basque est condamné à perdre la maîtrise de son développement ». Dans ce contexte, l’EPFL constate que « la régulation des marchés fonciers et immobiliers semble illusoire à court terme et compromise à long terme ».
2. Une volonté politique commune pour un territoire d’actions collectives
Face à ce constat partagé, Txetx Etcheverry, militant activiste basque, cherche à fédérer : « Là où il y a de l’impuissance individuelle, il faut recréer de l’organisation collective »10. En parallèle des mobilisations habitantEs et associatives qui scandent que « le droit d’avoir un logement passe avant celui d’en avoir deux ! »11, les collectivités territoriales et les opérateurs s’engagent et font progressivement cause commune autour d’un aménagement équilibré du territoire. « Le Pays basque est fort quand il joue groupé », s’exclame Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne et président de la Communauté d’agglomération du Pays basque12.
Une société civile qui s’engage
La société civile n’hésite pas à s’emparer des enjeux de territoire, à prendre l’initiative, proposer des méthodes et passer à l’opérationnel pour répondre aux problématiques. Elle teste, invente des montages et participe elle aussi à questionner les politiques publiques pour mieux les faire évoluer. Pas très loin, à Navarrenx, petite commune rurale du Béarn de 1 000 habitantEs, un couple a acquis une ancienne minoterie du XIXe siècle au bord du Gave d'Oloron avec l'objectif d'y accueillir des logements sociaux participatifs, des espaces communs et des jardins partagés entre les habitantEs, un restaurant et tiers-lieu.
Delphine Saint-Quentin et son compagnon Pierre Meauzé déjà porteuse et porteur d'un éco-lieu à Bardos, souhaitent transformer et faire revivre ce site atypique et historique. Il et elle sont accompagnéEs par le collectif Encore qui assure la réhabilitation du lieu. Une initiative privée qui contribue à apporter une réponse aux besoins en logements sociaux là où la puissance publique peine à y consacrer des moyens. Un cas où le privé supporte les coûts et les risques liés à l’opération. Le couple, via la SCI BAILKO, passe par l'intermédiation sociale pour financer la réhabilitation du bâtiment en logements sociaux. Toutefois, ces aides ne peuvent être mobilisées que pour les surfaces habitables et ne peuvent pas financer les espaces communs (buanderie, salle commune, …) attenants aux logements. Comment alors sortir des cases normatives du logement locatif social et de son système de financement ? Pour répondre à cette question, le projet est accompagné dans le cadre du programme « Engagés pour la qualité du logement de demain », une démarche portée par le ministère chargé de la Ville et du Logement et le ministère de la Culture.
Le foncier agricole est également une préoccupation croissante sur le territoire basque, à l’heure où près de 2 000 hectares de terres agricoles ont disparu ces dix dernières années. De nombreuses initiatives s’organisent, comme la mobilisation de Lurzaindia - le Terre de liens local -, l’expérimentation lancée par la CAPB, la SAFER et l’EPFL relative à l’animation territoriale pour la transmission et l’installation d’exploitations agricoles en Soule ou encore les réflexions de l’association Renouveau Paysan sur le lien entre habitat paysan et travail agricole. L’association Renouveau Paysan a été créée en 2016 pour soutenir les agriculteurs et agricultrices en mobilisant et accompagnant les collectivités et les bailleurs sociaux dans l'acquisition et la réhabilitation de fermes en logements sociaux paysans. Faisant le constat des difficultés d’accès à la terre rencontrées par de jeunes agriculteurs et agricultrices et de la dissociation entre logement et exploitation agricole, elle milite pour la création de nouveaux biens communs, l'enrayement de la spéculation foncière et le maintien d’une dynamique agricole en Pays basque. Elle porte le développement et la volonté d’expérimenter un Bail social paysan, un contrat locatif qui permettrait de lier logement, terres et espaces de travail. Ce bail offre aussi aux cédantEs agricoles une solution pour transmettre leur exploitation. L'association a sollicité France Expérimentation pour mettre en œuvre le bail paysan, mais la saisine n'a pas abouti et le projet a évolué depuis. Aujourd'hui l'association et ses partenaires vont pouvoir expérimenter le logement social paysan à droit constant via le contrat d'occupation et le bail réel solidaire. Deux bailleurs sociaux ont fait part de leur envie de mener un projet pilote, un dans la Drôme avec Habitat et Humanisme et le second en Nouvelle-Aquitaine avec le COL.
Réinvestir l’existant dans les villages ruraux de intérieur, un parti-pris fort et partagé
ChacunE à son échelle déploie ou mobilise des dispositifs de politiques publiques nationales mais aussi locales et des outils pour faire levier et apporter des réponses à cette crise. C’est notamment la mobilisation du fonds national dit « friches » - aujourd’hui pérennisé dans le Fonds vert - destiné à financer la requalification de friches urbaines, industrielles et commerciales, déjà artificialisées, pour encourager la réalisation de nouveaux projets en limitant la consommation de foncier.
De son côté, la Communauté d'agglomération du Pays basque (CAPB) a pris des mesures pour enrayer le développement des locations touristiques. Depuis mars 2023, il n’est plus possible pour les propriétaires de mettre en location un meublé touristique sans compensation, c’est-à-dire sans proposer un second bien en location à l’année. Cette mesure, qui s’applique dans 24 communes situées en zone tendue, majoritairement littorales, est censée dissuader l’achat spéculatif13.
Quelques années plus tôt, le département des Pyrénées-Atlantiques a lancé le programme Fenics (Filière économique nouvelle pour l’innovation dans la construction et le social), qui vise à engager une réflexion sur les enjeux d’habitat des communes rurales de son territoire. Depuis 2016, le conseil départemental les accompagne dans la réhabilitation d’équipements ou de logements vacants, souvent dégradés, pour faire face à la dévitalisation progressive de leur centre-bourg. Coordonnée par des structures d'ingénierie départementales, notamment par l’Agence d’Urbanisme Atlantique et Pyrénées (AUDAP), la démarche cherche à sortir des processus classiques de réhabilitation et à développer l’implication habitante en associant habitantEs, usagerEs, expertEs et éluEs aux réflexions sur les projets à développer.
Entre 2016 et 2019, Tardets-Sorholus a été l’une des deux premières communes accompagnées dans le cadre de cette expérimentation sur la réhabilitation du patrimoine existant. Les marches exploratoires et les ateliers menés collectivement ont permis d’y lancer une étude sur l’amélioration des espaces publics du centre-bourg et des rives du Gave, mais aussi de réfléchir à la transformation du château Daguerre - construit à la fin du XIXe siècle, devenu école (1917) puis mairie du village jusque dans les années 1980 - en logements.
Avec ses 551 habitantEs14, et sans grands moyens techniques et financiers pour réhabiliter le château, la commune de Tardets-Sorholus pensait s’en départir. Les travaux de réhabilitation se heurtent en effet aujourd’hui à deux grands freins : leur coût, très élevé en comparaison à la construction neuve et l’accumulation des normes et des contraintes lorsqu’on travaille sur des bâtiments anciens. « Dans la situation actuelle dans laquelle nous sommes pris, entre la nécessité de produire suffisamment de logements et celle de mieux construire en respectant les injonctions du ZAN, la réhabilitation apparaît comme une nécessité. Mais percuté par le contexte de crise économique mondiale, son prix pose un véritable problème : il est plus rentable de faire du neuf que de l’ancien. Désormais exorbitant, ce coût subit également l’accumulation de contraintes normatives. Là où il faudrait de l’intelligence de projet et de l’adaptation situationnelle, la norme vient couper court à toute forme d’initiative » expliquent Yannick Fieux et Arnaud Portier.
Ainsi, à Tardets-Sorholus, à travers le programme Fenics, le Département a financé les premières études de faisabilité du projet de réhabilitation. L’EPFL Pays basque, sollicité par Maité Pitrau, maire de la commune, propose un montage opérationnel singulier : le rachat de la moitié du château par l’EPFL pour le réhabiliter en sept logements en accession sociale à la propriété via un dispositif de Bail Réel Solidaire (BRS), et la transformation de l’autre partie du bâtiment, qui restera propriété de la commune, en sept logements locatifs sociaux réalisés par le bailleur social Soliha (via un bail à réhabilitation), qui assurera la mission de maîtrise d’ouvrage sur l’intégralité de l’édifice.
Le montage proposé par les partenaires pour la réhabilitation du château Daguerre présente ainsi un intérêt pour les futurEs ménages qui loueront ou achèteront leur logement à un coût abordable, et constitue également une opportunité pour la commune qui voit s’installer des familles en résidence principale, gage de stabilité, d’investissement et d’appropriation. « Cette solution est très favorable pour les petits villages : elle génère de la mixité sociale, elle permet à des jeunes de pouvoir louer et à d’autres de pouvoir acheter. C’est surtout la possibilité pour des jeunes du territoire de pouvoir continuer à vivre chez eux à des prix qui restent accessibles », s’enthousiasme Yannick Fieux de l’EPFL.
À l’inverse de la plupart des opérateurs qui produisent des constructions neuves essentiellement en zones tendues, déjà denses, l’EPFL fait le choix d’investir les centres-bourgs des villages intérieurs, délaissés par les habitantEs qui choisissent d’habiter proche des centres urbains où une offre adaptée existe. Pour Yannick Fieux, le fait d’intervenir en territoire détendu, mais toujours en centralité, permet à l’EPFL de contrer la désertification des communes rurales en faisant de l’accession à la propriété un levier de développement. « Notre objectif c’est de stabiliser des familles dans ces espaces qui, aujourd’hui, font l'objet d'une forte convoitise, notamment en résidence secondaire. Nous aimerions démontrer qu’en faisant des projets qualitatifs de manière intelligente et à des coûts maîtrisés, on participe à l’attractivité du territoire ».
Dans ces villages, l’EPFL privilégie les interventions sur le patrimoine existant pour « redonner vie à des biens qui ont fait la preuve de leurs qualités et de leur durabilité ». Il s’entoure d’architectes et d’artisans locaux qui œuvrent localement à valoriser l’existant, à leur échelle et dans la dentelle. Natif de Soule, Jean-Jacques Etcheberry, maçon spécialisé dans les enduits chaux-chanvre, milite lui aussi pour la rénovation des villages intérieurs comme alternative à la construction de logements neufs. « Quand on travaille dans les villages, on essaie de trouver des alternatives aux lotissements, qui ne sont pas des solutions. Il faut arrêter de consommer des espaces sur le territoire donc il faut trouver des moyens de rénover les bâtiments existants ».
Pour démêler ces problématiques à partir du terrain, l’EPFL expérimente différents modèles de réversibilité du patrimoine existant. Dès les premières phases de projet, il s’associe aux expertises d’actrices et acteurs locaux, opérateurs, bailleurs, architectes et artisans engagéEs sur leur territoire, pour questionner ces normes et révéler l’importance de les adapter aux situations qui se présentent.
Tisser des liens : une expérimentation permise par une chaîne d’acteurs et d’actrices souples
Thomas Zellner, ancien responsable du programme Fenics, est à l’origine de l’étude de faisabilité de la réhabilitation du château Daguerre, dont l’unique demande était de respecter un budget de travaux de 1 200 €/m2, pour maintenir un coût d’achat ou de location compatible avec les moyens des ménages ciblés, tout en laissant libre la méthode de projet. Trop chère, la première étude de faisabilité réalisée ne satisfait pas la maîtrise d’ouvrage qui se tourne vers Anna Chavepayre, architecte associée du collectif Encore. Pour Jean-Jacques Etcheberry, « le problème des rénovations de villages, c’est que tout le monde construit du neuf dans les vieux bâtiments. Ils ne profitent pas des qualités que le bâtiment a à offrir, et les font même disparaître. Il n’y a plus d’argent pour construire donc il faut trouver un moyen de faire autrement et là, ils appellent Encore ».
« Nous avons refait l’étude de faisabilité en prenant le temps », explique Anna Chavepayre. Grâce à une observation fine de l’existant, la seconde étude de faisabilité réalisée par le collectif Encore dégage 400 mètres carrés habitables supplémentaires pour le même budget que la première étude. Avec économie et simplicité, fondements de son approche frugale, Anna Chavepayre réalise avec son équipe des réhabilitations sur-mesure, tout en restant dans des budgets serrés habituellement difficiles à obtenir. À la question « Comment rénover une ferme de 700 m² avec un budget réduit ? », Anna Chavepayre répond en faisant visiter sa maison, qui est aujourd’hui son meilleur argument pour celles et ceux qui la rencontrent. C’est dans un ancien corps de ferme en ruine qu’elle a rénové dans le Béarn qu’elle put mettre au point sa méthode : « faire le moins possible » en partant toujours des qualités originelles de l’existant - même les plus improbables comme cette partie du toit effondrée qui, laissée intacte, permet de limiter les interventions sur la structure en apportant lumière et hauteur au rez-de-chaussée.
Les grandes ouvertures existantes sont aussi conservées, elles s’accompagnent d’un travail fin sur les menuiseries, cachées dans les épais murs de pierre laissés sans isolation pour garder leur inertie thermique naturelle. La répartition intérieure n’est presque pas modifiée mais certaines pièces changent de fonction comme la grande salle de bain (25m2) qui devient bibliothèque. Enfin, la moitié des 700 mètres carrés initiaux a été transformée en espaces extérieurs, espaces tampons abrités du vent et du soleil qui recréent des micro-climats et génèrent encore de nouveaux usages.
Une fois la réhabilitation terminée et la bâtisse investie, Anna Chavepayre y a accueilli ses différentEs interlocuteurs et interlocutrices et futurEs partenaires, parmi lesquels Thomas Zellner et Yannick Fieux, tous engagéEs à ses côtés sur le territoire, pour les convaincre en leur montrant les méthodes et les principes qui lui sont chers. Yannick Fieux se souvient : « C’est vraiment une histoire de rencontres. À Tardets, ça a commencé par un Architecte des Bâtiments de France qui connaissait bien le travail et les méthodes d’Anna et qui lui a ensuite facilité le projet du château Daguerre ». Sollicité par la présence d’un monument aux morts inscrit au titre des monuments historiques à proximité du château, l’ABF a ainsi donné un avis favorable15 à une isolation extérieure en béton de chanvre, matériau peu courant rarement autorisé sur les façades extérieures, qui permet pourtant la réalisation d’un bâtiment passif sur le plan thermique. À force de rencontres et de travail commun, Anna Chavepayre opère une forme de permanence territoriale qui rassemble et mobilise une chaîne d’acteurs et d'actrices souples (pompiers, bureaux de contrôle, Architecte des Bâtiments de France (ABF), etc).
Cette souplesse est aussi celle dont elle fait preuve pour s’adapter aux imprévus. Après la découverte tardive d’une fresque de Menchu Gal16 à forte valeur patrimoniale, recouverte de plâtre dans ce qui devait être un futur appartement, l’architecte, à la demande de la Ville, reprend le projet pour la mettre en valeur en la rendant accessible à l’ensemble des propriétaires et des locataires au sein d’un espace initialement privatif et désormais commun. Un lieu de mémoire d’autant plus symbolique que la salle Menchu Gal était la salle de réception de la mairie et de l’école, par laquelle beaucoup d’enfants de la commune, aujourd’hui adultes, sont passéEs. Anna Chavepayre conclue : « C’est la meilleure galère qui pouvait nous arriver ». Bien que cette contrainte a nécessité de reprendre les plans du rez-de chaussée, elle s’en sert pour nourrir le projet, et ne perd pas de vue ses deux principaux objectifs : ne jamais rogner sur la qualité des logements et impacter dans une moindre mesure le budget.
Initié dans le cadre de la démarche Fenics portée par le Département, véritable cheville ouvrière du projet, puis rendu possible par les maires (Arnaud Villeneuve puis Maïté Pitreau depuis 2020) et leurs services, très porteurs de la démarche, le projet de réhabilitation du château Daguerre a ainsi permis de mettre en synergie des initiatives locales. Cette expérimentation constitue un premier projet « démonstrateur » pour le Département et pour la commune, dont l’inventivité des montages et l’approche architecturale renouvelée lui apportent l’assurance d’une maîtrise publique et la réalisation de logements qualitatifs pour de nouveaux et nouvelles habitantEs.
Le Département souhaite désormais passer à la vitesse supérieure en réalisant un inventaire des bâtiments vacants en vue d’initier un travail commun avec les EPFL Pays basque et Béarn Pyrénées pour étudier les possibilités de réhabilitation du patrimoine existant sur l’ensemble de son territoire. Benoit Dupey, responsable du service habitat au conseil départemental, l’assure : « Aujourd’hui les élus sont prêts à mettre leurs biens à disposition ».
3. Expérimenter dans les montages et les processus architecturaux, une nécessité pour sortir de l’impasse
Dans la recherche permanente d’optimisation de ses actions, l’EPFL Pays Basque expérimente pour produire des logements abordables par des approches foncières nouvelles.
L’EPFL du Pays basque, d’outil à acteur de l’aménagement
À la différence des 13 EPF d’État (EPFE) qui interviennent principalement à l’échelle régionale, les 23 EPF Locaux (EPFL) ont un périmètre d’action réduit qui leur permet d’intervenir de façon plus fine auprès des communes. Créé en 2005 à l’initiative d’éluEs locaux, l’EPFL du Pays basque s’est engagé à faire valoir l’intérêt général face à la « frénésie foncière » du territoire basque. Armé d’une forte posture autour des valeurs de solidarité qu’il défend, il s’est donné pour mission de rendre le foncier des 158 communes de la Communauté d’agglomération du Pays basque accessible au plus grand nombre. Pour donner aux collectivités les moyens de s’adapter aux problématiques du territoire tout en répondant aux objectifs du ZAN, l’EPFL17 les accompagne dans la mise en œuvre de leurs stratégies foncières et notamment dans l’organisation et la gestion de la « rareté foncière », préalable nécessaire à une maîtrise publique pérenne pour les générations à venir. Mais devant l’intensification des dynamiques spéculatives, l’EPFL voit son action et ses moyens d’intervention progressivement limités. « Pourtant largement sollicité, l’EPFL ne parvient plus à faire valoir l’intérêt général devant l’appétence généralisée des acteurs fonciers, et fait face à un sentiment d’impuissance de la part de nombreuses collectivités locales. Face à un contexte de dérégulation foncière exacerbée qui se diffuse à l’ensemble du territoire, les moyens financiers, juridiques et opérationnels dont il dispose ne semblent plus adaptés aux enjeux qui se présentent. Devant l’urgence de la situation et face au risque d’exclusion des ménages modestes et moins modestes du territoire, l’EPFL doit désormais s’interroger sur ses propres limites pour préparer un nouveau socle opérationnel, durablement et réellement efficace ».18
Son approche, toujours adaptée au territoire et à ses besoins, le pousse à faire différemment, à se saisir des sujets liés au foncier agricole pour « expérimenter des systèmes qui permettent d’avancer quels que soient les sujets », dit Yannick Fieux. En prenant appui sur le contexte local, les moyens disponibles et les ressources dont il dispose, il adapte les outils existants et les applique autrement : il expérimente de nouvelles manières de faire en termes de montages juridiques, opérationnels et financiers pour répondre le plus justement possible aux problématiques basques. Initialement outil au service des collectivités, l’EPFL Pays basque les a longtemps accompagnées dans la constitution de stocks fonciers. Pour réguler de façon plus efficace les marchés fonciers et immobiliers, il décide de dépasser ce rôle en internalisant la production de logements à travers la création de Bizitegia, un Organisme de Foncier Solidaire (OFS), « seule solution qui permette de sortir de beaux projets à des conditions d’accessibilité inespérées » selon Yannick Fieux. « L’OFS est une solution qui permet d’aller au-delà du court terme et de répondre aux besoins des générations futures par la sanctuarisation d’un parc immobilier maîtrisé. Nous avons choisi d’internaliser la production de logements au sein même de l’EPFL pour être en autonomie de décision ». Se constituer OFS permet à l’EPFL de compléter l’offre institutionnelle par la production de logements sur des territoires plus difficiles et dans le cadre d’opérations plus complexes à équilibrer.
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Créés avec la Loi pour un Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR), les OFS sont inspirés du modèle des Community Land Trusts (CTL) nord-américains qui pensent le foncier comme un bien commun géré de manière désintéressée par un collectif d’habitantEs. Développés dans les années 1970 aux États-Unis, cette démarche repose sur une approche non marchande du foncier, qui a pour objectif de favoriser l’accession à la propriété des personnes aux revenus modestes en dissociant la propriété du bâti de celle du terrain. Ainsi, les ménages sont propriétaires du logement mais sont locataires du foncier qui est détenu collectivement par les administrateurs et administratrices éluEs du CLT.
Afin de maîtriser le coût de sortie des logements et d'assurer une valeur en dessous des prix du marché, le CLT mobilise des subventions publiques qui permettent de neutraliser le coût d’acquisition du sol et une partie du coût de construction. Le bail conclu intègre une clause anti-spéculative que les accédantEs s'engagent à respecter lorsqu’ils ou elles revendent leur bien pour permettre aux futures générations de ménages de bénéficier elles aussi de logements abordables. Le CLT étant propriétaire « à vie » du foncier, il est le garant de la régulation des prix immobiliers et de la sécurisation de l’accès à la propriété. Le contexte de création récente des OFS, et donc d’une politique publique en construction, permet à l’EPFL de disposer d’une souplesse d’adaptation utile à l’expérimentation de montages en BRS. La multiplication rapide des OFS (sur le territoire basque, deux établissements étaient agréés OFS en 2020, aujourd’hui il en existe une quinzaine pouvant potentiellement intervenir) va conduire l’État à encadrer les pratiques et les interventions des structures qui se sont constituées OFS, au risque de standardiser les réponses aujourd’hui contextualisées.
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Comme les coopératives d’habitantEs ou l’habitat participatif, c’est aussi une autre vision d’habiter que l’OFS apporte via le Bail Réel Solidaire (BRS) : la garantie d’une propriété sur le temps très long via une socialisation et la volonté de garantir l’aspect abordable dans le temps par un accès soumis à des conditions de ressources adossé à un mécanisme anti-spéculatif durable.
Le BRS est un dispositif anti-spéculatif qui permet à des ménages aux revenus limités d’acheter un logement en-dessous des prix du marché, à condition qu’ils l’habitent en tant que résidence principale. Pour conserver ce bien accessible dans le temps et limiter les plus-values lors de sa revente, rendues possibles par les autres dispositifs d’accession sociale19, l’OFS encadre le prix de revente, et vérifie que les nouvelles et nouveaux acquéreurs répondent aux mêmes critères de ressources.
Ce bail de longue durée, conclu pour une durée comprise entre 18 et 99 ans, permet à l’OFS de dissocier le terrain, dont il reste propriétaire, du bâti, dont il consent les droits réels20 à un preneur (particulier ou opérateur). Le principe de dissociation entre la propriété foncière et la propriété bâtie21 permet à des ménages aux revenus modestes, sous plafonds de revenus du Prêt Social Location-Accession (PSLA)22, d’accéder à la propriété en payant seulement le coût du bâti, sans avoir à supporter la charge foncière. En échange, les accédantEs, qui bénéficient du droit d’usage (rechargeable à chaque transaction23), versent une redevance24 à l’OFS pour l’occupation du terrain.
La possibilité qu’offre le BRS d’amortir la charge foncière sur un temps très long (jusqu’à 99 ans), fait inédit dans le logement social, permet à l’EPFL de proposer des logements à des coûts maîtrisés malgré un coût d’achat du foncier qui peut être très important. Les bailleurs sociaux ou les coopératives HLM constitués en OFS ont la possibilité de solliciter la Caisse des dépôts pour financer leurs acquisitions foncières et opérations de viabilisation dédiées à la réalisation de logements sociaux ou en accession sociale à la propriété (prêt Gaïa). Pour un EPF, structure qui, par essence, lorsqu'elle achète du foncier ne connaît pas nécessairement la destination du foncier, il lui est impossible de solliciter les mêmes aides qui lui permettraient pourtant, en abaissant le coût d'acquisition du foncier, de réduire mécaniquement la seule recette perçue, à savoir la redevance que versent les accédantEs25.
Pour s’assurer d’être toujours 30% inférieurs aux prix locaux, l’EPFL s’est volontairement fixé des règles. Il a pris le parti de plafonner la redevance dont s’acquittent les ménages pour l’utilisation du foncier à 1,5 € par m² en zone tendue et à 1 € par m² à l’intérieur du Pays basque. Véritable choix politique, l’articulation de ces critères assoit la position anti-spéculative de l’EPFL pour préserver l’intérêt général et rendre le logement accessible à toutes et tous. Parce qu'il a fait le choix de plafonner la redevance, l'EPFL Pays basque a donc décidé de définir une durée d’amortissement de la charge foncière avec la redevance sur une durée de 60 ans comme seule recette26.
À travers Bizitegia, l’EPFL intervient autant en secteur tendu pour des opérations en construction neuve et en renouvellement urbain, terrain d’action privilégié des OFS, qu’à l’intérieur du Pays basque dans le cadre d’opérations de réhabilitation. Arnaud Portier l’explique : « Espelette, par exemple, est aujourd’hui mondialement connu après le G7. Mais si l’action de l’OFS a eu du sens sur ce territoire, bien qu’il soit rural, c’est parce qu’il connaît des formes de tensions. En d’autres termes, il est difficile de faire du BRS sans aucune tension foncière ou économique, et c’est sûrement la limite du dispositif »27. Yannick Fieux prévient : « tous les projets ne sont pas bons à faire en OFS, mais quand ils le permettent, nous sommes très performants sur le niveau d’accessibilité ».
En 2021, l’EPFL a signé son premier bail réel solidaire dans la commune de Banca28. La famille, jusqu’alors locataire d’une maison, a pu l’acquérir après réhabilitation pour un montant mensuel (comprenant le remboursement de l’emprunt et le paiement de la redevance) inférieur au loyer payé. Le BRS présente un double intérêt : pour le ménage qui achète son logement à un coût abordable, mais aussi pour le village qui voit une famille se maintenir sur son territoire et assurer ainsi la pérennité de son école.
En complément de Bizitegia, l’EPFL a modélisé un nouveau dispositif de solidarité territoriale, sociale et intergénérationnelle. Face au vieillissement de la population et à la volonté de nombreuses personnes âgées de se maintenir le plus longtemps possible dans leur logement, le département des Pyrénées Atlantiques, Soliha et l’EPFL Pays basque ont récemment mis en place Lokarri, un dispositif de viager solidaire29. L'objectif est d’améliorer la qualité de vie des propriétaires âgéEs et de favoriser le maintien dans leur logement par des travaux d’adaptation et un accompagnement social. Le principe : l’EPFL achète le bien en viager à des personnes âgées et leur verse une rente mensuelle et finance des travaux d’adaptation ou des services à domicile. Au terme du viager, l'EPFL via son OFS Bizitegia et un montage en BRS, propose les biens à la vente en accession sociale ou en logement social à des jeunes ménages dont le montage leur permet d'assurer que le logement libéré reste abordable. De son côté Soliha s’engage à réaliser un diagnostic du logement pour préconiser des travaux d’adaptation et à identifier avec les ménages, leurs besoins en matière d’aide à la personne. Le Département peut participer financièrement à l'achat du foncier dans un objectif de maîtrise du montant de la redevance dans le cadre du BRS. Il s’engage également à apporter un soutien financier à l’accompagnement humain personnalisé à domicile prévu dans le cadre du viager solidaire.
La réhabilitation du château Daguerre à Tardets-Sorholus : BRS et bail à réhabilitation
Suite aux réflexions engagées dans le cadre de la démarche Fenics, l’EPFL a été sollicité par Maité Pitrau, maire de la commune, quant à la démarche opérationnelle à initier pour réhabiliter le château Daguerre et la possibilité d’y mobiliser Bizitegia. L’EPFL est vigilant sur la localisation de ce type d’opération en milieu rural et étudie finement en amont, avec la collectivité, les besoins du territoire pour juger de l’opportunité d’y réaliser une opération en BRS. Au regard du développement de projets à Tardets, de la demande en logements et du dynamisme croissant, le territoire réunit les conditions pour y développer ce type d’opération. « J’ai appris qu’un centre médical allait être créé à Tardets, donc ils ont la volonté que cette commune revive. Là-dessus, le projet va venir conforter la greffe. C’est une vraie satisfaction. », se réjouit Yannick Fieux.
Le montage opérationnel proposé par L’EPFL Pays basque, à la Ville de Tardets-Sorholus, propriétaire du château, est singulier. L’OFS acquiert une moitié du château pour le réhabiliter en sept logements en accession sociale à la propriété via un BRS. La commune reste propriétaire de la seconde moitié, dédiée à la création de logements locatifs sociaux et signe avec l’opérateur Soliha, un bail à réhabilitation de longue durée, au cours duquel Soliha s’occupera des travaux de réaménagement mais aussi de la gestion des locataires. À l’issue de ce bail de 50 ans, la commune récupérera l’ensemble des logements locatifs. Quant à la partie acquise par l’EPFL, ce dernier a conclu avec Soliha un BRS dit « opérateur ». Là encore, Soliha se chargera des travaux de réaménagement mais aussi de la vente des biens. La démarche a nécessité l’acculturation de l’opérateur, non coutumier de ce type de montage. L’objectif était de s’assurer d’une maîtrise d’ouvrage unique assurée par Soliha sur l’intégralité de l’édifice, interlocuteur unique face à la maîtrise d’œuvre. Yannick Fieux résume, « nous avions besoin d’un opérateur car il y a deux montages : un en locatif et un en accession à la propriété. Un maître d’œuvre avec Anna Chavepayre au milieu. Autant qu’il n’y ait qu’un seul maître d’ouvrage. L’accession à la propriété leur est confiée via un BRS opérateur. Devenant maitre d’ouvrage d’un projet en accession, SOLIHA doit assurer la phase de commercialisation, ce qui constitue un nouveau métier pour la structure ». Une fois les travaux réalisés et les logements commercialisés, le BRS opérateur disparaît au profit des BRS occupants, signés entre l’OFS/Bizitégia et les ménages accédants. L’EPFL restera destinataire du versement de la redevance et conservera le contrôle définitif sur la vente de chaque bien.
Thomas Zellner explique que le projet de réhabilitation du château Daguerre, et surtout l’expérimentation en matière de montages, ont été permis parce que « le territoire a offert le château à l’expérimentation ». La Ville cède à l’EPFL la partie du château faisant l’objet du BRS à un coût très maîtrisé dans un but d’intérêt général : attirer les ménages à Tardets, faire revivre ce cœur de bourg où l’offre en logements était insuffisante et non adaptée aux besoins.
En termes de montage économique, le prix global de revient de l’opération (acquisition, frais de notaire, travaux, honoraires) s’élève à 1 129 460 euros, dont 100 000 euros ont été versés à la Ville pour l’acquisition du château via l’OFS, somme réinvestie pour la réhabilitation de l’espace Menchu Gal. Benoît Dupey précise que « sur ce projet, le Département pourra investir 20 000€ par logements, ce qui est très significatif dans le modèle puisque ça va permettre de baisser les prix de commercialisation. Sur le locatif également, le Département a revalorisé ses aides encore une fois dans cette politique de catalyser toutes les opportunités foncières, où on pourra injecter également à peu près 30 000 € de fonds propres directs par logement ». In fine, Bizitegia garde à sa charge 338 838 euros (soit 30 % du prix de l’opération). Une partie du coût des travaux est intégrée dans les droits réels de l’OFS pour produire des logements à un prix attractif. S’engageant à respecter une redevance maximale de 1 euro du mètre carré, conduisant à amortir la charge foncière sur 60 ans, les logements sont commercialisés à hauteur de 1 238 euros du mètre carré, là où le marché est plutôt aux alentours de 2 200 euros du mètre carré.
Une opération exemplaire pour le territoire, et un moyen pour cette petite commune de répondre à une demande non pourvue, de faire revenir des jeunes ménages en centre bourg en leur permettant aussi d’accéder à la propriété et au fond de participer au dynamisme de la commune.
Faire mieux avec moins, l’approche pragmatique du collectif Encore
Grâce au travail sur-mesure réalisé par le collectif Encore sur la réversibilité du patrimoine, la réhabilitation du château Daguerre est une opération dont l’exemplarité architecturale soulignée par Yannick Fieux fait appel à une « intelligence de projet qui permet de sortir des coûts de réhabilitation environ 40% à 50% inférieurs à ce qui se fait ailleurs ».
L’approche d’Anna Chavepayre repose sur une méthode en apparence simple : comprendre le déjà-là et révéler ses qualités pour redonner envie d’occuper un bâtiment. Comme un mantra, le collectif répète que « changer une chose, peut tout changer », que d’une pierre peuvent faire deux, trois ou quatre coups. Rendue possible par une intervention toujours très en amont du projet, sa démarche pointe la nécessité de sortir des cadres standardisés pour faire évoluer l’approche normée et uniformisante du logement et en particulier du logement social. Des réglementations (accessibilité, sécurité incendie, thermique et acoustique) vues comme contraintes ou limites, le collectif en fait des espaces de liberté et de créativité. « Il faut prendre le temps de l’observation » précise-t-elle. Chacune de ses interventions commence par une visite des lieux, une appréhension de l’espace par le corps, indispensable et préalable à tout projet : « Tout ce qui bouge, le soleil, le vent, la lumière, n’est pas sur le plan. Il faut faire une véritable analyse de la situation avec son corps pour comprendre le paysage qui fait partie du bâtiment et qui lui amène toute sa qualité ». À première vue évidente, cette prise en compte des caractéristiques spatiales et paysagères existantes est pourtant ce qui a manqué à la première étude de faisabilité où le parti pris adopté reposait sur le fait de faire rentrer du neuf avec ses normes standardisées de surface et d’agencement, dans de l’ancien. L’approche pragmatique et économe du collectif Encore a permis, dans la seconde étude de faisabilité, de dégager 400 mètres carrés habitables supplémentaires pour le même budget en conservant les éléments architecturaux qualitatifs du bâtiment : « On a montré à la mairie les qualités des espaces : la lumière, la hauteur sous plafond, les planchers en bois, etc. et on les a convaincus ».
Mais cette volonté de faire avec l’existant se retrouve confrontée aux normes du logement social, dont Anna Chavepayre dénonce la standardisation et la rentabilisation. « Tout est déjà écrit et pensé, notamment pour le montant des financements auxquels on peut aspirer quand on fait des logements sociaux. Pour optimiser les financements, tout est lié à un élément qui amène systématiquement à sortir des surfaces de l’ordre de 66 mètres carrés. Or, lorsqu’on fait de la réhabilitation de bâtiments anciens, on est tributaire des surfaces existantes qu’il faut essayer de valoriser. Plus on propose des choses compliquées, moins on est financé ». Elle pointe notamment la difficulté des bailleurs sociaux à réhabiliter des bâtiments anciens car, à la fois dépendants des financements et des surfaces existantes, ils en viennent à réaliser des constructions hors sol, recréant du neuf dans de l’ancien. « Il faut écouter le bâtiment, c’est lui qui décide ce qu’on y met dedans, sinon la transformation peut coûter très cher. Écouter les bâtiments, c’est de l’économie de projet ».
À Tardets, le travail de pair avec un pompier mobilisé dès l’étude de faisabilité a permis de questionner les problématiques d’accessibilité et de sécurité incendie, typiques des bâtiments anciens. « Il n’est pas constamment sur son ordinateur. Il connaît les bâtiments, il connaît le corps, il sait réellement pourquoi les règles existent. Ensemble, avec lui, nous avons transformé le bâtiment ». Le château Daguerre comporte quatre niveaux (R+3) : un rez de jardin, un rez de chaussée et deux niveaux supplémentaires. Selon le code de la construction et de l’habitation, la mise aux normes du château devra comprendre l’installation d’un ascenseur, obligatoire dans les parties de bâtiments d'habitation collectifs neufs comportant plus de deux étages (R+3). Prévue dans le cadre de la première étude de faisabilité, grevant une partie du budget de la réhabilitation, Encore s’abstrait de cette contrainte et propose une alternative ingénieuse. Par une intervention minime, les architectes transforment une partie du bâtiment de trois étages en un bâtiment de deux étages en rendant le rez-de-jardin totalement indépendant du reste du bâtiment. D’apparence légère, cette transformation génère de nombreux bénéfices grâce aux conséquences réglementaires et économiques qu’elle implique. En redéfinissant les accès et le nombre de niveaux du bâtiment, la création d’une nouvelle entrée en rez-de-jardin permet de supprimer l’un des escaliers intérieurs, de ne pas encloisonner l’escalier restant30 et, surtout, de s’affranchir de l’installation obligatoire d’un ascenseur. Ce sont autant d’économies réalisées sur l’achat et sur la gestion d’un tel appareil, un gain de surface habitable et une plus grande liberté dans l’organisation spatiale. « Je n’étais pas contre le fait de faire des bâtiments entièrement accessibles mais nous arrivons avec 50% du bâtiment accessibles aux personnes à mobilité réduite. C’est aussi une question de choix et de priorités. Est-ce que je mets tout le paquet dans un ascenseur qui va tomber en panne ? Qui veut payer un ascenseur quand on n’a pas d’argent ? Cela questionne nos priorités. Où décide-t-on de mettre l’argent ? ».
Concernant les normes thermiques, là encore, les impératifs de confort thermique entrent en contradiction avec les réglementations patrimoniales qui voudraient que l’ensemble des façades soit isolé par l’intérieur. Un travail étroit, cette fois avec Jean-Jacques Etcheberry, artisan maçon, et avec l’ABF, a permis d’apporter une réponse aux problématiques thermiques et acoustiques : pour conserver l’inertie thermique des murs de pierre existants, qu’une isolation intérieure viendrait masquer, ils et elle optent pour une isolation extérieure en béton de chanvre sur trois façades, plus chère mais favorisant un confort thermique estival et hivernal satisfaisant (la façade principale est isolée, elle, par l’intérieur). Au vue de l’attention portée aux qualités originelles du château et à la volonté de maximiser les normes de confort, l’ABF a donné un avis positif à l’isolation extérieure en béton de chanvre, en remplacement de l’enduit de ciment présent qui cachait l’humidité et empêchait le mur de respirer. Encore une fois, Anna Chavepayre décide de « mettre l’argent au bon endroit », dans un matériau écologique, entretenant une filière locale et garantissant le confort des futurEs usagerEs.
Yannick Fieux conclut : « Anna a réussi à faire le projet parce qu’elle l’a sorti des normes. Si nous arrivons à suivre son objectif qui est de 1 350 euros le mètre carré, nous devrions vendre ces logements autour de 1 200 euros le mètre carré, ce qui n’existe plus sur un projet hyper qualitatif ». Permise par une écoute attentive du bâtiment, son approche renouvelle la production du logement, notamment social, dont elle requestionne les normes mais toujours au service du projet et de son économie. « L’économie, c’est la base de la générosité » résume-t-elle.
Intéressée par la démarche sobre et pragmatique du collectif Encore, la commune d’Oloron-Sainte-Marie le missionne, aux côtés de l’EPFL Pau-Béarn-Pyrénées, pour la réhabilitation de la friche Remazeilles. Une friche de 1 600 mètres carrés, ancien magasin automobile puis magasin de meubles vacant depuis plus de 15 ans. Bâtiment trait d’union entre le jardin public d’une part et le quartier de la Confluence d’autre part, la commune, qui bénéficie du dispositif Petites villes de demain, souhaite le réhabiliter en impliquant les habitantEs dans la programmation du lieu.
Sollicité par la Ville pour établir une étude de faisabilité dans des délais très cours, le collectif Encore adapte ses méthodes et décide de révéler les qualités du lieu autrement. « On n’a pas le temps d’aller sur nos ordinateurs et de faire des images 3D ». Les architectes proposent de démonter les faux-plafonds et l’isolation pour apporter lumière et hauteur au bâtiment mais ni les services techniques ni l’EPFL ne peuvent réaliser ces travaux en régie et le lancement de marchés publics prendrait trop de temps. Autorisé par le directeur général des services sous réserve qu’il en porte la responsabilité, le collectif dépose lui-même faux-plafonds et laine de verre. Il ouvre les accès du bâtiment pendant le chantier et révèle un axe traversant, transformant la friche en une grande rue couverte. Par une intervention légère in situ et de simples photos du potentiel de l’existant révélé, le collectif Encore, en association avec la Société d'Équipement des Pays de l'Adour, a rendu des éléments spatiaux et financiers pour permettre à la commune de candidater au « fonds vert » de l’État31, levant ainsi « les verrous de la peur » et embarquant les services techniques avec lui.
Faire école, faire filière
Si l'union fait la force, pour porter plus loin cette vision commune, il est indispensable de renforcer le plaidoyer, d'acculturer éluEs, opérateurs, société civile, de transmettre, d'enseigner. Faire école, transmettre. Et faire filière en valorisant et réemployant les ressources matérielles du territoire, pour développer une économie locale. C'est là l'idée que s’emploient à développer plusieurs acteurs et actrices rencontréEs sur le territoire. En économie, faire filière32 c’est développer, à partir d’une ressource locale, des activités, des savoirs, des techniques et des emplois, de sa production à sa destination, à chaque étape de son « exploitation ».
Au Pays basque, territoire où l’économie est majoritairement présentielle33, la construction et la réhabilitation du patrimoine engagent les acteurs et actrices du territoire à s’interroger sur la structuration de nouvelles filières locales (relocalisation de la production de matière première, acculturation à des manières de faire différentes, formation à des techniques spécifiques, développement d’emplois, ...).
En Soule, Jean-Jacques Etcheberry, artisan maçon spécialisé dans la réalisation d’enduits isolants à base de chaux-chanvre, valorise le chanvre et milite pour le développement de cette filière locale qui trouve beaucoup d’applications dans le bâtiment (isolation, enduits, béton, ...). Il plaide également pour la structuration d’une filière terre alimentée par les déchets du chanvre : dans une approche systémique de réemploi des déchets et de développement économique local : les déchets de chanvre, plutôt que d’être transportés ailleurs, peuvent être réemployés localement dans les enduits en terre crue qui nécessitent des fibres végétales.
À Oloron-Sainte-Marie, le projet de réhabilitation de la friche Remazeilles proposé par les architectes du collectif Encore, suite aux ateliers de concertation avec les habitantEs, est celui d'un lieu où l’on travaille, joue, apprend, échange, crée, rêve, expose, se réunit, se cultive, s’exprime, expérimente, cuisine, se découvre, construit. Un lieu pensé en lien avec le territoire, ses ressources et intégrant des enjeux pédagogiques. Une « friche carrefour » où convergent les ressources naturelles locales, alimentaires comme constructives, le bois notamment. La Ville d'Oloron dispose de forêts où, à sa demande, le bois de construction sera prélevé pour les travaux. Il s'agit d'offrir la possibilité d’exploiter in situ les ressources. Un lieu d'apprentissage aussi, matérialisé par l'idée d'une « friche-école » avec la volonté de lier les écoles du territoire. La formation et la transmission y seront valorisées et des salles de formation et des enseignements ainsi que des ateliers d’apprentissage et de travail du bois notamment pourront y être imaginés depuis les forêts d'Oloron jusqu'à la friche : Quelles essences prélever ? Comment choisir un arbre ? Comment le travailler ? Au-delà du bois, c'est aussi toute la chaîne des métiers de la construction qui peut être valorisée. La friche école, c'est aussi un chantier école où les entrepreneurs et artisans peuvent venir enseigner directement les techniques de construction (béton chanvre, paille, enduits terres, ...).
Transmettre des savoir et savoir-faire et pas seulement aux professionnelLEs, actuelLEs ou en devenir. Transmettre c’est aussi acculturer, former, faire monter en compétence, y compris la société civile. Profiter des chantiers pour accompagner de manière pédagogique les habitantEs, leur montrer ou enseigner des techniques de construction ou de réhabilitation, comment prendre soin de son logement, comment le chauffer, le ventiler, l’habiter.
Conclusion
À leur échelle et dans la dentelle, des acteurs et actrices au Pays basque s’engagent pour répondre à l'inhabitabilité croissante du territoire. Réinvestir les terres intérieures, soutenir les petites collectivités, mobiliser le foncier avec sobriété en valorisant l’existant et mobiliser des matériaux et des savoir-faire vernaculaires...
Parmi cette chaîne d'acteurs et d'actrices engagéEs, l'EPFL du Pays basque détonne un peu. Il expérimente et développe de nouveaux montages innovants à petite échelle avec de petits opérateurs. Se saisissant des enjeux, d'outil il est devenu acteur : maître d'ouvrage pour passer plus vite à l'opérationnel, OFS pour développer des opérations de logements en BRS en réinvestissant l'existant aux côtés de communes rurales. Il anticipe aussi, non seulement en accompagnant les collectivités sur leur stratégie foncière mais aussi sur le plan opérationnel, en amont du rachat du foncier, accompagné d'architectes et d'artisans en vue d’inventer le renouveau du patrimoine existant. Autant d’initiatives et de pratiques déployées qui se conjuguent aux mobilisations de la société civile en faveur du droit au logement et plus largement de l’accès à la terre. Souvent, ces expérimentations sont rendues possibles par la mobilisation des éluEs, le temps long et la neutralisation du coût du foncier, par le portage par un tiers acteur, ou par l'existence de dispositifs souvent ponctuels (comme les appels à projets). Si aujourd’hui, ces actions ou dispositifs ne sont pas suffisants pour inverser la tendance, ils sont porteurs d’une véritable utilité sociale et d’optimisme. Aussi, les alliances entre acteurs et actrices du territoire se multiplient, se renforcent et se structurent tandis que leurs efforts conjugués permettent de construire progressivement une vision commune, de faire école et à certains endroit de faire filière. Ces initiatives conjuguées, mises bout à bout, construisent de nouvelles solutions de portage foncier, démultiplient l’invention de nouveaux dispositifs pour répondre aux enjeux de manque de logements abordables. Elles contribuent au développement de filières locales et donc d’une nouvelle économie au service des territoires, de leurs ressources et des savoir-faire locaux. Ici, un véritable enjeu à pérenniser, faire entrer dans le droit commun ces initiatives, le soutien financier qui leur est apporté pour structurer véritablement une politique publique territoriale.
Et pour diffuser les pratiques, les savoir et savoir-faire à une échelle plus vaste, c’est à une école de territoire, une école de la réhabilitation connectée au terrain que rêvent certainEs. Une formation complémentaire aux filières existantes en architecte qui pourrait être portée par l’ENSA de Bordeaux où se formeraient ensemble éluEs, technicienNEs, opérateurs et opératrices, architectes, artisans, paysagistes, société civile, ... Une école pour apprendre ensemble, transmettre des valeurs tout autant que des savoirs et des savoir-faire. Une école pour se reconnecter au territoire et à ses ressources humaines et matérielles.
Enjeux du logement en Pays-Basque :
- DESPLANQUES Erwan, « Le Pays basque sous tension », Zadig, n°17, Avril 2023, p. 108-121
- BIZEUL Romain et DESCHAMPS Stéphanie, « Logement au Pays Basque : vers la fin des Airbnb à l’année ? La limitation de la location courte durée produit ses premiers effets », France 3, 24 Avril 2023 [En ligne]
- Fondation Abbé Pierre, « L’état du mal-logement en France », Nouvelle Aquitaine – un éclairage régional, Rapport annuel #25, 2020 [En ligne]
- Fondation Abbé Pierre, « Solidarités et complémentarités entre les territoires dans l’Agglomération du Pays Basque, ou comment construire une politique de logement commune avec 158 communes ? », Les cahiers du logement, 2020 [En ligne]
EPFL / OFS / BRS :
- Ressources mises à disposition par l’Association Foncier Solidaire
- Site de l’association des EPFL
- Fiches outils du Cerema « Les organismes de foncier solidaire (OFS) » et « Dissocier le foncier de l’immobilier – Mettre à disposition le foncier pour favoriser la production durable de logements abordables »
- Site de l’EPFL du Pays-Basque et ressources associées :
- « Zéro Artificialisation Nette : Réactions d’élus », Courrier des maires, 15 Novembre 2022 [En ligne]
- « Bizitegia : du logement solidaire pour tout le Pays Basque », vidéo [En ligne]
- « Banca : le premier bail réel solidaire de Bitizegia », vidéo [En ligne]
- « Lokarri : le viager solidaire du Pays Basque », note [En ligne]
- LEFORT Ana, MARION Juliette et TIXIER Jean-Luc, « La nature des droits issus d’un bail réel solidaire (BRS) », Le Moniteur, 8 Février 2021 [En ligne]
- MOREL Hélène, « Les organismes de foncier solidaire face aux contraintes du marché », Métropolitiques, 23 octobre 2023, [En ligne]
- Les organismes de foncier solidaire et le bail réel solidaire, Ministère chargé du logement, 2021 [En ligne]
- Actes de la journée du Réseau National des aménageurs « Faire avec l’existant, un problème ou une solution ? », 31 Mars 2022 [En ligne]
ZAN et stratégies foncières :
- « ZAN : les agences d’urbanisme et EPF s’engagent « pour la sobriété foncière et contre la spéculation” », News Tank Cities, 19 Janvier 2022 [En ligne]
- PORTIER Arnaud, « La réponse foncière à court terme n’est que trop rarement efficace », News Tank Cities, 10 Novembre 2022 [En ligne]
- Institut Paris Région, « Zéro artificialisation nette, un défi sans précédent », Les ateliers du ZAN, Note rapide de l’Institut Paris Région, n°832, Janvier 2020 [En ligne]
- COLOOS Bernard, « Rareté du foncier, limites des politiques », in Constructif, Foncier : fondamentaux et idées neuves, n°57, p. 9 à 12 [En ligne]
- « Urbanisme – Stratégies foncières : les intercommunalités « chefs de file », selon le CGEDD », Localtis, 2014 [En ligne]
- « Vers une architecture du ménagement », Joan Tronto « Caring Architecture », in Critical Care, architecture and urbanism for a broken planet, Angelika Fitz and Elke Krasky Editors, MIT PRESS, 2020, traduit de l’anglais par Joanne Massoubre et Martin Paquot, avec l’autorisation de Joan Tronto, Topophile, 31 janvier 2021 [En ligne]
Projet de réhabilitation du château Daguerre à Tardets-Sorholus :