Glossaire

Ici sont présentés les concepts nourriciers de l’École du terrain et certains des dispositifs mis en oeuvre sur les projets documentés.

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C

Chantier acte culturel

S’il est un lieu et un moment ordinairement interdits au public, c’est bien le chantier. Or, celui-ci fascine. Chacun arrête son regard dès qu’il rencontre un interstice ou une lucarne dans le mur d’un chantier. Comme l’enfant curieux qui démonte son jouet pour en comprendre le mécanisme. Retournons les choses. Le chantier s'ouvre et devient le projet, au cœur de la commande publique. Un lieu qui laisse voir la mécanique à l’œuvre comme au théâtre on change les décors à vue. Le chantier est à la fois le décor et le milieu de l’expérience culturelle qui s’y joue. Il est laboratoire, expérimentant l’alchimie de savoirs étrangers. Il est université, au sens ancien d’une « communauté assemblée » de la cité et d’une réciproque transmission des métiers, insistant sur l’insertion, la formation professionnelle et les chantiers d’application avec des étudiants et de jeunes diplômés des grandes écoles. Ici, le chantier augmente ce qui est possible et surprend ce qui est inattendu. Il élargit le territoire, comme on le dit aussi d’un prisonnier qu’on libère.

D

Délaissé (Le)

« Délaissé : 1. Être laissé à l'abandon, sans soin : Terres délaissées. 2. Être laissé sans affection, être seul, abandonné ou négligé, en parlant de quelqu'un ». Les innombrables délaissés de nos sociétés contemporaines ont des choses à nous apprendre. Nous parlons ici de délaissés architecturaux, spatiaux, urbanistiques, botaniques ou paysagers dénommés « friches », qui sous-tendent de fait l’urbanisation. Nos métropoles actuelles ne peuvent exister que par rapport à leurs négatifs : les espaces tiers, la périphérie, les marges, les forêts, les champs, le péri-urbain, les campagnes, les zones industrielles et artisanales. Mais nous pensons aussi aux délaissés humains (délaissé en revenus et en droits), et aux temps délaissés (ces temps de la vie dont s’occupent certains dispositifs sociaux, économiques ou culturels). Nous souhaitons nous saisir de ces espaces et de ces temps parfois oubliés des instances, pour repenser notre façon de faire société.

E

Étude de faisabilité en actes

L’étude de faisabilité classique concerne notamment les aspects techniques, économiques et juridiques du projet. Il s’agit de vérifier s’il est réalisable en conception, en plan et avec son programme, et d’en déterminer toutes les conditions sur la base du cahier des charges fourni par le maître d’ouvrage ou le client. Une étude de faisabilité permet d’analyser les besoins du projet, d’estimer le coût des travaux, de déterminer les différentes solutions à mettre en œuvre, etc. De la même manière, l’étude de faisabilité en actes va déterminer la possibilité de réalisation d’un projet, mais en éprouvant le terrain, les architectures délaissées, les friches. L’occupation du site même du projet permet de l’ouvrir à de nouveaux usages pour démontrer sa capacité d’accueil et élaborer, chemin faisant, le programme à venir. La permanence architecturale, urbaine et paysagère permet alors, en établissant son bureau sur le terrain et en l’ouvrant à la population et à tous les acteurs et actrices concernéEs, d’inventer le programme collectivement. Par la mise à l’épreuve du site de projet, la permanence participe à écrire la future commande de façon très ancrée et non uniformisée, en lien avec les ressources matérielles et immatérielles et les besoins du territoire.

Expérimenter

La Preuve par 7 est une démarche qui vise à inscrire dans le réel ce que l’article 88 de loi du 7 juillet 2016 sur le permis de faire considère jusqu’à présent comme une simple « possibilité » : expérimenter de nouvelles façons de construire et d'habiter afin de faire évoluer les usages ; mettre le chantier à l’épreuve d’une écologie effective, sans concessions ; retrouver le sens politique de l’acte de construire dans la constitution d’un commun, matériel (le bâti) et immatériel (l’expérience, les responsabilités, la capacité d'agir collectivement et les savoirs partagés).

La méthode : essayer, mettre à l’épreuve, éprouver des usages inattendus grâce à la programmation ouverte ; dessiner de nouvelles manières de construire la ville collectivement en testant des usages sur le site même du projet avant de dessiner et de lancer une commande ; œuvrer au-delà du tandem élu-technicien ; promouvoir une réflexion ancrée dans la pratique quotidienne du terrain ; et revendiquer un droit à l’expérimentation par les montages (juridiques, techniques, opérationnels) et les usages.

Si la loi est générale, les territoires, la géographie, les acteurs, leurs enjeux ne sont pas identiques. Il s’agit, à travers différentes échelles, d’interpréter le droit et de travailler à ce qu’il y a de commun dans cette diversité. Manière de s’emparer de questions transversales qui dépasse le champ de la construction pour concerner la vie commune.

« Il suffit parfois de dénommer les choses d'une certaine façon pour avoir le droit de les faire ; de les décréter provisoires ou éphémères pour lever les critiques et les interdits et pour ouvrir le champ à l'expérimentation. Les sciences comme l’art sont expérimentaux par nature. C'est en formulant des hypothèses, en les mettant à l'épreuve du réel, en modifiant son point de vue que le scientifique peut faire une découverte. Aujourd'hui l'architecture est tellement normée que toutes expérimentations lui sont interdites ou très difficiles. C'est pour restaurer cette dimension expérimentale de l'acte de construire qu'il faut s’intéresser au droit. Il ne s'agit pas de biaiser ou de détourner la loi mais de l'interpréter. » Patrick Bouchain, Jouir d’habiter : pour une propriété sociale du logement, 2009.

F

Faire jurisprudence

Les expérimentations, les outils, les méthodes et les nouveaux montages révélés dans l'acte de construire à différentes échelles territoriales font jurisprudence. « Dès qu’on fait quelque chose, on influe sur la chose à venir », explique Patrick Bouchain. Nous pouvons nous emparer de ces jurisprudences pour faire évoluer la commande publique. La jurisprudence naît de la mise à l'épreuve d'une idée dans un contexte donné afin de répondre au plus juste aux besoins à partir du déjà-là. Le déjà-là, ce dont nous héritons, représente un formidable levier et une grande ressource d'expérimentation puisqu'il nécessite, à chaque fois, de retraduire les choses dans un nouveau projet et d’imaginer le futur à partir de son histoire.

La loi générale et la réplication de modèles uniformisés dans la commande ne permettent que très difficilement l'appropriation d'une architecture existante et le travail sur sa singularité dans un contexte précis. Reconnaître les jurisprudences, ouvrir le champ de l'expérimentation pour permettre à l'imagination et à la création de s'émanciper des cadres parfois trop contraints, c'est travailler sur une meilleure habitabilité de nos territoires. C’est aussi redonner une capacité d'agir en local, d’œuvrer et de trouver des solutions à partir du terrain.

La jurisprudence à l’œuvre doit alors pouvoir être racontée pour essaimer et donner envie à d'autres de s'en emparer, non pas dans la réplication de modèles définis mais dans une grande liberté d'action et d'interprétation. C’est justement dans cette interprétation que le droit révèle son pouvoir d’imagination, sensible à l’évolution des usages – et non dans son rôle de donner une valeur juridique à des normes techniques. Dès lors, la jurisprudence est la convergence des décisions et des usages éprouvés et permet, en retour, de faire changer les normes et la loi.

Faire récit

Le français distingue le geste que l’on fait de la geste qui raconte les actions d’une personne. Le récit est cette parole, ce texte qui met en forme les traces, les gestes et les expériences singulières aux fins d’adresser une histoire collective, précise, utile que l’auditeur ou le lecteur pourra lui-même continuer. Faire récit est ainsi un geste qui en ouvre d’autres.

P

Partenariat Public Privé vertueux

Quel visage prendrait un PPP susceptible d’entretenir un dialogue équitable entre le (secteur) public et le (secteur) privé dans la fabrique de la ville ? Certainement pas celui d’un « partenariat ». Dans notre monde tel qu’il a été configuré, désormais placé presque tout entier sous le signe de la valeur d’échange et donc de la rentabilité, l’un des deux partenaires part en effet dès l’origine avec un handicap rédhibitoire : à courir en solo après le privé, le public perd toujours. Pour les Partenariats Public-Privé, introduits en France au lendemain des élections présidentielles de 2002, les deux dernières décennies l’ont amplement démontré. Les exemples abondent.

Public et privé sont pourtant intimement liés comme la vis et l’écrou, rivés en un dans la complémentarité de leur fonction structurante. L’histoire de l’architecture et de l’urbanisme le démontre à foison. Lorsque l’un de ces deux termes a exercé sur l’autre une domination sans partage, les erreurs ont été manifestes : les ZUP devenues nos
« quartiers sensibles » lorsque le public s’est imposé sans partage, et sous la domination exclusive du privé, nos T2 Pinel (ou Périssol, Besson, Robien ou Scellier prolongé, qu’importe au fond) désespérément vides, inappropriables et donc inappropriés, qui parsèment pourtant nos « villes moyennes ».

Un parlement, c’est-à-dire un lieu de débats et d’échanges d’arguments contradictoires, aurait probablement permis d’esquiver ces échecs – qui sont d’autant plus désolants qu’ils marquent nos paysages pour des décennies, c’est ainsi et c’est la contrepartie des actes du monde de la construction. Ce parlement serait là pour comprendre l’ordre dominant autrement qu’à travers les poncifs de la seule critique de l’ordre dominant. La critique prévisible de l’ordre établi enferme dans une forme d’impuissance et se renverse trop souvent en un maintien de l’ordre établi qui généralement s’en arrange très bien.

Pour transformer le monde, il faut d’abord le comprendre, au prix certes d’inévitables dissensus : la figure de l’autorité doit persister, un parlement n’est pas une « AG », il lui faut trancher et l’auteur doit demeurer le dernier garant des décisions préalables à la transformation. Le « spontané » a trop souvent revêtu dans un passé récent les allures du faux en s’avérant manipulable à loisir et parfois même facteur d’intériorisation de la norme. Ce n’est pas parce que l’auteur est « collectif » qu’il n’y a pas d’auteur.

Mais tout ce qui est organisé ne saurait être qu’autoritaire : dans ce parlement, les conflits devraient pouvoir ouvertement s’exprimer, sans lobbies dans un monde idéal, et tant pis si le temps de médiation serait pris sur celui de la création. Regarder et écouter peut aussi conduire à participer : il n’y a pas de fatalité dans la position du spectateur. La scène est certes aujourd’hui configurée pour encourager la plupart du temps sa passivité. Celle-ci entraîne immanquablement la standardisation et l’homogénéité – par le bas, mais aussi parfois par le haut. Ce ne sont pas, malheureusement, les expériences de « démocratie participative » et peut-être encore moins les « enquêtes publiques » qui l’auront démenti. Quant au « partenariat », il est devenu l’un des principaux rouages de ce formatage des choix car il préfère généralement agir en coulisses. Alors remplaçons-le, ce partenariat, par un parlement pour penser le projet, architectural et urbain, en cherchant à le dramatiser comme un révélateur des rapports de force. En révélant les mécanismes, on entrouvre la porte au choix conscient.

Jean-Louis Violeau

Permanence architecturale

La notion de permanence implique d’habiter sur un temps long un territoire. Elle part du principe qu’habiter est le fondement afin de mieux appréhender un contexte en étant soi-même devenu la projection de ceux pour qui nous construisons. En ce sens la permanence implique un changement de posture profond tant intellectuel que pratique dans les métiers de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre en architecture et urbanisme. Nous avons souvent entendu que l’architecte ne pouvait plus rester le dernier maillon de la chaine de production du bâtiment ou de la construction de nos villes. La permanence, en étant présente dès le départ de la commande ou en avant-poste de celle-ci, peut alors rassembler les phases de construction mais aussi être la cheville ouvrière d’interprétation de la commande. En étant sur le site même du projet, en comprenant un territoire dans toutes ses composantes, en révélant ses atouts et potentialités, elle peut alors répondre de manière plus juste, précise et unique en rassemblant les forces vives et les ressources qui le composent pour produire un urbanisme ancré et vivrier. La permanence agit comme tiers-acteur entre l’élu et le citoyen, les techniciens et les artisans, entreprises et en ce sens peut, à son échelle être source d’activation de nos démocraties locales dans la fabrique de la ville.

Permis de faire (l'esprit plus que la lettre)

« Toute loi devrait être assez générale pour s’ouvrir aux interprétations particulières, se nourrir de l’existant et se mettre à jour des nouvelles situations, des nouveaux modes de vie. En architecture, la loi devrait pouvoir être interprétée, enrichie de la jurisprudence et incessamment réécrite par l’observation de la chose construite. La loi viendrait aussi pour confirmer et pas seulement a priori ». C’est ainsi que Patrick Bouchain propose d’expérimenter, pour faire jurisprudence avec une architecture, un urbanisme contextuel. Pourrait-on même inscrire le principe d’expérimentation dans la loi ? L’article 88 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la Liberté de Création, à l’Architecture et au Patrimoine (LCAP) met en place le « permis de faire ». Il autorise, pour une durée expérimentale de sept ans, les acteurs de la construction - des maîtres d’ouvrages publics et bailleurs sociaux - à expérimenter et proposer des alternatives à certaines règles, à condition d’en remplir les objectifs fixés par d’autres moyens. Une loi, donc, qui érige une approche pragmatique et opérationnelle au détriment d’une normativité rigoriste. Les décrets d’application qui paraissent en font pourtant une loi techniciste, qui sera finalement abrogée en 2018 mais dont les principes seront repris par le permis d’innover et d’expérimenter, étendus aux maîtres d’ouvrages privés, et ce dans un esprit technique de dérogation plutôt que dans une dynamique d’expérimentation juridique et constructive.

La Preuve par 7 a choisi d’en expérimenter l’ « esprit plus que la lettre » sur le terrain à partir d’une diversité de cas et d’échelles d’expérimentation. En voici quelques hypothèses :

« Déplacer les lignes en matière de décision de dérogation pour placer le processus expérimental et le projet architectural au centre. C’est l’expérience collective qui ainsi devient moteur de la décision et engendre des arbitrages partagés, notamment en termes de solutions dans le registre de la construction et dans la hiérarchie des
normes ».

« S’extraire de la logique de juxtaposition des réglementations et mettre en avant la cohérence des choix en les hiérarchisant à partir de l’intégration des objectifs pour un projet contextualisé, avec un site et ses caractéristiques, un porteur de projet… plutôt que des règles ».

« Accepter de créer de la connaissance nouvelle et que la connaissance n’est pas acquise a priori ».

Pour aller plus loin : dossier sur le permis de faire coordonné par Christophe Catsaros dans Tracés, n°19, octobre 2017.

Programmation ouverte

« Laisser advenir l'imprévu, l'accueillir, avant même de partir avec un programme défini à l'avance, réalisé sur plan depuis un bureau ex-nihilo ». La programmation ouverte implique de reprendre le temps de l'écriture de la commande en permettant aux espaces, à une architecture délaissée, une friche, d'être rouverts aux usages, de les éprouver à « échelle 1 » afin de tester et d'expérimenter des activités et des disciplines impensées. Il s'agit dans ce cas de permettre au projet de se concrétiser et d'advenir par la mise à l'épreuve publique et collective d'une spatialité en vue de dessiner le programme de la commande. La programmation ouverte peut se mettre en œuvre par le biais d'appels d'offre dénommés études ou plans guides en actes et implique une grande confiance entre élus, opérateurs, assistance à maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'usage (AMO/AMU) et maîtrise d'œuvre (MOE), et société civile.

U

Urbanisme vivrier

L'urbanisme vivrier est ancré dans son territoire afin de répondre plus justement à son empreinte sociale, culturelle, économique, géologique et donc écologique. Ancré, comme l’est la production située et raisonnée de l'agriculture vivrière, destinée à l'ensemble de son territoire. L'urbanisme vivrier se conçoit en opposition à la fabrique de la ville standardisée, répondant à des logiques de zonage dans un dessin généralisé et uniformisé à l’ensemble du territoire national.

Cet urbanisme naît d'une reterritorialisation de la commande publique et d'une volonté collective et locale d'habiter autrement le territoire. C’est considérer que l'acte de construire et d'aménager peut faire filière et intégrer toutes les composantes, ressources matérielles et immatérielles de ce territoire. Cet urbanisme pose ainsi ces bases de projets sur le déjà-là, l'expérimentation, l'étude des ressources existantes et parfois oubliées, des forces vives du territoire, des compétences et rassemble une diversité d'acteurs en évitant ainsi l'expertisation de l'écriture du projet.

En imaginant collectivement la fabrique ou la réparation d'un morceau de territoire, il permet alors, grâce aux méthodologies de permanences et de programmations ouvertes de ré-activer nos démocraties locales. Il se conçoit sur le terrain même en associant toutes les parties prenantes - éluEs, société civile dans toute sa diversité, professionnelLEs de la ville et de la construction, en amont de l'écriture et de la réalisation du projet. L'urbanisme vivrier permet alors un nouvel aménagement, ou plutôt un ménagement du lien créé par le soin, en permettant au projet d'être un levier pour faire société. La fabrique de la cité, la conception de nouvelles manière d'habiter, l'obligation d’interroger nos pratiques dans l'aménagement face aux différentes crises que nous traversons, sont autant d'alibis pour entrevoir l'expérimentation de cette forme d'urbanisme comme une opportunité de refaire du commun.

V

Vernaculaire

La Preuve par 7 s’inscrit dans une « écologie du déjà-là » qui considère tout site comme un territoire déjà marqué par une histoire, un sol, et inscrit dans des réseaux. Il s’agit de prendre en compte ces aspects, de les travailler, de les vivre, de les préserver et de leur donner leur place dans le projet à venir. Cette démarche est dite vernaculaire, car elle est ancrée dans le temps long, modelée par les usages et s’adapte en permanence à son temps en répondant aux enjeux contemporains. Pour cela, elle met en lien les besoins, les ressources, les temps, les savoir-faire et les matériaux disponibles localement pour réhabiliter le patrimoine bâti. Elle fait dialoguer les savoirs amateurs et institués, les expertEs académiques et celles et ceux de terrain, qui agissent sur le territoire.