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Présentation du programme de recherche en actes porté par la Chaire de philosophie à l’hôpital et la Preuve par 7

Texte

Le Laboratoire des Délaissés est un programme de recherche en actes, porté par la Chaire de Philosophie à l’Hôpital et la démarche de la Preuve par 7, dont l’enjeu est de questionner la notion de soin et d’attention en urbanisme, architecture et paysage, entendue au sens large. Inspiré par l’éthique du care, il pose comme hypothèse que les innombrables délaissés – humains, paysagers, construits ou non – dans et avec lesquels nous vivons ont des enseignements à nous offrir et des défis à nous tendre, si nous prenons le temps de les comprendre.

2022 - 2025

Le Laboratoire des Délaissés est un programme de recherche en actes, porté par la Chaire de Philosophie à l’Hôpital et la démarche de la Preuve par 7, dont l’enjeu est de questionner la notion de soin et d’attention en urbanisme, architecture et paysage, entendue au sens large1. Inspiré par l’éthique du care, il pose comme hypothèse que les innombrables délaissés – humains, paysagers, construits ou non – dans et avec lesquels nous vivons2 ont des enseignements à nous offrir et des défis à nous tendre, si nous prenons le temps de les comprendre. Nous prendrons donc ce temps d’écoute et de dialogue, pour repenser ensemble ce que pourraient être les manières de ménager3 nos territoires, et les formes de vie qui les habitent. Nous tenterons de démontrer qu’occuper ces espace-temps et ces espaces construits permet de réinventer le commun.

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Définition de la santé par l’OMS. Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946.

« Un urbanisme pour la santé, c’est un urbanisme pour les habitants. Il met en valeur l’idée que la ville c’est autre chose que des constructions, des rues et des espaces publics, c’est un organisme qui vit, qui respire ; son état de santé est étroitement lié à celui de ses habitants. (…) Il s’inspire de la définition de la santé, prise dans son sens large qui est celle de l’OMS. »

BARTON Hugh et TSOUROU, Urbanisme et santé, un guide de l’OMS pour un urbanisme centré sur les habitants, Rennes, Association S2D., 2004.

« L’état de santé de la population ne dépend pas seulement de la qualité du système de santé qui lui est proposé, mais aussi de ses conditions de vie, de déterminants sociaux, environnementaux et économiques. L’aménagement du territoire et particulièrement la qualité de l’environnement urbain dans lequel cette population évolue influent sur sa santé et son bien-être. (…) En effet, de nombreuses études apportent des éléments de preuve de l’impact de ces choix sur certains déterminants de santé. Ainsi, les problématiques de santé telles que l’obésité, l’asthme, les inégalités de santé, les troubles de la santé mentale (stress, dépression…), l’exposition aux agents délétères (substances nocives, bruit, …), constituent autant d’enjeux contemporains de santé publique étroitement conditionnés par la qualité de l’environnement urbain. »

Ministère des solidarités et de la santé.
Photo prise à l'Hôtel Pasteur illustrant le laboratoire des Délaissés
@Hôtel Pasteur

D’où nous parlons 4

La Preuve par 7 : se fédérer pour transformer les cadres

Nous sommes architectes, urbanistes, paysagistes, designers. Nous pratiquons et nous réfléchissons depuis de nombreuses années, à travers les expériences et expérimentations construites que nous menons sur de multiples territoires, pour améliorer les conditions de vie en commun5. Nous tentons de réinventer des manières de faire6 plus sensées, vertueuses et partagées, avec l’intuition que ces méthodes de travail à partir du « déjà-là »7 ont favorisée une architecture et un urbanisme du lien8 et du soin9.

Pour cela, nous devons sans cesse déjouer, ménager, ou repenser10 les cadres de l’exercice habituel qui incombent à nos disciplines et nos métiers. À partir de nos expériences, nous souhaitons à présent contribuer à la transformation de ces cadres – réglementaires, administratifs, économiques, mais aussi épistémologiques et culturels, pour ouvrir les voies à d’autres acteurs et actrices autour de ces manières de faire.

Pour un droit à l’expérimentation

La Preuve par 7 est une démarche soutenue depuis 2018 par les ministères de la Transition écologique et de la Culture, et avec la participation de la Fondation de France. Elle vise à inscrire dans le réel ce que la loi du 7 juillet 201611 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine considère jusqu’à présent comme une simple « possibilité »12  : expérimenter de nouvelles façons de construire afin de faire évoluer les usages ; mettre le chantier à l’épreuve d’une écologie effective, sans concessions ; retrouver le sens politique de l’acte de construire dans la constitution d’un commun13, matériel (le bâti) et immatériel (l’expérience et les savoirs partagés).

Sept échelles territoriales

La Preuve par 7 intervient à sept échelles de projet à travers la France, qui couvrent tous les contextes territoriaux : le bâtiment public désaffecté, le village, le bourg, la ville, la commune de banlieue, la métropole régionale, et le département d’outre-mer. Ces échelles couvrent une dizaine de sites d’expérimentation et de thématiques, qui montrent en quoi l’acte de construire est un prétexte pour aborder des questions de société : la santé, la jeunesse, le travail, la culture, l’éducation, ou encore la démocratie. La Preuve par 7 accompagne ces projets, qui s’appuient sur des triptyques d’acteurs locaux volontaires : des décideurs politiques, des opérateurs et des « forces vives » publiques ou privées, usagerEs et riverains.

Multiplier les possibles

Si la loi est générale, les territoires, la géographie, les acteurs et actrices, leurs enjeux ne sont pas identiques14. Il s’agit, à travers ces différentes échelles, de travailler sur l’interprétation du droit, et sur ce qu’il y a de commun dans cette diversité. Il s’agit aussi de s’emparer de questions transversales, concernant non seulement la construction mais la vie commune. Parce que les projets qu’accompagne la Preuve par 7 cherchent des réponses à ces questions, elle peut en retour généraliser les réflexions, transmettre les conclusions, tester les solutions à d’autres échelles, dans d’autres lieux. Cette concentration d’expériences a vocation à faire jurisprudence, l’objectif ultime étant de rendre courantes et reconductibles des démarches et des méthodes jugées jusqu’à présent conjoncturelles et atypiques. La documentation de l’expérience et les échanges autour des projets est un précieux outil au service de cette diffusion, qui prend appui sur cette plateforme en ligne. La Preuve par 7 cherche à faire école15 plutôt qu’à faire modèle.

Fondements

Prendre le temps de questionner

La programmation ouverte

Plutôt que de considérer qu’un programme architectural ou urbain est défini en amont du chantier, nous mettons en place une occupation progressive du site du projet, avant le début du chantier, pour révéler ses potentiels usages futurs et les intégrer au programme – qui reste ainsi ouvert. Chaque acte et chaque occupant-e contribuent à la programmation finale et à l’aménagement du bâtiment, et met à l’épreuve le programme. Il s’agit d’un temps actif, vivant, qui s’inscrit dans la durée et dans le territoire, et qui mobilise les volontés de faire sur place. Le programme se teste, la conception s’enrichit, et au fur et à mesure les actes constructifs, même modestes, préparent le chantier.

La permanence de projet

La permanence est au cœur de la méthode de la Preuve par 7. Elle permet de mettre en œuvre la programmation ouverte. Sur le site du projet, un local est ouvert par unE permanentE. Il ou elle devient une figure repérable sur le territoire, qui détient la clef pour ouvrir et mettre en action l’occupation d’une partie du site, en permettant à chacunE – les habitantEs, les associations, les multiples acteurs et actrices du projet… – de trouver une place, de réfléchir et d’agir ensemble. La permanence devient le lieu catalyseur d’une communauté de personnes avec leurs idées et désirs, qui se concrétisent et viennent enrichir la programmation. Le temps long de la permanence16 permet d’accepter les rythmes de chacun et de laisser l’imprévu prendre sa place, pour que les phénomènes ordinaires, par leur bon sens, remettent en question le modèle imposé.

« La permanence architecturale et urbaine me parait aujourd’hui être un levier clef, et maintenant clairement identifié pour accompagner les collectivités. Sans elle, trop éloignés de la commande, l’architecte, l’urbaniste ou le paysagiste ne deviennent qu’un maillon technique en bout de chaîne de la fabrique d’un territoire, et ne peuvent être force de proposition en amont, pour accompagner les compétences de terrain révélées. L’appréhension globale du terrain d’action avec l’usager dans son environnement au cœur du processus de l’acte de bâtir est aujourd’hui plus que nécessaire. »

RICARD Sophie, « La permanence architecturale et urbaine, outil au service des territoires » dans Candidature au Palmarès des Jeunes Urbanistes 2020.
Faire feu de tout bois

La Preuve Par 7 fait le pari que la valeur financière n’est pas l’alpha et l’oméga du projet de territoire : d’autres valeurs sont créées par la transformation, et ce dès le temps du chantier. Au cœur de la démarche, il y a l’association des porteurs du projet avec des acteurs locaux, privés et publics, politiques et associatifs. Cet attelage permet de penser différemment les investissements financiers, de croiser les sources de financement, en faisant le pari de s’appuyer avant tout sur ce qui est déjà présent sur place. L’enjeu est aussi celui de la création de valeur en nature, notamment par la formation, et par la transmission d’un savoir expérimental.

Expérimenter sur le terrain

« Nous avons l’obligation de nous emparer des disparités et diversités de nos territoires afin de répondre au plus juste, au plus proche des besoins, dans une approche systémique et résiliente de la commande. Ne plus vouloir uniformiser et déployer des dispositifs déjà programmés qui visent l’uniformisation dans un gain de productivité, mais travailler à recontextualiser la commande afin qu’elle serve un territoire tout entier tant dans son dessin que dans son usage, dans la méthode de production et la matérialité du bâti pour faire un projet de société. Il nous revient de nous emparer de la commande et de travailler main dans la main avec les maitrises d’ouvrage, les décideurs et la société civile. »

RICARD Sophie, « La permanence architecturale et urbaine, outil au service des territoires » dans Candidature au Palmarès des Jeunes Urbanistes 2020.
Accueillir le vernaculaire

Le vernaculaire, c’est ce qui est quotidien, populaire, local. L’architecture vernaculaire est une démarche qui, portée par le temps long, est modelée par les usages et s’adapte aux enjeux contemporains17. Elle met en valeur les matériaux locaux, mais aussi les savoir-faire spécifiques pour construire ou réhabiliter le patrimoine bâti. La démarche de la Preuve par 7 entend créer des ponts entre savoirs vernaculaires et savoirs savants, en faisant dialoguer concrètement des expertEs académiques et celles et ceux de terrain, qui agissent sur le territoire – éluEs, habitantEs, société civile… Cela se traduit par des temps de rencontres ou journées d’études sur les lieux-mêmes des projets.

L’écologie du déjà-là

Construire durable, c’est respecter la continuité temporelle entre passé, présent et futur. C’est faire le pari que le présent est appelé à jouer un rôle dans l’avenir. La friche, le lieu apparemment vacant, le lieu à venir sont entourés de voisins et voisines qui pratiquent cet espace et le façonnent. L’écologie du déjà-là18 engage à considérer les sites de projets comme des territoires déjà marqués par une histoire, un sol, et inscrits dans des réseaux. Il s’agit de prendre en compte ces aspects, de les travailler, de les vivre, de les préserver et de leur donner leur place dans le projet à venir.

Construire collectivement

Réunir : un partenariat public-privé vertueux

La chaîne traditionnelle de l’aménagement doit évoluer : la répartition des rôles entre le public qui définit la stratégie et la contrôle via les autorisations d’urbanisme, et le privé qui l’applique et construit est à revoir. De nouveaux acteurs et actrices émergent et gagnent en légitimité : collectifs d’habitantEs, de praticienNEs ou d’acteurs et actrices, structures coopératives regroupant investisseurs publics et privés, groupements d’associations et de petites structures aux compétences urbanistiques pas toujours définies… La Preuve par 7 réfléchit aux outils juridiques19, économiques et réglementaires qui permettent de construire une autre façon de travailler ensemble à la transformation du territoire, dans une démarche démocratique mobilisatrice20 qui fasse primer l’intérêt général.

Raconter pour faire école

« Pour apprendre il faut d’abord comprendre. Pour cela il faut commencer par voir, étudier ce qu’il y a sous nos yeux. »

RECLUS Élisée, KROPOTKINE Pierre et PERRON Charles, La joie d’apprendre, Genève, Editions Héros-Limite, 2018.

La fabrique des territoires, c’est aussi la fabrique de l’espace politique que les citoyenNEs ont en partage. La Preuve par 7 considère que les chantiers doivent tenir un rôle de formation et de transmission. Chaque chantier fonctionne ainsi comme une université foraine, capable tout à la fois de mener une expérimentation singulière et d’en rendre compte à la communauté. En plus de construire différemment, il s’agit d’expliquer, d’illustrer, de raconter pour donner envie à celles et ceux qui désirent le changement, mais aussi pour invalider les craintes de celles et ceux qui le croient impossible.

Le laboratoire

Prendre soin des humains, du vivant et des lieux

Pour ce programme de recherche, nous souhaiterions poser collectivement la question : qu’est-ce que prendre soin en urbanisme, architecture et paysage ? En quoi cela peut-il réinterroger profondément les manières de faire instituées ? Nous avons l’intuition que la philosophie du care et le sens de nos démarches et pratiques se rejoignent à certaines intersections, mais nous souhaiterions engager plus en profondeur cette réflexion, pour ouvrir les possibles et affiner les ancrages et enrichissements mutuels de nos disciplines. Pour poser nos hypothèses, nous proposons un texte d’intentions, qui pourrait servir de « plan-guide », de trame de fond à nos interrogations durant ce laboratoire :

Prendre soin, c’est prendre sa part, c’est peut-être s’engager.

Prendre soin, c’est comprendre que l’architecture est un tout, et ne peut plus se contenter de répondre aux différentes normes et réglementations uniformisées qui la composent.

Prendre soin, c’est re-territorialiser la commande, pour lui permettre de répondre au plus juste et plus proche des besoins, à partir du déjà-là.

Prendre soin, c’est déjà faire l’état des lieux, redonner une valeur au déjà-là, comprendre, regarder et interpréter les différentes valeurs d’usage à partir de ce qui existe.

Prendre soin, c’est favoriser un urbanisme vivrier, capable d’innerver et de servir un territoire dans toutes ces composantes matérielles et immatérielles.

Prendre soin, c’est se rassembler à l’endroit même où le sujet se pose, et écouter plusieurs voix issues des différentes formes de savoirs qu’ils soient savants ou pratiques.

Prendre soin, c’est comprendre que l’enseignement doit sortir des murs et se confronter à la réalité du quotidien, dans la diversité des territoires afin de mieux appréhender l’avenir.

Prendre soin c’est faire l’école du dehors, l’école de la pratique, l’école de l’expérience pour analyser, comprendre et mieux réparer ou mieux inventer.

Prendre soin, c’est permettre que nos espaces, nos villes, nos territoires, nos architectures puissent accueillir l’autre dans une programmation ouverte sans jugement.

Prendre soin c’est faire l’état des lieux et des hommes, réparer ce qui existe pour peut-être se réparer soi-même.

C’est faire en sorte que chaque chantier devienne un lieu ouvert, le lieu du faire et de la rencontre, le lieu d’échange de savoir, de formation, d’application et d’insertion non seulement professionnelle mais aussi culturelle.

Prendre soin, c’est s’occuper de restaurer la confiance pour éviter les défiances envers toutes choses, tous êtres et tout système. La confiance ne se décrète pas, elle se construit dans le temps long.

Prendre soin, c’est par cette confiance retrouvée, restaurer la légitimité de nos institutions mais aussi l’ouvrir pour que d’autres corps de gouvernances puissent voir le jour.

C’est donc inventer de nouveaux modèles de gouvernances, plus coopératif, contributif en remettant la responsabilisation sociale au cœur du fonctionnement de nos institutions, en redonnant les clefs aux citoyenNEs.

Prendre soin c’est remettre la commande publique au cœur du processus d’activation de nos démocraties locales.

C’est donner cette commande à d’autres, participer à l’émancipation sociale, économique, culturelle et politique en expérimentant.

C’est expérimenter de nouvelles manières de faire nos territoires collectivement, restaurer la confiance entre acteurs et instaurer un nouveau contrat social pour que chacunE puisse prendre sa part à la vie de la cité.

Prendre soin, c’est peut-être retrouver le goût de du risque face aux expertises et compétences figées dans les normes, et travaillant en silo.

Prendre soin c’est laisser advenir l’imprévu, l’accueillir et lui faire une place. C’est considérer l’hospitalité comme un besoin vital à l’évolution de nos sociétés.

Prendre soin c’est prendre le temps de la confiance pour essayer et faire preuve, avant de préjuger et de figer les choses.

Sophie Ricard

Une école des cas

« Ne plus considérer les bâtiments comme des « choses » mais comme un tissu de relations continues – dans le temps et dans l’espace – avec un environnement, des individus, une faune et une flore, transforme fondamentalement l’intention architecturale. »

Sophie Ricard

Pour nous, le projet architectural, urbain ou de territoire est en premier lieu un site qui réunit des intentions et des actes. Nous l’observons, le travaillons et le considérons donc principalement comme un laboratoire sociétal. Durant ce programme de recherche, nous envisagerons donc chaque site de projet comme un potentiel lieu d’enseignement.

Apprendre des délaissés

« Délaissé : 1. Être laissé à l'abandon, sans soin : Terres délaissées. 2. Être laissé sans affection, être seul, abandonné ou négligé, en parlant de quelqu'un. »

Définition de « délaissé », Larousse.

Pour structurer nos réflexions, nous prenons comme appui méthodologique le postulat selon lequel les innombrables délaissés de nos sociétés contemporaines ont des choses à nous apprendre. Nous pensons ici aux délaissés architecturaux, spatiaux, urbanistiques, botaniques ou paysagers dénommés « friches », qui sous-tendent de fait l’urbanisation. En parcourant nos territoires, il est évident que nos métropoles ne peuvent exister que par rapport à leurs négatifs : les espaces tiers, la périphérie, les marges, les forêts, les champs, le péri-urbain, les campagnes, les zones industrielles et artisanales. Mais nous pensons aussi aux délaissés humains (délaissé en revenus et en droits), et aux temps délaissés (les temps de la vie dont s’occupent certains dispositifs sociaux, d’insertion, économiques ou culturels). Nous prenons donc le pari d’observer cet « inverse du soin », ces différentes marges dans lesquelles le soin n’est plus, ou ne fonctionne pas, pour d’une part essayer de comprendre les dysfonctionnements qui les ont générées, et d’autre part observer leur inventivité en puissance21 - ou leur résilience sous contrainte22. Comme nous l’avons déjà initié autour de questions d’espèces biodiversité23, nous souhaitons nous saisir de ces temps de la vie oubliés des instances et des dispositifs de politique publique, pour repenser notre façon de faire société.

Penser dans les creux

« Ce sont justement les valeurs d'usage non-marchandes qui constituent le pivot de toute culture viable à long terme. »

ILLICH Ivan, « Le chômage créateur » dans Œuvres complètes Volume II, s.l., Fayard, 2005, p. 35.

Si bien évidemment l’abandon de ces temps, lieux et humains par la puissance publique est à déplorer, nous nous baserons sur ce que ces économies et ces cultures modernes de subsistance24 peuvent apporter à nos démocraties. En bousculant les cadres et les normes établies, les pratiques que nous observons nous aident à travailler et à transformer le socle commun – économique, politique, social, culturel, que nous devons faire évoluer. Par exemple, comment travailler sur d’autres formes de valeurs que la valeur économique de marché, à partir d’espaces et de temps de la vie délaissés ? Comment démontrer que certaines manières de vivre génèrent une forme de liberté et d’émancipation au regard de nos espaces contraints par la norme et la réglementation, par des programmes et des procédures de spécialisations figés ? Comment ces espaces peuvent-ils même devenir des lieux de reconstruction et de prévention, en laissant place à l’émancipation sociale et culturelle ?

Séminaires de cours

De septembre 2022 à juin 2023, les cours mensuels auront lieu à l’Hôpital Sainte-Anne à Paris. L’enjeu, à chaque cours, sera de produire une réflexion collective avec plusieurs acteurs et actrices, autour de l’expérience d’un cas concrets - un sujet de terrain, une situation concrète. Les terrains de recherches associés pour ces cours seront soit des cas ayant déjà fait leur preuve, soit des sujets en cours d’élaboration. Nous explorerons la notion de soin à partir des délaissés, en étudiant des manières de faire expérimentales ancrées dans les méthodes déployées par la Preuve par 7, telle une recherche-action sur le terrain, une recherche en actes.

Le rôle des récits

« Le récit est apprentissage. C’est l’élément essentiel de l’action et même de l’expérimentation, car le récit nous permet d’analyser, assimiler, ce que nous faisons et d’en prendre acte pour faire évoluer (ou non) nos actions à venir. »

ROUX Benjamin, L’art de conter nos expériences collectives: faire récit à l’heure du storytelling, Rennes, Éditions du commun, 2018.

Les expérimentations que nous accompagnons et qui seront étudiées dans le cadre du laboratoire y seront explicitées sous forme de récits, pour permettre à chacunE de se saisir des multiples enjeux soulevés. Ces récits feront d’une part office d’apprentissage et de prise de recul pour les acteurs et actrices qui les portent, et serviront de support à la discussion que nous entamerons avec les intervenantEs.

Mises en dialogues

Nous tenterons de nous éloigner d’un format de cours docte et surplombant, au vu des sujets que nous traitons et des méthodes que nous portons. Les cours seront donc structurés sous forme de dialogue entre des duos d’acteurs et actrices, pour faire se répondre des paroles « savantes » (au sens de l’expérience d’une recherche théorique sur un sujet), et des paroles « sachantes » (au sens de la pratique du sujet sur le terrain même du projet), afin de former les contours d’une expérimentation en actes. Nous ferons intervenir une diversité d’acteurs et actrices du réseau de projets et de pensées de la Preuve par 7, ainsi que d’autres invitéEs, chercheurs et chercheuses et théoricienNEs issuEs des nouveaux réseaux de notre plateforme en cours d’élaboration.

Des études de cas territorialisées

Réfléchir à partir des cas de terrains, d’objets concrets et singuliers, en réunissant une diversité d’acteurs qui ont un intérêt particulier à redéfinir à partir de ce cas d’étude leur pratique dans un cadre commun. Faire cours sur un sujet thématisé à partir d’un contexte et d’une problématique de territoire très localisée, soulevée par les acteurs et actrices impliquéEs. Pour cela, nous nous appuyons sur les différents terrains d’expérimentation que nous accompagnons, et les sites de nos partenaires associés cités plus bas qui ont mis en œuvre ou qui expérimentent, à partir d’un délaissé, une autre façon de construire et donc d’habiter et de vivre leur territoire.

Lancement

Entamer la conversation

Le 15 Septembre 2022 au CNAM à Paris, nous lançons le démarrage du Laboratoire des Délaissés au Conservatoire National des Arts et Métiers. L’enjeu est de rassembler les réseaux d’actions et de pensées, les différents champs disciplinaires, les différentes cultures – celles avec lesquelles nous travaillons depuis des années, et celles avec qui nous allons travailler au sein du Laboratoire. Architectes, urbanistes, acteurs et actrices des champs scientifiques, du médico-social (santé sociale/santé mentale/insertion des populations…) : nous nous retrouvons, échangeons pour entamer la conversation, le temps d’une matinée et d’un déjeuner partagé.

Ouverture

Rapprocher les écoles de pensées – Proof of concept, l’expérimentation face à la loi
  • Conversation entre Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, titulaire de la Chaire de Philosophie à l’Hôpital et Patrick Bouchain, architecte constructeur, fondateur de la Preuve par 7.
  • Présentation du Laboratoire des Délaissés par Sophie Ricard et Édith Hallauer.
  • Récit-étude d’un cas concret : expérimenter une programmation ouverte dans une ancienne faculté des sciences en plein centre-ville

Le cas de l’Hôtel Pasteur à Rennes - L’appropriation d’un délaissé urbain peut-il faire acte de soin ?

À partir du récit à plusieurs voix de la programmation ouverte à l’Hôtel Pasteur avec « L’Université Foraine » qui a donné lieu à une commande d’un nouveau genre par la mise à l’épreuve d’un bâtiment par l’usage, nous étudierons comment la réouverture et l’occupation progressive d’une ancienne faculté des sciences a pu redevenir un temps et un espace clef dans la vie des exclus, et dans le travail commun de nos institutions sociales et de santé par le rassemblement des acteurs et actrices. La commande publique et la fabrique de la ville peuvent-elles redevenir un corps d’action sociétal ? Peut-on se reconstruire en construisant ensemble à partir du déjà là ? Comment rassembler nos institutions autour d’une problématique urbaine et sociale qu’est la vacance patrimoniale face aux besoins immédiats de société ? Qu’est-ce que cela génère du point de vue du lieu lui-même, de son statut, de sa programmation, de sa gouvernance et de ses usages ? Comment la commande publique peut redevenir un levier identifié pour faire de l’acte de construire un projet de société ? Comment l’acte de construire peut nous restaurer dans nos puissances d’agir ?

Avec : Sophie Ricard (permanence architecturale de l’Hôtel Pasteur), Philippe le Ferrand (équipe mobile précarité et psychiatrie de l’Hôpital Psychiatrique Guillaume Régnier), Erwan Godet (Breizh Insertion Sport). Animation par Édith Hallauer.

En savoir plus

CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES ARCHITECTES, « « Permis de faire » : la voie est ouverte », 12 mai 2017 [En ligne].
ASSOCIATION HÔTEL PASTEUR ET MICHALAK Anna, Permis de se reconstruire – un chantier de remobilisation au sein du bâtiment Pasteur à Rennes, Rennes, 2020.
BARTON Hugh et TSOUROU, Urbanisme et santé, un guide de l’OMS pour un urbanisme centré sur les habitants, Rennes, Association S2D., 2004.
BOUCHAIN Patrick, Construire autrement : comment faire ?, Arles, Actes Sud, 2006.
BOUCHAIN Patrick, BLANCKAERT Marie, CATSAROS Christophe, HALLAUER Édith, RICARD Sophie et WALDSCHMIDT Pascal, Pas de toit sans toi : réinventer l’habitat social, Arles, Actes Sud, 2016.
Collectif, « Les Actes de Venise / C’est quoi Pasteur en 2020 ? Laboratoire de travail du 19 au 25 août 2018 ».
DEGEORGES Patrick et NOCHY Antoine, La Forêt des délaissés – l’Atelier, Paris, Institut Français d’architecture, 2000.
DELIGNY Fernand, Graine de crapule, Paris, Dunod, 1998.
FLEURY Cynthia, Ci-gît l’amer : guérir du ressentiment, Paris, Gallimard, 2020.
FLEURY Cynthia, Le soin est un humanisme, Paris, France, Gallimard, 2019.
FREDRIKSSON Sylvia, « Praxis du droit et design des instances » dans Juristes embarqués, la créativité réglementaire pour les tiers-lieux créateurs de communs, p. 190, Paris, ANCT, France Tiers-Lieux, 27e Région, 2021.
GUATTARI Félix, Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989.
HALLAUER Edith, Du vernaculaire à la déprise d’œuvre : Urbanisme, architecture, design, Université Paris-Est, Champs-sur-Marne, 2017.
HALLAUER Édith, « Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? » dans Métropoles, n° 17, 15 décembre 2015 [En ligne].
ILLICH Ivan, « Le chômage créateur » dans Œuvres complètes Volume II, s.l., p. 23-90, Fayard, 2005.
LATOUR Bruno, « Il n’y a pas de monde commun : il faut le composer » dans Multitudes, n°45, p. 38-41, 2011 [En ligne].
MOTTA Liliana et collectif, Le Laboratoire du Dehors, Paris, De-Hors, 2013.
NICOLAS-LE STRAT Pascal, Le travail du commun, Saint Germain sur Ille, Éditions du commun, 2016.
PRUVOST Geneviève, Quotidien politique : féminisme, écologie et subsistance, Paris, la Découverte, 2021.
PUIG DE LA BELLACASA María, Les savoirs situés de Sandra Harding et Donna Haraway: science et épistémologies féministes, Paris, l’Harmattan, 2014.
RAHNEMA Majid et ROBERT Jean, La puissance des pauvres : essai, Arles, Actes Sud, 2012.
RECLUS Élisée, KROPOTKINE Pierre et PERRON Charles, La joie d’apprendre, Genève, Editions Héros-Limite, 2018.
RICARD Sophie, « La permanence architecturale et urbaine, outil au service des territoires » dans Candidature au Palmarès des Jeunes Urbanistes 2020.
ROUX Benjamin, L’art de conter nos expériences collectives: faire récit à l’heure du storytelling, Rennes, Éditions du commun, 2018.
SORMAN Joy, L’inhabitable, Paris, France, L’arbalète Gallimard, 2016.
TOSQUELLES François et MASÓ ILLAMOLA Joana, Soigner les institutions, traduit par Pascale Bardoulaud, Antoine Viader, Renée Bonifias, Annie Bats et Sandra Álvarez de Toledo, Paris, L’Arachnéen, 2021.
C. TRONTO Joan, « Vers une architecture du ménagement » dans Topophile, traduit par Martin Paquot, 31 janvier 2021 [En ligne].
LOWENHAUPT TSING Anna, Le champignon de la fin du monde: sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, traduit par Philippe Pignarre, Paris, La Découverte, 2017.
« Décret n° 2017-1044 du 10 mai 2017 portant expérimentation en matière de construction ».

Notes de bas de page
  1. GUATTARI Félix, Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989.
  2. LOWENHAUPT TSING Anna, Le champignon de la fin du monde: sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, traduit par Philippe Pignarre, Paris, La Découverte, 2017.
  3. C. TRONTO Joan, « Vers une architecture du ménagement » dans Topophile, traduit par Martin Paquot, 31 janvier 2021 [En ligne].
  4. PUIG DE LA BELLACASA María, Les savoirs situés de Sandra Harding et Donna Haraway: science et épistémologies féministes, Paris, l’Harmattan, 2014.
  5. Les expérimentations évoquées ici sont celles de l’association Notre Atelier Commun, dénommées le « chantier acte culturel », le « 1 % scientifique », les « permanences architecturales », « Construire Ensemble le Grand Ensemble », ou encore les « Universités Foraines ».
  6. BOUCHAIN Patrick, Construire autrement : comment faire ?, Arles, Actes Sud, 2006.
  7. MOTTA Liliana, Le Laboratoire du Dehors, Paris, De-Hors, 2013.
  8. BOUCHAIN Patrick, BLANCKAERT Marie, CATSAROS Christophe, HALLAUER Édith, RICARD Sophie et WALDSCHMIDT Pascal, Pas de toit sans toi : réinventer l’habitat social, Arles, Actes Sud, 2016.
  9. FLEURY Cynthia, Le soin est un humanisme, Paris, France, Gallimard, 2019.
  10. Collectif, « Les Actes de Venise / C’est quoi Pasteur en 2020 ? Laboratoire de travail du 19 au 25 août 2018 ».
  11. « Décret n° 2017-1044 du 10 mai 2017 portant expérimentation en matière de construction ».
  12. CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES ARCHITECTES, « « Permis de faire » : la voie est ouverte », 12 mai 2017 [En ligne].
  13. NICOLAS-LE STRAT Pascal, Le travail du commun, Saint-Germain-sur -Ille, Éditions du commun, 2016.
  14. LATOUR Bruno, « Il n’y a pas de monde commun : il faut le composer » dans Multitudes, n°45, p. 38-41, 2011 [En ligne].
  15. TOSQUELLES François et MASÓ ILLAMOLA Joana, Soigner les institutions, traduit par Pascale Bardoulaud, Antoine Viader, Renée Bonifias, Annie Bats et Sandra Álvarez de Toledo, Paris, L’Arachnéen, 2021.
  16. HALLAUER Édith, « Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? » dans Métropoles, n° 17, 15 décembre 2015 [En ligne].
  17. HALLAUER Edith, Du vernaculaire à la déprise d’œuvre : Urbanisme, architecture, design, Université Paris-Est, Champs-sur-Marne, 2017.
  18. MOTTA Liliana, Le Laboratoire du Dehors, Paris, De-Hors, 2013.
  19. FREDRIKSSON Sylvia, « Praxis du droit et design des instances » dans Juristes embarqués, la créativité réglementaire pour les tiers-lieux créateurs de communs, p. 190, Paris, ANCT, France Tiers-Lieux, 27e Région, 2021.
  20. FLEURY Cynthia, Ci-gît l’amer : guérir du ressentiment, Paris, Gallimard, 2020.
  21. RAHNEMA Majid et ROBERT Jean, La puissance des pauvres : essai, Arles, Actes Sud, 2012.
  22. DELIGNY Fernand, Graine de crapule, Paris, Dunod, 1998.
  23. DEGEORGES Patrick et NOCHY Antoine, La Forêt des délaissés – l’Atelier, Paris, Institut français d’architecture, 2000.
  24. PRUVOST Geneviève, Quotidien politique : féminisme, écologie et subsistance, Paris, la Découverte, 2021.