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Le CAUE du Finistère

Une association met en place, à l’échelle d’un département, des « résidences de programmation active » pour accompagner trois communes dans leurs projets d’aménagement

En résumé

Initiateur de la démarche : CAUE du Finistère
Commanditaires : Communes de Carantec, Combrit Sainte-Marine et Plouezoc’h
Architectes en résidence : Virginie Terroitin et Maddalena Pomaro, association l’Amicale à Carentec ; Noémie Corbel, Estelle Sauvaitre et Adrien Ory, atelier Socle à Combrit Sainte-Marine; Perrine Carriou, Valentine Letellier, Estelle Roussel, association Lost&Find, et Guillaume Join-Tremeur, association Lieux Architectes, à Plouezoc’h
Durée : 6 semaines réparties sur 6 mois
Budget de la résidence : 20 000€ TTC financés sur fonds propres par la commune sous forme de convention tripartite avec le CAUE et le professionnel en résidence

  • Rémunération forfaitaire : 15 000€
  • Production : 5 000€

Hébergement et espace de travail : mise à disposition par la commune
Temps consacré par le CAUE à l’accompagnement d’une résidence : une semaine pour la préparation de l’appel à résidence, une semaine pour l’accompagnement (participation aux comités de pilotage, échanges ponctuels, communication…), trois jours pour la valorisation et l’accompagnement des sites, soit environ deux semaines et demie par résidence.

Chronologie synthétique

Novembre 2021 : appel à candidature par le CAUE pour les trois « résidences de programmation active » à Carantec, Combrit Sainte-Marine et Plouezoc’h
Février-juillet 2022 : résidences des architectes
Octobre 2022 : restitution croisée du travail des trois résidences

Localisation

Des bras en plus

Rédaction : L’École du terrain, octobre 2022
Entretiens avec Margaux Milhade et Nicolas Duverger / CAUE Finistère

Trois communes du Finistère, Carantec, Combrit Sainte-Marine et Plouezoc’h, se sont engagées dans des projets d’aménagement urbains complexes : la transformation d’une ancienne salle de sport au milieu d’un site naturel exceptionnel ; le devenir de plusieurs bâtiments et terrains communaux pour dynamiser un centre-bourg sous pression immobilière ; et l’aménagement, sur un espace communal, de lieux dont les usages sont encore à déterminer. Désireuses d’être accompagnées, elles se tournent alors vers le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) de leur département, qui leur répond par une proposition originale.

Instaurés en 1977 par la loi sur l’architecture – qui en fait une « expression de la culture », et des constructions créatives et de qualité un « intérêt public » – les CAUE ont pour objectif, dans chaque département, de conseiller les particuliers et d’accompagner les collectivités dans leurs projets d’aménagement. Le CAUE a un statut hybride : c’est une association de droit privé assurant une mission de service public, créée à l’initiative du conseil départemental et présidée par unE éluE localE. Au sein de son conseil d’administration siègent des éluEs, des représentantEs de l’État et des professions concernées (architectes, paysagistes, urbanistes…). Une large part de son budget est couverte par la taxe d’aménagement perçue par le Département sur les opérations de constructions. Le CAUE n’est donc pas un service déconcentré de l’État mais ses missions, sa composition et son financement en font un véritable outil politique territorial.

L’équipe du CAUE du Finistère - © CAUE Finistère

Le CAUE du Finistère a beau être l’un des plus jeunes (il a moins de dix ans) et des plus modestes (neuf salariés dont cinq architectes et trois paysagistes) il a décidé de prendre à bras le corps son rôle de tisseur de liens, de permanent architectural sur le long terme à l’échelle d’un département : liens territoriaux (le CAUE est implanté dans un territoire dont les équipes connaissent, avec le temps, le moindre recoin) ; liens politiques (ils connaissent et accompagnent les éluEs, souvent sur plusieurs mandats) ; liens institutionnels (sa composition et sa position à juste distance de l’État et des éluEs locaux et locales lui permet de rassembler divers services autour d’un projet) ; liens sociaux enfin (il met en place des outils pour soulever la participation des citoyenNEs aux projets d’aménagement publics).

C’est justement sur ce dernier point que le CAUE du Finistère s’est montré le plus original, en décidant de lancer des appels à résidence d’architectes dans les trois communes désireuses d’être accompagnées dans la définition de projets complexes.

Illustration PAF!
Trois résidences architecturales de Programmation Active en Finistère (PAF!) © CAUE Finistère

Comment donc le CAUE du Finistère, structure pourtant modeste, peut-elle mettre en place un outil qui accompagne la construction de projets publics ? Comment, grâce à cette « résidence de programmation active », promeut-il une pratique architecturale renouvelée par rapport à celle de l’État, des collectivités territoriales ou des opérateurs sociaux, d’aménagement ou immobiliers, qu’il peut sensibiliser en retour par l’expérience ?

De la permanence architecturale à la résidence de programmation active

Au CAUE du Finistère, l’idée d’une résidence architecturale vient du constat que, sur certains sujets, « pour faire émerger des projets sur-mesure, atypiques et partagés, il faut passer plus de temps, sur place, pour comprendre finement les spécificités des lieux et des acteurs et actrices qui gravitent autour et projeter des scénarios d’usages appropriés », raconte Margaux Milhade, qui y est architecte. Elle vient surtout d’une nécessité : le CAUE n’a pas vocation à être en permanence sur le terrain (il n’en a pas la capacité) mais souhaite plutôt impulser et soutenir des pratiques expérimentales. 

Mais l’idée vient d’abord d’une histoire : avant de rejoindre le CAUE du Finistère, Margaux Milhade fut, un an durant, permanente architecturale à Bataville dans le cadre du laboratoire de l’Université Foraine lancé par Patrick Bouchain, pour imaginer l’avenir de ce haut lieu industriel. Elle devint ensuite l’une des résidentes du laboratoire des territoires imaginé par Territoires pionniers | Maison de l’architecture Normandie.

Le CAUE n’a pas vocation à être en permanence sur le terrain mais souhaite plutôt impulser et soutenir des pratiques expérimentales.

Implantées dans les grandes villes, les 32 maisons de l’architecture de France sensibilisent le grand public aux enjeux de l’architecture et de l’urbanisme. Certaines d’entre elles organisent notamment des résidences culturelles avec unE architecte et unE professionnelLE (paysagiste, urbaniste, photographe, cuisinier...) dont les rendus sont variés (film, reportage photo...). « Il ne s’agit pas d’une permanence architecturale au long court, comme le précise Elisabeth Taudière, directrice de Territoires Pionniers | Maison de l’architecture Normandie, au sens où les architectes n’accompagnent pas un projet architectural ou urbain à construire, mais interviennent en amont donnant à voir le déjà-là ». Dans le cadre de sa résidence avec la Maison de l’architecture de Normandie, Margaux Milhade1 eut pour terrain le cas de Valdallière, commune nouvellement créée suite à la fusion de quatorze municipalités, dont le regroupement des services administratifs questionnait le devenir de leurs mairies, désormais sous-exploitées. Mais elle fit glisser la résidence artistique vers une permanence pré-opérationnelle, plus technique. Elle réussit à convaincre les communes de profiter de ces lieux rituels de la démocratie locale pour initier une gouvernance plus partagée et pour les réinvestir en maisons communes, lieux de proximité et de rassemblement. La résidence eut une suite : Margaux Milhade répondit, en effet, à un appel d’offre de la commune afin d’assurer, à la suite, une permanence d’un an pour une programmation ouverte de ces anciennes mairies.

Vue du groupe dans le gymnase
Résidence à Carantec. Objectif : réfléchir collectivement aux futurs usages de la salle du Kelenn © Association l’Amicale

La résidence comme outil de démocratie collaborative et d’appui technique

L’architecte Margaux Milhade put mettre cette expérience à profit lorsqu’elle intégra le CAUE du Finistère, reprendre la temporalité (six semaines réparties sur six mois) et cette manière de faire qu’est la résidence tout en en transformant la visée : de culturelle, elle devient ici plus technique et pré-opérationnelle.
« Nous avons proposé le format de résidence PAF ! à des communes qui étaient venues nous chercher sur des sujets de transformation d’espaces complexes et ambitieux, avec une volonté d’ouverture et d’intégration des futurEs usagers et usagères à la réflexion ». Les communes financent les 20 000€ de résidence et mettent à disposition un hébergement et un espace de travail pour deux personnes.

Cet outil de la résidence architecturale permet au CAUE du Finistère de pratiquer une « médecine de campagne », douce, et d’avoir le rôle de « Sécurité sociale de l’architecture ».

Pour les trois résidences de cette première saison, vingt-cinq équipes ont candidaté. La sélection de trois ou quatre équipes par commune, puis les auditions aux termes desquelles une équipe est choisie sont conduites par un jury composé des éluEs de chaque ville et de quelques professionnelLEs, dont l’avis est consultatif. Les trois équipes retenues sont des architectes trentenaires. La résidence PAF ! est un outil en capacité de donner à de jeunes architectes un accès à ces nouvelles manières de faire. Elle est dimensionnée pour une équipe de deux personnes, à laquelle s’ajoute parfois d’autres professionnelLEs. Une convention tripartite est signée entre le CAUE, la commune et l’agence en résidence.

« Nous travaillons sur des sujets qu’il faut vraiment démêler, très compliqués, où il y a plein d’acteurs et actrices et où il faut vraiment impliquer la population. Dans ce cas-là, on a besoin de prendre un peu plus de temps en phase pré-opérationnelle, il y manque une pièce du puzzle, et ça peut être la résidence », explique Margaux Milhade. La résidence devient, dès lors, un outil comme autant de bras en plus pour les communes encadrées par un CAUE, véritable permanent architectural à l’échelle du département. « Sur presque tous les terrains, il y a déjà des études qui ont été faites. Nous nous intégrons au milieu d’un processus. Nous arrivons avec beaucoup de matière, nous organisons le recrutement de la personne en permanence et la lui confions en accompagnant le processus. L’idée est de terminer la résidence avec une feuille de route vers l’opérationnel. Il y a vraiment un objectif, même si ce n’est pas trop fermé : les livrables ne sont pas trop décrits mais il faut une feuille de route et une projection vers l’avenir. Nous l’avons orientée davantage en pré-opérationnel, avec éventuellement la définition d’une commande ». Le CAUE a ainsi choisi ces trois projets dans lesquels il s’investit davantage : outre l’appel à résidence et l’encadrement du permanent ou de la permanente sur place, l’équipe est présente jusqu’au recrutement de la maîtrise d’œuvre2 ou du programmiste. L’engouement des architectes est déjà là puisque les trois appels à résidence ont reçu de nombreuses candidatures, que de nouvelles résidences de programmation active seront lancées l’année prochaine et que d’autres CAUE se montrent intéressés par la démarche.

Le CAUE devient, dès lors, ce tiers-acteur entre les citoyenNEs et les éluEs ; entre les éluEs et les services déconcentrés de l’Etat qui « doivent être de véritables alliés de la petite échelle » ; et, entre éluEs.

Résidence à Combrit. Objectif : réfléchir collectivement à la dynamisation du centre-bourg et de l’avenir des bâtiments communaux © Atelier Socle

Face à une politique nationale très normée et uniformisée ; à la complexité, pour unE éluE, d’entreprendre un projet de transformation architecturale plutôt que de construire du neuf sur un terrain vacant ; et à la nécessité de transformer l’existant plutôt que de mener une politique de la table rase, cet outil de la résidence architecturale permet au CAUE du Finistère de pratiquer une « médecine de campagne », douce, et d’avoir le rôle de « Sécurité sociale de l’architecture » que Nicolas Duverger, son directeur, entend lui faire jouer. « Le programme PAF ! est un laboratoire démonstrateur de manières alternatives de construire les projets, et d’abord la permanence architecturale, et un espace-temps de recherche sur la question du programme architectural3 ». Le CAUE devient, dès lors, ce tiers-acteur entre les citoyenNEs et les éluEs ; entre les éluEs et les services déconcentrés de l’Etat qui « doivent être de véritables alliés de la petite échelle » ; et, entre éluEs. Margaux Milhade et Nicolas Duverger le disent bien : « On connaît à peu près toutes les communes du département, on travaille avec elles et au fil des années, il y a des confiances qui se créent. On peut voir la progression mais aussi les échecs. On voit les résultats qui deviennent tangibles au bout de quelques années sur le territoire. Cette posture est précieuse et d’une certaine manière très peu onéreuse, puisqu’on ne coûte que cinquante à cent euros d’abonnement par an aux communes4, pour pouvoir être accompagnant et facilitateur de manières de faire. Ce qui est plus difficile, c’est que nous avons énormément de communes à gérer. Mais ces expériences de résidence peuvent infuser, notamment auprès des communes rurales qui ont les mêmes problématiques. Elles permettent que se mettent en place des échanges entre les éluEs à l’échelle départementale, une culture commune sur le temps long ».

Résidence à Plouezoc’h. Objectif : réfléchir collectivement à l’avenir de l’ancienne école © Ateliers Lieux et Lost&Find

L’expérience est encore neuve. C’est peut-être pourquoi Nicolas Duverger conclut modestement faire du bricolage. Mais le mot est à prendre au sérieux. Et même à réhabiliter. L’anthropologue Claude Lévi-Strauss distingue, en effet, l’ingénieur du bricoleur5. À l’inverse du premier, qui procède par concepts, « cherche toujours à se situer au-delà » et ne peut travailler sans outils conçus à la mesure de son projet, le bricoleur a une règle du jeu : toujours s’arranger avec l’existant. « Apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées », le bricoleur se sert d’outils « à demi particularisés : suffisamment pour qu’il n’ait pas besoin du savoir de tous les corps d’état ; mais pas assez pour que chaque outil soit astreint à un emploi précis et déterminé ». En somme, des outils et des usages ouverts et généralisables, quoique toujours territorialisés (en l’occurrence, ici, la résidence). Face aux concepts de l’ingénieur, qui se veulent « transparents à la réalité », les productions du bricoleur « acceptent, et même exigent, qu’une certaine épaisseur d’humanité soit incorporée à cette réalité ». Une « certaine épaisseur d’humanité », c’est bien justement ce que permettent tous les liens innervés par le CAUE entre les différents acteurs de son département. Mais la résidence n’est pas qu’action, elle est aussi étude. Dès lors, nous revenons au début de l’histoire et à l’inspiration artistique des résidences de la maison de l’architecture. Et Lévi-Strauss de conclure : « tout le monde sait que l’artiste tient à la fois du savant et du bricoleur ».

Références documentaires
Finistère : Appel à résidences - PAF, 2022
Finistère : Appel à résidences - PAF, 2022 • Texte
Texte

Appel à candidature du CAUE du Finistère pour des résidences architecturales dans trois villages du Finistère qu'il accompagne dans leurs projets d'aménagement.

Finistère : Convention tripartite - Résidence PAF Plouezoch, 2022
Finistère : Convention tripartite - Résidence PAF Plouezoch, 2022 • Texte
Texte

Convention tripartite entre le CAUE du Finistère, la commune de Plouezoc'h et l'architecte mandataire encadrant la résidence architecturale.

En savoir plus
Notes de bas de page
  1. En binôme avec Camille Frechou, paysagiste-conceptrice, accompagnées de Loan Calmon, réalisateur et de Maxime Canelli, cuisinier.
  2. Le maître d’œuvre désigne la personne physique ou morale, qui, en raison de sa compétence technique, est chargée par le maître de l’ouvrage d’apporter une réponse architecturale, technique et économique au programme défini, de concevoir le projet, de diriger l’exécution des travaux et d’en assurer le suivi jusqu’à la réception des travaux.
    Pour répondre aux différents aspects de la commande urbaine ou architecturale, la maîtrise d’œuvre est constituée, dans la plupart des cas, d’une équipe : architecte(s), paysagiste(s), écologue(s), bureaux d’études techniques, économistes,…
  3. Document écrit dans lequel le maître d’ouvrage définit l’ensemble des objectifs d’une opération. Le contenu du programme présente les idées directrices de l’opération, clarifie les enjeux sociaux, culturels, économiques, établit une hiérarchie des objectifs, donne une définition des performances à atteindre. Il indique les principes de fonctionnement, l’affectation des espaces, les objectifs qualitatifs, les contraintes de délais et de coûts. Les programmistes sont les professionnelLEs qui assistent le maître d’ouvrage dans l’élaboration de ce programme. Cette programmation peut aussi se réaliser in situ, en actes, en mettant en oeuvre par le biais d’une permanence architecturale une programmation ouverte (voir glossaire). Ainsi, la personne qui mène la permanence, souvent architecte, se met au service de la communauté politique, usagère et habitante pour bâtir le programme.
  4. L’adhésion est même symbolique et n’est pas une condition pour l’accompagnement des communes.
  5. Dans le premier chapitre, « La science du concret », de son ouvrage de 1962, La pensée sauvage.
Voir aussi