A
Ancrage
L’École du Terrain réunit des projets, des démarches particulièrement ancrées dans leur territoire.
La sociologue Geneviève Pruvost propose de l’ancrage une définition qui fait écho aux manières de faire que nous soutenons : « La vie quotidienne doit être appréhendée comme une fabrique. […] La quotidienneté n’est pas seulement présente, elle est ancrée. Le terme d’ancrage a ici son importance : la quotidienneté est arrimée à un lieu et un temps donnés, à un milieu de vie peuplé d’êtres humains et non humains.
Loin de l’« enracinement » qui renverrait à l’imaginaire immobile d’un terroir essentialisé, composé d’un nombre fini d’espèces, l’ancrage évoque un milieu brassé avec des êtres, des objets qui ont voyagé, se sont acclimatés, ont coévolué, se sont mêlés en un « pays » dont la forme est historiquement datable et soumise à variations. Les milieux ne cessent d’être remodelés par les transhumances animales, les changements climatiques et les vagues de peuplements humains.
La notion de quotidienneté ancrée permet de saper la tentation du fixisme, tout en rappelant que la marge de manœuvre, en matière d’association d’espèces vivantes et de remodelage du paysage, n’est pas infinie. Il y a bien des seuils au-delà ou en deçà desquels les attachements et les enchevêtrements ne sont plus tenables. »
in Geneviève Pruvost, Quotidien politique, La Découverte, 2021, p. 7.
B
Bail forain
Le concept de bail forain est une exploration juridique imaginée par Patrick Bouchain, Marc Ganilsy et la Preuve par 7.
Le bail forain serait un outil permettant à unE ou plusieurs porteurs et porteuses de projets d'occuper un lieu vacant et/ou d'expérimenter des usages sur un territoire, avant de rebondir, avec la valeur d'usage constituée, vers un autre lieu vacant. Attaché aux occupantEs et non plus seulement aux lieux, il est principalement caractérisé par le rebond et la notion de valeur d’usage. Le rebond d’un lieu vers un autre crée ainsi une dynamique sur le territoire : il s’inscrit dans ses interstices ou ses délaissés, et permet d’éviter à la fois la perte du lieu et de ses usages, liens tissés.
En complément des lieux qui se pérennisent, ou qui, par une dynamique de programmation ouverte, définissent et enrichissent un projet dans un temps long, ce rebond encourage et aide l’appropriation de lieux vacants, créant un maillage évolutif du territoire. Sans vouloir s'opposer frontalement à des modes d'occupation sans droit ni titre, le bail forain apparaît aussi comme une des solutions pour répondre au gâchis urbain ou rural lié à la vacance des terres, des bâtiments et au délaissement des friches.
Proposition reprise par le Conseil Économique Social et Environnemental Régional de l’Île de France pour son expérimentation pour les fonciers vacants objet de projets urbains, le bail forain existe aujourd’hui dans les pratiques de manière informelle.
Définition issue de la fiche Le bail forain écrite par Marc Ganilsy et la Preuve par 7
C
Chantier acte culturel
S’il est un lieu et un moment ordinairement interdits au public, c’est bien le chantier. Or, celui-ci fascine. Chacun arrête son regard dès qu’il rencontre un interstice ou une lucarne dans le mur d’un chantier. Comme l’enfant curieux qui démonte son jouet pour en comprendre le mécanisme. Retournons les choses. Le chantier s'ouvre et devient le projet, au cœur de la commande publique. Un lieu qui laisse voir la mécanique à l’œuvre comme au théâtre on change les décors à vue. Le chantier est à la fois le décor et le milieu de l’expérience culturelle qui s’y joue. Il est laboratoire, expérimentant l’alchimie de savoirs étrangers. Il est université, au sens ancien d’une « communauté assemblée » de la cité et d’une réciproque transmission des métiers, insistant sur l’insertion, la formation professionnelle et les chantiers d’application avec des étudiants et de jeunes diplômés des grandes écoles. Ici, le chantier augmente ce qui est possible et surprend ce qui est inattendu. Il élargit le territoire, comme on le dit aussi d’un prisonnier qu’on libère.
Coopérative habitante
La coopérative d’habitantEs est une société coopérative dont l’objet est de proposer à ses membres l’usage d’un logement et d’espaces collectifs à prix coûtant.
Les coopérateurs et coopératrices habitantEs, qui sont propriétaires de parts sociales de la coopérative, disposent de la jouissance de leur logement en contrepartie du versement d’une redevance mensuelle à la coopérative. La coopérative peut avoir d’autres associéEs non habitantEs, détenteurs ou détentrices de parts sociales, soutenant le projet sans droit d’usage mais avec une voix pondérée dans les prises de décision.
Ses valeurs fondamentales reposent sur la propriété collective ; la démocratie avec 1 personne = 1 voix dans les processus de décisions ; et la déconnexion avec le marché : la valeur des parts sociales est indépendante de la valeur du bien immobilier.
La coopérative d’habitantEs, c’est donc plus que du logement. Elle permet d’habiter et pas seulement de nous loger : rêver, penser, créer, coopérer, concevoir, décider, s’entraider, se cultiver, se soigner, s'éduquer, se déplacer, inventer, expérimenter… Non seulement elle mobilise des mécanismes financiers et juridiques pour produire de l’habitat à prix coûtant et écologique, mais elle veille à les pérenniser pour les générations futures, en les déconnectant du marché immobilier. Elle bouleverse ainsi complètement notre rapport à la propriété : le logement n'est plus un bien patrimonial, marchand ou un produit financier mais il devient un droit fondamental réel pour toutes et tous. En ce sens, les coopératives d’habitantEs pourraient constituer des prémices pour inventer, un jour, des communs à habiter.
En replaçant au centre l’habitantE comme maître d’ouvrage, concepteur ou conceptrice de son logement pensé comme une propriété collective, la coopérative d’habitantEs questionne également la commande architecturale et urbaine, les pratiques des professionnelLEs de la fabrique de la ville, les montages et l’économie même du logement. Elle induit aussi, à travers la notion de communs et d’une gouvernance partagée, une transformation philosophique du logement à même de gagner le quartier, la cité.
Définition issue de la fiche La coopérative d’habitantEs, une révolution culturelle ? écrite par Alia El Gaied et Valérie Morel, avec la contribution de Christiane Châteauvieux et de la Preuve par 7
D
Délaissé (Le)
« Délaissé : 1. Être laissé à l'abandon, sans soin : Terres délaissées. 2. Être laissé sans affection, être seul, abandonné ou négligé, en parlant de quelqu'un ». Les innombrables délaissés de nos sociétés contemporaines ont des choses à nous apprendre. Nous parlons ici de délaissés architecturaux, spatiaux, urbanistiques, botaniques ou paysagers dénommés « friches », qui sous-tendent de fait l’urbanisation. Nos métropoles actuelles ne peuvent exister que par rapport à leurs négatifs : les espaces tiers, la périphérie, les marges, les forêts, les champs, le péri-urbain, les campagnes, les zones industrielles et artisanales. Mais nous pensons aussi aux délaissés humains (délaissé en revenus et en droits), et aux temps délaissés (ces temps de la vie dont s’occupent certains dispositifs sociaux, économiques ou culturels). Nous souhaitons nous saisir de ces espaces et de ces temps parfois oubliés des instances, pour repenser notre façon de faire société.
E
Economie contributive
Dans une économie de marché traditionnelle, une personne est rémunérée selon la quantité de temps durant lequel elle consent à travailler ou à être employée. Mais qu’en est-il dans les espaces non marchands, et notamment les tiers-lieux, les lieux coopératifs ? Là s’expérimente une économie contributive. À l’Hôtel Pasteur, un cadre de réciprocité a, par exemple, été mis en place. Les hôtes accueillis plusieurs semaines dans cet hôtel à projets participent à l’entretien et à l’aménagement du lieu mais aussi à la documentation et à la recherche-action des pratiques qui s’y instituent, à sa gouvernance et à sa veille (les hôtes accueillis se font alors hôtes accueillant des curieux à qui ils font visiter le lieu). L’économie de la contribution institue ainsi les conditions matérielles pour créer de la valeur dédiée au bien commun. Les acteurs du projet ne sont pas répartis entre producteurs et consommateurs du lieu mais sont tous des contributeurs. Cette valeur n’est pas intégralement monétabisable.
Définition issue de la fiche L’économie contributive écrite par Franck Cormerais, Vincent Puig, Olivier Landau et Maude Durbecker et de la fiche sur l’Hôtel Pasteur écrite par L’Ecole du terrain
Espaces apprenants
Il existe des lieux, des tiers-lieux et autres espaces hybrides qui, par leurs activités, la manière de s'y impliquer, deviennent des lieux d'apprentissages, des espaces apprenants, complémentaires des lieux plus classiques et habituels de la formation et de l'éducation.
En ces lieux se développent des pratiques informelles, interdisciplinaires, centrées sur le faire par soi-même, l’apprendre par le faire et l’éducation tout au long de la vie. Dans un espace apprenant, on apprend sur et par soi-même (savoir-être), on apprend de l’interaction avec d’autres (savoir-vivre), on affine des compétences précises et spécialisées (savoir-faire) et on devient petit à petit la mémoire et l’esprit du lieu, en situation de le garder vivant (savoir-transmettre).
Ces lieux constituent autant de situations d’apprentissage autour de principes de réciprocité, de mutualisation, d’expérimentation, de prototypage et de contribution. Ils visent une acculturation collective par le faire, une absence de hiérarchie, une mise en circulation des expériences et expertises de chacunE, une responsabilisation individuelle dans l’auto-détermination collective. Ils promeuvent un droit à l’erreur comme valeur cardinale et une confiance à priori, la documentation sous licence libre, articulant éducation formelle et apprentissages informels.
Ces espaces sont des lieux de réflexivité critique, par le collectif, face aux mutations rapides du monde, un espace de débat démocratique sur les enjeux de notre temps.
Définition issue de la fiche Faire école depuis les lieux écrite par Elsa Buet et Arnaud Idelon, responsables du DU Espaces Communs, qui se fonde sur les tiers-lieux et autres espaces hybrides comme objets d'étude et de transmission pour la communauté apprenante.
Étude de faisabilité en actes
L’étude de faisabilité classique concerne notamment les aspects techniques, économiques et juridiques du projet. Il s’agit de vérifier s’il est réalisable en conception, en plan et avec son programme, et d’en déterminer toutes les conditions sur la base du cahier des charges fourni par le maître d’ouvrage ou le client. Une étude de faisabilité permet d’analyser les besoins du projet, d’estimer le coût des travaux, de déterminer les différentes solutions à mettre en œuvre, etc. De la même manière, l’étude de faisabilité en actes va déterminer la possibilité de réalisation d’un projet, mais en éprouvant le terrain, les architectures délaissées, les friches. L’occupation du site même du projet permet de l’ouvrir à de nouveaux usages pour démontrer sa capacité d’accueil et élaborer, chemin faisant, le programme à venir. La permanence architecturale, urbaine et paysagère permet alors, en établissant son bureau sur le terrain et en l’ouvrant à la population et à tous les acteurs et actrices concernéEs, d’inventer le programme collectivement. Par la mise à l’épreuve du site de projet, la permanence participe à écrire la future commande de façon très ancrée et non uniformisée, en lien avec les ressources matérielles et immatérielles et les besoins du territoire.
Expérimenter
La Preuve par 7 est une démarche qui vise à inscrire dans le réel ce que l’article 88 de loi du 7 juillet 2016 sur le permis de faire considère jusqu’à présent comme une simple « possibilité » : expérimenter de nouvelles façons de construire et d'habiter afin de faire évoluer les usages ; mettre le chantier à l’épreuve d’une écologie effective, sans concessions ; retrouver le sens politique de l’acte de construire dans la constitution d’un commun, matériel (le bâti) et immatériel (l’expérience, les responsabilités, la capacité d'agir collectivement et les savoirs partagés).
La méthode : essayer, mettre à l’épreuve, éprouver des usages inattendus grâce à la programmation ouverte ; dessiner de nouvelles manières de construire la ville collectivement en testant des usages sur le site même du projet avant de dessiner et de lancer une commande ; œuvrer au-delà du tandem élu-technicien ; promouvoir une réflexion ancrée dans la pratique quotidienne du terrain ; et revendiquer un droit à l’expérimentation par les montages (juridiques, techniques, opérationnels) et les usages.
Si la loi est générale, les territoires, la géographie, les acteurs, leurs enjeux ne sont pas identiques. Il s’agit, à travers différentes échelles, d’interpréter le droit et de travailler à ce qu’il y a de commun dans cette diversité. Manière de s’emparer de questions transversales qui dépasse le champ de la construction pour concerner la vie commune.
« Il suffit parfois de dénommer les choses d'une certaine façon pour avoir le droit de les faire ; de les décréter provisoires ou éphémères pour lever les critiques et les interdits et pour ouvrir le champ à l'expérimentation. Les sciences comme l’art sont expérimentaux par nature. C'est en formulant des hypothèses, en les mettant à l'épreuve du réel, en modifiant son point de vue que le scientifique peut faire une découverte. Aujourd'hui l'architecture est tellement normée que toutes expérimentations lui sont interdites ou très difficiles. C'est pour restaurer cette dimension expérimentale de l'acte de construire qu'il faut s’intéresser au droit. Il ne s'agit pas de biaiser ou de détourner la loi mais de l'interpréter. » Patrick Bouchain, Jouir d’habiter : pour une propriété sociale du logement, 2009.
F
Faire jurisprudence
Les expérimentations, les outils, les méthodes et les nouveaux montages révélés dans l'acte de construire à différentes échelles territoriales font jurisprudence. « Dès qu’on fait quelque chose, on influe sur la chose à venir », explique Patrick Bouchain. Nous pouvons nous emparer de ces jurisprudences pour faire évoluer la commande publique. La jurisprudence naît de la mise à l'épreuve d'une idée dans un contexte donné afin de répondre au plus juste aux besoins à partir du déjà-là. Le déjà-là, ce dont nous héritons, représente un formidable levier et une grande ressource d'expérimentation puisqu'il nécessite, à chaque fois, de retraduire les choses dans un nouveau projet et d’imaginer le futur à partir de son histoire.
La loi générale et la réplication de modèles uniformisés dans la commande ne permettent que très difficilement l'appropriation d'une architecture existante et le travail sur sa singularité dans un contexte précis. Reconnaître les jurisprudences, ouvrir le champ de l'expérimentation pour permettre à l'imagination et à la création de s'émanciper des cadres parfois trop contraints, c'est travailler sur une meilleure habitabilité de nos territoires. C’est aussi redonner une capacité d'agir en local, d’œuvrer et de trouver des solutions à partir du terrain.
La jurisprudence à l’œuvre doit alors pouvoir être racontée pour essaimer et donner envie à d'autres de s'en emparer, non pas dans la réplication de modèles définis mais dans une grande liberté d'action et d'interprétation. C’est justement dans cette interprétation que le droit révèle son pouvoir d’imagination, sensible à l’évolution des usages – et non dans son rôle de donner une valeur juridique à des normes techniques. Dès lors, la jurisprudence est la convergence des décisions et des usages éprouvés et permet, en retour, de faire changer les normes et la loi.
Faire récit
Le français distingue le geste que l’on fait de la geste qui raconte les actions d’une personne. Le récit est cette parole, ce texte qui met en forme les traces, les gestes et les expériences singulières aux fins d’adresser une histoire collective, précise, utile que l’auditeur ou le lecteur pourra lui-même continuer. Faire récit est ainsi un geste qui en ouvre d’autres.
P
Partenariat Public Communs
Les communs, en tant que pratiques, incarnent l’émergence d’une nouvelle forme d’institution pour l’action collective : le « partenariat public-communs ». Sa conception et son fonctionnement sont sensiblement différents du marché et de l’État dans la mesure où l’institution en question est basée sur l’autogouvernance, c’est-à-dire l’auto-régulation, l’auto-sanction et l’auto-gestion.
Cette conception institutionnelle est tournée vers des enjeux de redistribution de la richesse et du pouvoir, mais aussi d'autonomie collective et de démarchandisation de la vie quotidienne. Le partenariat peut se baser sur le principe de subsidiarité horizontale.
De telles dynamiques de création juridique, articulées à des logiques d’interconnaissance et de coopération, s’inscrivent dans la perspective de remise en cause de la propriété exclusive des pouvoirs publics en vue d’une société plus contributive.
En Italie, par exemple, des « règlements d’administration partagée pour le soin et la régénération des biens communs » permettent aux habitants d’une rue, d’un quartier, de proposer à la commune de participer ou prendre en charge la gestion ou l’exécution d’une action ou d’un service d’intérêt général. Ainsi des « pactes de collaboration » régissent les activités que les « citoyens actifs » développent de concert avec l’administration, qui conserve un rôle de sélection et de régie. D’autres formes de partenariats publics commun sont expérimentées et mises en œuvre en France dans divers champs, de manière plus ou moins formalisée et théorisée.
Définition issue de la fiche Gouvernances collectives au prisme des communs écrite par Sylvia Fredriksson
Partenariat Public Privé vertueux
Quel visage prendrait un PPP susceptible d’entretenir un dialogue équitable entre le (secteur) public et le (secteur) privé dans la fabrique de la ville ? Certainement pas celui d’un « partenariat ». Dans notre monde tel qu’il a été configuré, désormais placé presque tout entier sous le signe de la valeur d’échange et donc de la rentabilité, l’un des deux partenaires part en effet dès l’origine avec un handicap rédhibitoire : à courir en solo après le privé, le public perd toujours. Pour les Partenariats Public-Privé, introduits en France au lendemain des élections présidentielles de 2002, les deux dernières décennies l’ont amplement démontré. Les exemples abondent.
Public et privé sont pourtant intimement liés comme la vis et l’écrou, rivés en un dans la complémentarité de leur fonction structurante. L’histoire de l’architecture et de l’urbanisme le démontre à foison. Lorsque l’un de ces deux termes a exercé sur l’autre une domination sans partage, les erreurs ont été manifestes : les ZUP devenues nos
« quartiers sensibles » lorsque le public s’est imposé sans partage, et sous la domination exclusive du privé, nos T2 Pinel (ou Périssol, Besson, Robien ou Scellier prolongé, qu’importe au fond) désespérément vides, inappropriables et donc inappropriés, qui parsèment pourtant nos « villes moyennes ».
Un parlement, c’est-à-dire un lieu de débats et d’échanges d’arguments contradictoires, aurait probablement permis d’esquiver ces échecs – qui sont d’autant plus désolants qu’ils marquent nos paysages pour des décennies, c’est ainsi et c’est la contrepartie des actes du monde de la construction. Ce parlement serait là pour comprendre l’ordre dominant autrement qu’à travers les poncifs de la seule critique de l’ordre dominant. La critique prévisible de l’ordre établi enferme dans une forme d’impuissance et se renverse trop souvent en un maintien de l’ordre établi qui généralement s’en arrange très bien.
Pour transformer le monde, il faut d’abord le comprendre, au prix certes d’inévitables dissensus : la figure de l’autorité doit persister, un parlement n’est pas une « AG », il lui faut trancher et l’auteur doit demeurer le dernier garant des décisions préalables à la transformation. Le « spontané » a trop souvent revêtu dans un passé récent les allures du faux en s’avérant manipulable à loisir et parfois même facteur d’intériorisation de la norme. Ce n’est pas parce que l’auteur est « collectif » qu’il n’y a pas d’auteur.
Mais tout ce qui est organisé ne saurait être qu’autoritaire : dans ce parlement, les conflits devraient pouvoir ouvertement s’exprimer, sans lobbies dans un monde idéal, et tant pis si le temps de médiation serait pris sur celui de la création. Regarder et écouter peut aussi conduire à participer : il n’y a pas de fatalité dans la position du spectateur. La scène est certes aujourd’hui configurée pour encourager la plupart du temps sa passivité. Celle-ci entraîne immanquablement la standardisation et l’homogénéité – par le bas, mais aussi parfois par le haut. Ce ne sont pas, malheureusement, les expériences de « démocratie participative » et peut-être encore moins les « enquêtes publiques » qui l’auront démenti. Quant au « partenariat », il est devenu l’un des principaux rouages de ce formatage des choix car il préfère généralement agir en coulisses. Alors remplaçons-le, ce partenariat, par un parlement pour penser le projet, architectural et urbain, en cherchant à le dramatiser comme un révélateur des rapports de force. En révélant les mécanismes, on entrouvre la porte au choix conscient.
Jean-Louis Violeau
Pédagogies hors les murs
Habituellement définies comme « radicales » ou « alternatives », afin de marquer un contrepoint net face à l'enseignement dit traditionnel ou « plus classique », les pédagogies « hors les murs » regroupent trois types d’expérience :
situationnelle – on apprend de l’expérience d’une réalité, de l’expérience territoriale, en dehors de l’école, à partir de terrains d’accueil, sujets à des dynamiques particulières ;
expérimentale – on apprend par « le faire », par la manipulation de la matière et particulièrement par le « design-build », l’acte de concevoir et de construire un projet, une installation, à l’échelle 1/1 ;
collaborative-coopérative – on apprend en interrelation et en interaction avec les pairs. C’est lors du travail en équipe, la mise en commun de la créativité, des ressources, des compétences de chacun qu’on atteint un but commun.
Définition issue de la fiche Enseigner l’architecture « hors les murs » écrite par Roberta Ghelli et Théa Manola
Permanence architecturale
La notion de permanence implique d’habiter sur un temps long un territoire. Elle part du principe qu’habiter est le fondement afin de mieux appréhender un contexte en étant soi-même devenu la projection de ceux pour qui nous construisons. En ce sens la permanence implique un changement de posture profond tant intellectuel que pratique dans les métiers de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre en architecture et urbanisme. Nous avons souvent entendu que l’architecte ne pouvait plus rester le dernier maillon de la chaine de production du bâtiment ou de la construction de nos villes. La permanence, en étant présente dès le départ de la commande ou en avant-poste de celle-ci, peut alors rassembler les phases de construction mais aussi être la cheville ouvrière d’interprétation de la commande. En étant sur le site même du projet, en comprenant un territoire dans toutes ses composantes, en révélant ses atouts et potentialités, elle peut alors répondre de manière plus juste, précise et unique en rassemblant les forces vives et les ressources qui le composent pour produire un urbanisme ancré et vivrier. La permanence agit comme tiers-acteur entre l’élu et le citoyen, les techniciens et les artisans, entreprises et en ce sens peut, à son échelle être source d’activation de nos démocraties locales dans la fabrique de la ville.
Permis de faire (l'esprit plus que la lettre)
« Toute loi devrait être assez générale pour s’ouvrir aux interprétations particulières, se nourrir de l’existant et se mettre à jour des nouvelles situations, des nouveaux modes de vie. En architecture, la loi devrait pouvoir être interprétée, enrichie de la jurisprudence et incessamment réécrite par l’observation de la chose construite. La loi viendrait aussi pour confirmer et pas seulement a priori ». C’est ainsi que Patrick Bouchain propose d’expérimenter, pour faire jurisprudence avec une architecture, un urbanisme contextuel. Pourrait-on même inscrire le principe d’expérimentation dans la loi ? L’article 88 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la Liberté de Création, à l’Architecture et au Patrimoine (LCAP) met en place le « permis de faire ». Il autorise, pour une durée expérimentale de sept ans, les acteurs de la construction - des maîtres d’ouvrages publics et bailleurs sociaux - à expérimenter et proposer des alternatives à certaines règles, à condition d’en remplir les objectifs fixés par d’autres moyens. Une loi, donc, qui érige une approche pragmatique et opérationnelle au détriment d’une normativité rigoriste. Les décrets d’application qui paraissent en font pourtant une loi techniciste, qui sera finalement abrogée en 2018 mais dont les principes seront repris par le permis d’innover et d’expérimenter, étendus aux maîtres d’ouvrages privés, et ce dans un esprit technique de dérogation plutôt que dans une dynamique d’expérimentation juridique et constructive.
La Preuve par 7 a choisi d’en expérimenter l’ « esprit plus que la lettre » sur le terrain à partir d’une diversité de cas et d’échelles d’expérimentation. En voici quelques hypothèses :
« Déplacer les lignes en matière de décision de dérogation pour placer le processus expérimental et le projet architectural au centre. C’est l’expérience collective qui ainsi devient moteur de la décision et engendre des arbitrages partagés, notamment en termes de solutions dans le registre de la construction et dans la hiérarchie des
normes ».
« S’extraire de la logique de juxtaposition des réglementations et mettre en avant la cohérence des choix en les hiérarchisant à partir de l’intégration des objectifs pour un projet contextualisé, avec un site et ses caractéristiques, un porteur de projet… plutôt que des règles ».
« Accepter de créer de la connaissance nouvelle et que la connaissance n’est pas acquise a priori ».
Pour aller plus loin : dossier sur le permis de faire coordonné par Christophe Catsaros dans Tracés, n°19, octobre 2017.
Programmation ouverte
« Laisser advenir l'imprévu, l'accueillir, avant même de partir avec un programme défini à l'avance, réalisé sur plan depuis un bureau ex-nihilo ». La programmation ouverte implique de reprendre le temps de l'écriture de la commande en permettant aux espaces, à une architecture délaissée, une friche, d'être rouverts aux usages, de les éprouver à « échelle 1 » afin de tester et d'expérimenter des activités et des disciplines impensées. Il s'agit dans ce cas de permettre au projet de se concrétiser et d'advenir par la mise à l'épreuve publique et collective d'une spatialité en vue de dessiner le programme de la commande. La programmation ouverte peut se mettre en œuvre par le biais d'appels d'offre dénommés études ou plans guides en actes et implique une grande confiance entre élus, opérateurs, assistance à maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'usage (AMO/AMU) et maîtrise d'œuvre (MOE), et société civile.
R
Recherche-action
Émergeant au sein de groupes de citoyens, d’habitants qui tentent de se mobiliser face à des politiques publiques pensées et mises en œuvre sans leur participation et, souvent, contre leur approbation, de nombreuses recherches-actions et expérimentations urbaines mobilisent des collectifs hybrides d'habitant·es, d'architectes, d’intervenant·es du champ socio-éducatif, de chercheurs et chercheuses, d'artistes... La recherche-action est ainsi une manière de fabriquer la démocratie, là où elle fait le plus cruellement défaut. En ce sens, elle est un droit politique dont nous nous saisissons collectivement pour agir sur nos milieux de vie : un droit à enquêter, à problématiser, à documenter, à coopérer, à analyser, à conceptualiser, à mettre en récit, à « paroler », à créer de nouveaux possibles.
Dans cette même perspective, certains proposent de définir la recherche-action comme « science de la praxis », insistant ainsi sur la puissance d'agir de chaque individu et collectif de praticien·nes, sur leur capacité à se mettre en recherche de façon autonome à propos des questions qui leur importent, sans attendre l'aval d'une quelconque autorité, et sans dépendre de l'expertise d'un spécialiste.
Dire que la recherche-action est une praxis c'est aussi convenir de l'impossibilité de tenir une position d'extériorité vis-à-vis des situations étudiées, des expériences et des expérimentations engagées. Ainsi, si historiquement ces démarches de recherche ont trouvé leurs points d'ancrage dans certains milieux de la pédagogie, du soin ou, encore, du travail social, c'est probablement parce que les postures de praticien réflexif, inhérentes à ces activités, ainsi que la volonté de ces actrices et acteurs de remettre en question leur position de pouvoir dans la relation à leurs usagers, ont favorisé ce type de démarche et d'engagement.
Dans le champ de l’architecture et de l’urbanisme, la question de « l'habiter », et plus spécifiquement celle d'un faire recherche(-action) en habitant, est un des défis politiques majeurs pour repenser, et agir, la démocratie. La recherche-action peut devenir un équipement démocratique nécessaire, que ce soit pour habiter un quartier populaire, une résidence étudiante, des espaces ruraux, des territoires pollués ou des zones à défendre.
Définition issue de la fiche Faire recherche en habitant écrite par Louis Staritzky et Pascal Nicolas-Le Strat
U
Urbanisme vivrier
L'urbanisme vivrier est ancré dans son territoire afin de répondre plus justement à son empreinte sociale, culturelle, économique, géologique et donc écologique. Ancré, comme l’est la production située et raisonnée de l'agriculture vivrière, destinée à l'ensemble de son territoire. L'urbanisme vivrier se conçoit en opposition à la fabrique de la ville standardisée, répondant à des logiques de zonage dans un dessin généralisé et uniformisé à l’ensemble du territoire national.
Cet urbanisme naît d'une reterritorialisation de la commande publique et d'une volonté collective et locale d'habiter autrement le territoire. C’est considérer que l'acte de construire et d'aménager peut faire filière et intégrer toutes les composantes, ressources matérielles et immatérielles de ce territoire. Cet urbanisme pose ainsi ces bases de projets sur le déjà-là, l'expérimentation, l'étude des ressources existantes et parfois oubliées, des forces vives du territoire, des compétences et rassemble une diversité d'acteurs en évitant ainsi l'expertisation de l'écriture du projet.
En imaginant collectivement la fabrique ou la réparation d'un morceau de territoire, il permet alors, grâce aux méthodologies de permanences et de programmations ouvertes de ré-activer nos démocraties locales. Il se conçoit sur le terrain même en associant toutes les parties prenantes - éluEs, société civile dans toute sa diversité, professionnelLEs de la ville et de la construction, en amont de l'écriture et de la réalisation du projet. L'urbanisme vivrier permet alors un nouvel aménagement, ou plutôt un ménagement du lien créé par le soin, en permettant au projet d'être un levier pour faire société. La fabrique de la cité, la conception de nouvelles manière d'habiter, l'obligation d’interroger nos pratiques dans l'aménagement face aux différentes crises que nous traversons, sont autant d'alibis pour entrevoir l'expérimentation de cette forme d'urbanisme comme une opportunité de refaire du commun.
V
Vernaculaire
La Preuve par 7 s’inscrit dans une « écologie du déjà-là » qui considère tout site comme un territoire déjà marqué par une histoire, un sol, et inscrit dans des réseaux. Il s’agit de prendre en compte ces aspects, de les travailler, de les vivre, de les préserver et de leur donner leur place dans le projet à venir. Cette démarche est dite vernaculaire, car elle est ancrée dans le temps long, modelée par les usages et s’adapte en permanence à son temps en répondant aux enjeux contemporains. Pour cela, elle met en lien les besoins, les ressources, les temps, les savoir-faire et les matériaux disponibles localement pour réhabiliter le patrimoine bâti. Elle fait dialoguer les savoirs amateurs et institués, les expertEs académiques et celles et ceux de terrain, qui agissent sur le territoire.