Une école d’architecture ancrée dans son territoire
Des doctorantEs en permanence architecturale : le cas de la rénovation énergétique d’une cité minière dans les Hauts-de-France
Béatrice Mariolle, Mélusine Pagnier et Martin Fessard, décembre 2023
La chaire « Acclimater les territoires post-miniers » de l’école d’architecture de Lille portée par Béatrice Mariolle a fait du bassin minier lensois son terrain d’observation. Mais aussi d’action puisque deux doctorantEs, Mélusine Pagnier et Martin Fessard, se sont installéEs en permanence de recherche dans la cité minière d’Harnes pour faire de la rénovation énergétique de ses maisons un projet écologique co-construit avec les habitantEs.
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- École d'architecture régionale, un vrai partenaire du territoire
- La chaire Acclimater les territoires post-miniers
- À l’école des architectes du quotidien (situations pédagogiques précises et vécues)
- Des doctorants dans l'action
- Engagés pour la qualité du logement de demain
- Conclusion: L’architecture du quotidien politique
École d'architecture régionale, un vrai partenaire du territoire
Contrairement aux écoles parisiennes, les écoles régionales se distinguent par leur capacité à faire partie des « notables » locaux. Pour les acteurs du territoire, ce sont de véritables lieux d’expertise, de recherche et de création, mais également d’animation locale. Beaucoup d’entre elles en font d’ailleurs la preuve. Si les écoles sortent de leurs murs, ce n’est pas pour prêcher la bonne parole, mais pour devenir un partenaire parmi d’autres. En effet, et c’est le cas des relations qui se tissent entre l’ENSAPL et le Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, il s’agit plutôt d’une école d’échange de savoirs. Ces connaissances proviennent de diverses formes de savoirs attachés à un territoire : une lecture par l’expérience (comme lorsque toute personne découvre un site), une connaissance liée au simple fait d’habiter un lieu depuis plus ou moins longtemps (c’est le cas des habitants), des notions acquises dans un cadre d’instruction académique (les élèves et les professeurs ou les habitants professionnels d’un domaine, ceux et celles qui apprennent par les tutos d’internet), des savoir-faire de bricolage (comme tout un chacun qui aime travailler de ses mains). Il en existe encore probablement beaucoup d’autres, car l’érudition n’est pas l'apanage des universitaires. La grande école est donc celle des échanges de savoirs, fondée sur la reconnaissance de cette multitude d’acquis avec laquelle on peut avancer ensemble.
Un territoire singulier: le bassin minier du Nord et Pas-de-Calais
Certains territoires rencontrent une accumulation de difficultés, des guerres répétées, une spoliation des ressources, l’accaparation des richesses, la maltraitance, l’enfermement, la dépendance, puis l’abandon avec la pollution, la pauvreté, l’illettrisme, le chômage, la malbouffe, les maladies...
Le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais en est une bonne illustration. Ancien marais, il fut exploité dès le début du 18e siècle pour son charbon. L’exploitation minière a largement profité de tout le savoir du génie urbain français pour aménager cette bande de 120 km d’est en ouest sur une quinzaine de kilomètres du nord au sud : drainage du sol, réalisation d’infrastructures hydrauliques et routières, création de galeries souterraines pour extraire le minerai (100 000 km de galeries dont certaines allant jusqu’à 1000 m de profondeur), construction de châteaux pour les riches propriétaires des concessions minières, de maisons cossues pour les ingénieurs et les contremaîtres et des milliers de jolies petites maisons minières avec leur grand jardin. Les habitants sont venus de partout, tout d’abord de Pologne et d’Italie, puis plus récemment de l’Afrique du nord. La première guerre mondiale a fait des ravages en termes de démolitions, la seconde a été tout aussi terrible, car les ressources représentaient un enjeu stratégique. Plusieurs fois démolies, ces cités minières ont été reconstruites pour loger la main-d'œuvre et en accueillir encore davantage, car il fallait chauffer la France et relancer l’industrie, notamment l’industrie textile du Lille Roubais Tourcoing. En 1945, le bassin minier a été nationalisé ; dans les années 70, les revendications syndicales, la concurrence mondiale du prix du charbon et l’engagement de la France dans l’énergie nucléaire ont engendré le début de la fermeture des mines et en 1990, la dernière gaillette de charbon remonte à Oignies.
Il a alors été question de tout raser pour construire des villes nouvelles industrielles, comme le préconisait le rapport Lacaze. Mais au début des années 2000, des élus régionaux ont misé sur une possible reconnaissance de cette histoire devant le monde entier en écrivant un dossier de candidature au Patrimoine mondial de l’Unesco. « Les terrils valent bien les pyramides d’Égypte, et l’histoire des mineurs celle des rois de France », comme se plaisait à le dire Jean-François Caron, ancien maire de Loos-en-Gohelle, ancien élu régional et chef de file de cette démarche. Certains regrettent encore aujourd’hui cette reconnaissance obtenue en 2012 et les contraintes patrimoniales s’y afférant. D’autres au contraire en tirent parti pour attirer des subventions et faire vivre ce patrimoine bâti et paysager. Certes, le territoire n’est pas sorti d'affaires. Les indicateurs restent préoccupants en termes économiques, sociaux et politiques. Entre la métropole lilloise et le Grand Paris, le Bassin minier a du mal à trouver sa voie. Les populations sont en grande précarité énergétique et les taux de pauvreté et de chômage alarmants. Mais aujourd’hui, le patrimoine est un véritable moteur du territoire et pour celles et ceux qui y croient, il représente une véritable fierté.
D’une économie prédatrice à un projet post-extractiviste
Aujourd’hui, comment réparer, retrouver de la confiance localement et de l’espoir dans l’avenir. Comment passer d’une économie extractiviste à un projet post-extractiviste. La notion d’extractivisme repose sur une accumulation de richesses issues d’importantes quantités de ressources naturelles non transformées sur place, mais destinées à l’export. Liée à des logiques économiques prédatrices visant l’accumulation capitalistique, elle révèle des tensions fortes entre des populations très précaires et des sols et des sous-sols très riches en matériaux exploitables. On parle d’extractivisme dans des régions agricoles industrielles et, par extension, dans des territoires miniers, lorsque l’exploitation des ressources naturelles ne se traduit pas par l’amélioration du bien-être des populations locales. On va même jusqu’à évoquer une « malédiction des ressources » (Carbonnier, 2007), car ces situations engendrent de nombreux bouleversements environnementaux et sociaux, comme la pollution des sols, la dégradation des écosystèmes et plus généralement, la spoliation des richesses. Certains chercheurs sud-américains lui opposent le concept de « Buen Vivir » (Acosta, 2014) pour évoquer des modes de vie portés par un principe de justice spatiale (Svampa, 2019). D’autres travaillent sur une architecture non extractive, à partir de nouveaux récits écologiques (Caviar S., 2021 ).
Le projet post-extractiviste s’appuie sur toute forme de réappropriation des ressources locales par les acteurs locaux dans des sites en grande précarité. Les pratiques collaboratives sont au cœur des démarches de projet et de recherche faisant le pari d’une possible confiance retrouvée et d’une appropriation d’un sol auxquels les habitants sont attachés par choix ou par opportunité. La fabrique du commun en fait partie sachant que le commun n’est pas un préalable, mais quelque chose qu’on construit ensemble, il est le résultat de multiples négociations. Il s’agit d’un processus créatif naissant des forces en présence et non accaparé par certains, une démarche émancipatrice en lien avec des aspirations de co-conception, de co-construction et d’autogestion. Comme le préconiserait Alberto Magnaghi, chef de fil de l’école des territorialistes, après un phénomène de déterritorialisation, le projet local doit s’imposer. Par projet local il entendait une nécessaire articulation entre les approches anthropologiques, politiques et économiques. Il promouvait les formes de coopération, de décentralisation, d’autogestion comme autant d’outils capables de réactiver les territoires, de développer des formes d’autonomie dans une quête commune de préservation d’un sol partagé avec tous les Terriens, les écosystèmes et les réseaux hydro-géo-morphologiques.
La chaire Acclimater les territoires post-miniers
Prenant le terme Climat au sens météorologique, mais également politique et social, la chaire Acclimater les territoires post-miniers ancrée dans le Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, est hébergée à l’ENSAPL. Elle est née d’une demande de Béatrice Mariolle, nommée professeure en 2018 dans cette école, après avoir enseigné pendant plusieurs décennies en région parisienne, de trouver un territoire d’accueil de ses activités de pédagogie et de recherche. Les attentes du territoire étaient importantes, car, après le rapport de Jean-Louis Subileau et l’engagement de l’État pour le renouveau du Bassin minier (ERBM), il fallait réfléchir à un projet innovant. La DRAC et la Mission Bassin minier ont tout de suite soutenu la démarche. Bien avant l’appel à candidatures pour chaire partenariale “architecture et innovation”, lancé en 2019 par la ministère de la Culture, la chaire était née. Elle a tout de suite eu pour ambition d'être au service d’un territoire et donc de mettre à sa disposition les outils et moyens que des architectes savent mobiliser. La chaire s’est définie comme une structure ouverte d’interaction locale, au croisement des régimes du savoir et de l’action, considérant l’architecture mise au service d’une idée sociale et économique, au plus près des acteurs locaux et notamment des habitants. Elle défend un « art de faire » fondé sur la coexistence et les échanges de savoirs, une sorte d’écosophie à la Guattari, qui fait rimer écologie avec environnement, rapports sociaux et subjectivité humaine. Cinq chaires ont été labellisées en 2020 et celle de Lille se trouvait être la seule chaire régionale et territoriale. Les autres étant thématiques et parisiennes.
Il était important que cet ancrage local ait des résonances internationales et en 2022 le réseau Post-Mining a pris son envol. Il compte aujourd’hui une vingtaine de partenaires, européens bien entendu, mais également américains (Chili, Brésil et États-Unis). Ses membres sont chercheurs, pédagogues ou praticiens de l’architecture et du paysage.
À l’école des architectes du quotidien (situations pédagogiques précises et vécues)
Former aujourd’hui les architectes de demain représente un véritable défi, chaque jour un peu plus fort, lancé aux écoles d’architecture. C’est donc dans une situation d’économie faible que les transformations architecturales, écologiques et paysagères se posent. Mais n’est-ce pas ce qui attend les architectes et les paysagistes de demain : penser la transformation de situations présentes, avec un grand sens de l’économie ; révéler dans le patrimoine architectural et paysager, à la fois l’histoire et le futur comme étant intrinsèquement inscrits. L’acclimatation des cités minières s’intéresse aux maisons elles-mêmes (isolation thermique, production d’énergie, ventilation, second-œuvre…), mais également aux relations entre la maison, le jardin et l’espace public (permaculture, gestion des eaux pluviales, espaces de rencontre …), aux liens entre la maison et le grand territoire (filière de matériaux bio et géo-sourcés, reproductibilité des propositions, trames vertes et bleues…). L’ensemble de ces échelles du projet sont donc indissociables et fondent un nouveau récit pour le Bassin minier. Les habitants sont les premiers acteurs du projet, aux côtés des bailleurs sociaux, des élus et des techniciens. Leur confiance retrouvée est un signe d’une émancipation et de projet post-extractivisme.
L’architecture cachée dans l’ordinaire des situations post-anthropocène
Chaque année une cité minière accueille les étudiants. Ils passent beaucoup de temps sur le site à la rencontre des acteurs politiques et techniques, mais surtout associatifs et citoyens. Cette approche est guidée par la nécessité de former des architectes de terrain, architectes du quotidien, capables de dialoguer et de saisir les situations présentes, de considérer un patrimoine ordinaire habité par des familles en grande précarité et de proposer des projets réalisables dans un cadre d’économie faible.
L’adaptation énergétique devient une occasion d’inventer et d’expérimenter, au-delà des normes et des cadres technologiques. On imagine mettre en œuvre des matériaux bio et géosourcés, comme des isolations en terre crue et fibres de lin ou chanvre ou on teste des rideaux hygrothermiques assurant un complément de confort dans les maisons. Terre et textile comptent parmi l’histoire industrielle et artisanale du territoire et des filières peuvent être réinventées sur de nouvelles bases, celle des productions et consommations locales. C’est ainsi qu’un travail est élaboré avec les briqueteries du territoire qui, face à l’augmentation de l’énergie, réfléchissent à revenir à la terre crue; avec l’industrie textile de la métropole lilloise et du Bassin minier qui s’engage dans les filières lin et chanvre ou même dans la dentelle de Caudry et de Calais, toujours active et créative. Avec ces matériaux, c’est tout une nouvelle pratique qui s’ouvre à nous, car coudre un rideau ou enduire un mur est à la portée de tout le monde. Ces techniques favorisent donc l’émancipation des habitants, qui ont souvent perdu confiance en leur capacité à lutter contre toutes les formes de précarité, trop souvent infantilisés ou impressionnés par les bailleurs sociaux et les élus. Travailler sur le confort ressenti et sur l’adaptation des usages en fonction de la météo et de la vie dans la maison c’est aussi ce à quoi réfléchissent des collègues belges avec le magnifique projet Slow Heat.
Des doctorants dans l'action
La chaire c’est aussi de la recherche dans l’action et vers l’action. En effet, le ministère de la Culture mettait à disposition des chaires pendant 3 ans des bourses doctorales à 50%. Deux doctorants en ont profité, Mélusine Pagnier co-financée par Maisons & Cités, principal bailleur du territoire, et Martin Fessard, co-financé par la Région Hauts-de-France. Ce partenariat contribue au projet et permet aux jeunes chercheurs d'investir un même territoire et de collaborer à travers un partage de connaissances et de pratiques de terrain. De plus, ils interviennent dans l’atelier de projet de Master encadré par Béatrice Mariolle, apportant une dimension théorique essentielle à l’élaboration des propositions spatiales, mais également pratiques en proposant des expérimentations in situ, qu’il s’agisse d’ateliers participatifs dans la permanence de Mélusine ou de chantiers collectifs dans la maison de Martin. En effet, Maisons & Cités a mis 2 maisons à disposition de la chaire. L’une pour établir une permanence architecturale et l’autre pour tester des matériaux.
Leur travail, après une approche plus classique d’état de l’art et de positionnement théorique, prend racine dans la Cité d’Orient, à Harnes. Gérée par Maisons & Cités, cette cité minière fut construite en 1925 par la compagnie de Courrières. Si une grande partie de la cité est aujourd’hui démolie, subsiste encore un quartier de corons1, constitué de 68 maisons individuelles avec jardins, et visé actuellement par les politiques de rénovation des passoires thermiques. En 1981, les GIRZOM (Groupes Interministériels pour la Rénovation des Zones Minières) avaient déjà rénové l’ensemble de ces logements sociaux, en ajoutant au volume principal des maisons, des extensions pour accueillir cuisines et salles de bains, ainsi qu’en raccordant les logements au réseau d’eau. Ces transformations constituent, pour certaines maisons, les derniers travaux réalisés par le bailleur dans les logements. Celles-ci n’ont alors jamais été isolées et sont alors classées “F” ou “G” au Diagnostic de Performance Énergétique. Les politiques gouvernementales actuelles imposent aux bailleurs de rénover l’ensemble de leur parc immobilier classé en dessous de l’étiquette “D”. Pourtant, les résultats semblent aujourd’hui bien en deçà des ambitions escomptées, le rythme des rénovations n’étant pas assez élevé ; la baisse des consommations énergétiques est moins importante que prévu (dû, notamment, aux effets rebonds); l’impact carbone des rénovations n’est pas évalué ; la qualité des travaux ne semble pas aux rendez-vous ; et la conception des rénovations semble parfois peu adaptée aux besoins des usagers2. Ces constats, à la fois nourris par des études nationales et par des enquêtes de terrain, posent le cadre du travail mené par la chaire. Les deux thèses en cours cherchent ainsi à développer des pistes de rénovations alternatives, interrogeant les normes et processus de conception, face aux enjeux architecturaux, sociaux et environnementaux contemporains.
La permanence de recherche, cadre propice à la mise en oeuvre d’une participation exigeante pour la rénovation énergétique du logement
La thèse de Mélusine Pagnier interroge l’apport des pratiques collaboratives (en tant que processus participatif exigeant) dans les opérations de rénovations énergétiques du logement social. Cette recherche vise à la généralisation de pratiques de conception plus démocratiques dans les logiques de production de la ville. Elle fait notamment l’hypothèse que la participation des habitants pourrait contribuer à la lutte contre la précarité énergétique dans le logement. Les habitants possèdent en effet un savoir d’usage3, une compréhension de l’existant, absolument nécessaire à la mise en œuvre d’une rénovation efficiente. À partir d’un corpus de recherche sur l’évolution des expériences participatives au fil du temps, ainsi que les différents outils de mesure permettant d’attester l’authenticité d’une démarche, sa thèse se concentre sur les dispositifs à visées émancipatrices. Ces dispositifs dépassent notamment la seule ambition architecturale strico-sensus pour s’attacher à la construction d’une dynamique sociale autonome. Parmi eux, celui de “permanence architecturale”, semble aujourd’hui permettre une collaboration particulièrement étroite et exigeante entre concepteurs et habitants.
C’est dans ce cadre qu’au début de l’année 2022, Mélusine est partie s’installer en permanence dans une des maisons de la Cité d’Orient. À travers cette expérimentation, celle-ci vise à co-élaborer le programme des rénovations avec ses voisins par la mise en œuvre une multiplicité de dispositifs participatifs. La pratique quotidienne du site de projet lui confère tout d’abord une compréhension précieuse de l’existant, autant dans ses dimensions architecturales, que sociales ou environnementales. C’est alors avec autant d’attention qu’elle s’attache à représenter les particularités du site du projet. Lucie, une de ses voisines, le lui répète souvent : “toi, tu sais comment on vit ici, tu connais les problèmes qu’on a. Donc pour les travaux, tu sais ce qu’il faut faire!”. C’est, en effet, le premier avantage de la permanence, qui démultiplie les interactions du concepteur avec le site de projet. Par l’expérience sensible, celui-ci est constamment confronté à la réalité du terrain et peut ainsi mieux en déceler les enjeux. Cette pratique crée alors un lien privilégié, personnel, voire intime au territoire, que Mélusine raconte notamment à travers sa Cartographie du quotidien.
Avec ses voisins, Mélusine dessine des plans de travaux individualisés, des coupes sensibles, des cartographies collaboratives, etc. Elle explore également des pistes de projet par préfiguration d’usage, accompagne les initiatives habitantes, favorise les échanges et l’autonomie des locataires, etc. Elle élabore finalement autant d’outils de co-conception architecturale matériels qu’immatériels. Le diagnostic qu’elle affine quotidiennement avec les habitants s’attache par exemple à l’analyse détaillée des modes de chauffe, des compétences habitantes, ou encore de leurs peurs. Elle dresse un état des lieux d’arrivée sur les enjeux de la rénovation et de point d’étape, après un an de permanence.
Sa présence quotidienne permet également de produire des outils de compréhension du territoire qui assument d’embrasser pleinement le point de vue des habitants. La coupe des Souvenirs d’une maison de la rue de Plewna, par exemple, se base uniquement sur les récits et ressources graphiques de ses voisins. À une échelle plus individuelle, Mélusine propose à chaque foyer, un accompagnement spécifique pour programmer les travaux nécessaires dans les logements. Sur des plans, elle relève alors avec eux l’état existant et les dysfonctionnements spécifiques du bâti ; les travaux d’entretiens, d’améliorations ou de transformations déjà réalisés par Maisons & Cités et par les habitants ; et enfin, les besoins énoncés par les habitants concernant les travaux.
Lorsqu’une piste de projet est évoquée, notamment pour les espaces communs, Mélusine passe de l’étude de faisabilité, au prototypage. Pour évaluer la pertinence d’une proposition programmatique, tout le quartier est alors invité à “tester” la proposition en question. C’est ainsi qu’ont alors été préfiguré et légitimité par l’usage, trois programmes pour les espaces communs : La Ressourcerie4, la Buvette de Ginette5, et le Cinéphémère6.
La récente constitution d’une maîtrise d’usage des habitants est un autre exemple d’outil de co-conception, à part entière. Mélusine a en effet accompagné ses voisins pour monter une association de quartier, les Corons d’Orient, et pour porter le rôle de maîtrise d’usage dans le projet de rénovation. Alors que le corps social de la cité était dans un état particulièrement compétitif à son arrivée, au sens où ses habitants entretenaient des relations très conflictuelles, ces derniers se sont petit à petit constitués en groupe conscient de leurs intérêts communs. Il s’agissait en effet de prendre soin de ce corps social pour favoriser la naissance d’un climat de symbiose propice à la collaboration. La maîtrise d’usage constituée se propose aujourd’hui de prendre en charge la conception de ces espaces communs, mais aussi sa construction, par chantiers participatifs, et peut-être même sa gestion. La Carte touristique des Corons d’Orient élaborée par la maîtrise d’usage présente en partie ces enjeux dans le quartier.
Aujourd’hui, la permanence, c’est le QG du quartier. En dehors d’y concevoir un projet de rénovation en accord avec les besoins des habitants, c’est aussi un lieu de sociabilité, d’organisation, un relais auprès d’autres institutions, un lieu de stockage et de partage d'outils pour construire, entretenir, transformer et imaginer l’avenir. Ce n’est plus seulement les habitants qui sont intégrés au processus de projet, mais l’architecte, qui est intégré aux espaces qu’il conçoit et dans les communautés pour lesquelles il construit. Celui-ci devient alors partie prenante d’un environnement complexe et ses modalités d’action portent au-delà de la production architecturale stricto-sensus. Par des démarches participatives exigeantes, l’architecte en permanence s’attache alors également à produire un environnement de travail fertile à la collaboration avec et entre les habitants, ainsi qu’une dynamique de projet pérenne et autonome qui dépasse les temporalités de sa propre intervention.
À partir de cette expérience spécifique au sein de la thèse, Mélusine cherche aujourd'hui à appréhender la réplicabilité de la démarche. À l’appui de la grande richesse de la littérature scientifique sur la participation et de cette expérience de terrain, elle cherche à définir la qualité, l’impact, mais aussi les freins de ce type de pratiques. Une démonstration à découvrir dans sa thèse, qui dessine ainsi de nouvelles pistes de mise en œuvre pour la rénovation des cités minières, et plus largement, des situations de précarité énergétique.
Plaisirs thermiques, contre résistance thermique
En parallèle, le travail de Martin Fessard émet une seconde hypothèse. Face aux problématiques quantitatives et qualitatives des rénovations lourdes déjà citées, celui-ci s’intéresse aux logiques de rénovations frugales, basées sur une conception architecturale “climatique”. À travers une attention particulière à l’existant, sa recherche repose sur une réutilisation maximum de l’architecture, la mise en œuvre de finitions bio- et géosourcés, ainsi que sur le développement de climats intérieurs variés, adaptables et maîtrisables par le locataire, pouvant susciter des plaisirs et émotions thermiques. À la croisée d’enjeux techniques, sociaux et architecturaux, la thèse de Martin Fessard tend à enrichir les pratiques de rénovation par l’élaboration de nouvelles manières de faire, plus efficientes, à faible impact sur l’environnement et plus ajustées à la diversité des pratiques habitantes. Au duo de direction de thèse, s’est ajoutée la présence de Vincent Dubois, ingénieur en génie civil, du laboratoire LGCgE de l’Université d’Artois, partenaire de la chaire.
Cette recherche se structure autour de trois axes de réflexion. Le premier tend à minimiser les interventions matérielles des rénovations par la réutilisation optimum de l’architecture existante, et ce, jusqu’au second œuvre. Concernant autant l’intérieur que l'extérieur des logements, cet axe croise alors nécessairement la question du patrimoine à celle du réemploi. Le second s'intéresse, quant à lui, aux propriétés climatiques et ornementales des finitions bio- et géosourcées7. À l’intérieur des maisons, celles-ci améliorent la qualité de l’air ainsi que le confort ressenti en été comme en hiver. À l'extérieur, elles offrent une alternative écologique intéressante, notamment par leur faible empreinte carbone. Enfin, le troisième axe de cette recherche interroge la notion de confort ressenti8 à travers les modes de chauffe des habitants. Il explore notamment le moyen de chauffer les corps plutôt que l’air, de créer des microclimats internes aux logements, et de mettre en œuvre une ventilation naturelle.
Au regard des différents enjeux de cette thèse, la Cité d’Orient apparaît comme un cas d’étude et d'expérimentation particulièrement intéressant. Tous construits sur le même modèle, les corons, maisons mitoyennes et alignées, de la cité pourraient a priori paraître identiques. Et pourtant, chacun de ces logements est unique en termes d’orientation, de place dans la barre continue et d’usage. Ceux-ci possèdent leurs propres pathologies, révèlent différents états d’entretiens, et surtout, sont appropriés de diverses manières par leurs occupants. Les modes de chauffage sont variés, allant des anciens poêles à charbon au gaz de ville, en passant par les radiateurs électriques ou les poêles à bois. Si l’ensemble des locataires ou presque sont en situation de précarité énergétique, les pratiques divergent : certains chauffent l’ensemble de la maison comme un volume unique (souvent, ceux qui se chauffent au gaz de ville), alors que d’autre, chauffent les pièces plus localement (par exemple, seulement le rez-de-chaussée), allant jusqu’à se déplacer avec des chauffages mobiles pour accompagner leurs diverses activités dans le logement. La méthode du relevé climatique habité permet d’investiguer cette diversité de situations de rénovation et de confort.
Les appropriations, plus spécifiquement, sont révélatrices de l’évolution des modes de vie des habitants des corons depuis leur construction et de la diversité des profils de ceux qui y vivent. Les extensions auto-construites à l’arrière des logements témoignent par exemple du besoin d’une pièce de vie supplémentaire, tournée vers le jardin. L’ouverture d’un mur séparateur entre le salon et la chambre du rez-de-chaussée qui accompagne parfois le départ d’un enfant dans le foyer exprime la volonté d’un agrandissement des espaces communs ou d’une plus grande luminosité. Autant d’adaptations spatiales qui seront démolies pendant les travaux et probablement reconstruites une fois le locataire de retour dans son logement pour des raisons de nécessité. Les habitants façonnent leurs logements selon leurs besoins, l’évolution des modes de vie dans le temps, les modulations internes du foyer, le renouvellement des locataires, etc. C’est pourquoi ce travail s’attache à produire des solutions individualisées et des transformations architecturales adaptables, mobiles et évolutives. Concrètement, ce sont autant de finitions réutilisables (enduits de terre-chanvre sur brique, enduit de terre sur panneaux sandwich existants), de mobiliers climatiques (rideaux ou panneaux hygrothermiques en lin, tapis en laine, panneaux rayonnants électriques mobiles) ou encore d’éléments architecturaux (cheminée de ventilation par tirage thermique dans les conduits existants, poêle à bois) qui sont alors proposés dans la rénovation de la Cité d’Orient. Deux workshops, Bio-ARA9 et Bio-TEX10, ont d’ores et déjà permis d’explorer les potentiels ornementaux et climatiques des enduits terre crue et des rideaux hygrothermiques avec les habitants de la Cité et des étudiants de l’Ensap Lille : quelle désirabilité pour ces intérieurs et pratiques de confort renouvelées ?
Ces deux thèses, complémentaires par leurs approches, apportent de nouvelles perspectives pour le quartier. Elles en bousculent les habitudes et créent de belles synergies de travail avec les habitants.
Engagés pour la qualité du logement de demain
Avec tout ce travail pédagogique et de recherche menée dans la cité d’Orient, la réponse à l’appel à candidatures EQLD lancé par le ministère de la Culture et le Ministère du logement en 2022 était évidente. Les thèses de Martin et de Mélusine devenaient le socle d’une rénovation expérimentale et le programme établi pour une maîtrise d’oeuvre. L’équipe, dont la chaire est mandataire est constituée principalement du bailleur social, Maisons & Cités, de la commune de Harnes, la CALL intercommunalité, la Mission bassin minier, le LGCgE. Le projet est sélectionné parmi les 20 projets nationaux incubés soutenus par la Banque des Territoires via le GIP-EPAU.
Le projet consiste en la rénovation des 25 maisons minières, dans la rue Plewna dite “rue de Mélusine” entre nous, ainsi qu’un espace commun de quartier. Plus largement, il interroge des dizaines de milliers de maisons dans le Bassin minier encore à rénover et au-delà, toutes les petites maisons en briques du nord de l’Europe. Il a également pour ambition de bousculer les normes et les processus de projet de rénovation. Les questions de rénovation légère et de démarches participatives vont donc trouver là un terrain d’application.
Une équipe de maîtrise d'œuvre a été choisie au sein du groupe de la Frugalité heureuse et créative des Hauts-de-France (BLAU, POST et TRIBU). L’association du quartier devient maître d’usage avec une permanence architecturale qui fait office d’assistance à la maîtrise d’usage. Au programme: tout d’abord, 3 maisons témoin avec 3 orientations différentes permettant d’interroger des principes bioclimatiques et de servir de maisons tiroirs pour les habitants du quartier et mettant en oeuvre des éléments mobiles de chauffe (rideaux hygrothermiques et panneaux radiants), isolation en béton de chanvre, finitions intérieures en terre crue, chantiers participatifs et autoréhabilitation accompagnée, participation active des habitants) ; ensuite, des diagnostics thermiques frugaux de toutes les maisons et enfin la rénovation de 22 maisons s’appuyant sur les enseignements des 3 premières. Le projet remet en question beaucoup d’habitudes des bailleurs sociaux dans la rénovation des maisons minières en instaurant la ventilation naturelle, la programmation à la carte, en interrogeant les normes et le confort, l’autonomie énergétique non réductible à l’énergie, mais incluant la ressource en eau, l’alimentation et la gestion du quartier. Il s’attaque aussi aux bilans d’opération qui pourraient être calculés dans un spectre plus large que celui réduit de la maîtrise d'œuvre, en intégrant la programmation et la gestion. Enfin, mais tout en sachant que la liste risque encore de s’allonger, l’équipe s’invite dans les enjeux d’attribution des logements, lesquels aujourd’hui, ne permettent pas de mettre en œuvre la participation des futurs habitants.
La chaire pilote le projet et garde un recul nécessaire, avec l’aide de la Mission bassin minier, pour réfléchir aux possibles transpositions de méthodes et de solutions techniques à d’autres situations.
Conclusion: L’architecture du quotidien politique
Depuis la création de la chaire Acclimater les territoires post-miniers, il y a 6 ans, des relations étroites se sont tissées avec les partenaires du Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais. Articulant pédagogie et recherche, l’équipe a fait la preuve d’une capacité à produire des connaissances, à proposer des idées et à susciter l’intérêt national et international. La rénovation des logements miniers va-t-elle être révolutionnée? titrait le journal La Voix du Nord en septembre 2022. En effet, des expérimentations sont en cours, bousculant les processus de projet et les solutions techniques de rénovation. Doctorants et étudiants sont la clef de voûte de ce travail piloté par la chaire. Le recul critique autorisé par la recherche en action ouvre des perspectives tout à fait réjouissantes, allant jusqu’à l’interrogation des normes thermiques et des conditions de reproductibilité. L’opportunité offerte par l’AMI Engagés pour la qualité du logement de demain, est celle d’un regard attentif des ministères du Logement et de la Culture pour ce territoire. Les habitants prennent confiance en eux, n’hésitent pas à présenter fièrement leur quartier aux “parisiens” venus découvrir la démarche et posant des dizaines de questions de toutes sortes. Les architectes sont à l’honneur, qu’ils soient encore en formation, en permanence architecturale, chercheurs ou maître d’oeuvre, ils montrent à quel point ils peuvent s’impliquer sur le terrain et vivre pleinement leur mission de concepteur du quotidien, un quotidien politique comme l'appellerait Geneviève Pruvost.
Cartographie réalisée avec les Corons d’Orient pour présenter le quartier et le projet aux visiteurs et visiteuses, notamment lors des journées portes-ouvertes.
Une des ambitions du diagnostic partagé était de projeter la création d’espaces communs pour les habitantEs. En se basant sur ce qu’ils et elles savent déjà faire, ce qu’ils et elles aiment déjà partager, les chances que ces espaces communs soient entretenus et gérés par les habitantEs elles et eux-mêmes augmenteraient certainement. Il apparaissait alors pertinent de relever soigneusement les compétences en présence, ainsi que les services rendus entre voisinNEs, pour imaginer et proposer des pistes de projets ajustées.
Parmi les 14 cartes thématiques du diagnostic, la carte des “modes de chauffe” répertorie d’abord, pour chaque logement, le type de chauffage utilisé (gaz de ville, bonbonne butane, fioul, charbon, bois, électrique, etc.) Elle mentionne par ailleurs, la classe énergétique suggérée par Maisons & Cités avant vérification du diagnostic technique, ainsi que la présence d’isolant dans le logement ou encore de cheminées. Elle précise ensuite les manières dont chaque foyer se chauffe, par différents symboles (logement chauffé en totalité de façon homogène ; logement chauffé seulement au rez-de-chaussée ; pièces chauffées selon le moment de la journée ; ou pas du tout chauffé, souvent causé par une forte précarité économique). Souvent, les logements équipés du gaz de ville chauffent toutes les pièces de manière homogène, alors que ceux équipés de poêles ne chauffent nécessairement que le rez-de-chaussée. Les habitantEs concernéEs mentionnent à cet égard qu’il leur semblerait “absurde” de chauffer les chambres à l’étage. Ce répertoire minutieux interroge alors la logique des rénovations actuelles, qui imposent le chauffage au gaz de ville. Les rénovations classiques, qui cherchent pourtant à la “baisse des consommations”, recréent ainsi de nouveaux besoins, là où il n’y en avait peut-être pas.
Les travaux de rénovation ne sont pas toujours bien accueillis par les habitantEs. À travers le relevé du champ lexical employé à l’annonce des travaux, nous avons réalisé une carte des “peurs” concernant le projet. Sur cette carte, nous pouvons notamment constater que la peur de voir détruit ce que les habitantEs ont elles et eux-mêmes construit (extensions, pergolas, cuisines incorporées, revêtements spécifiques, etc.) constitue la source d’inquiétude la plus partagée dans le quartier. Car ce que les habitantEs ont investi comme temps de travail, efforts financiers, ainsi que la valeur symbolique qu’ont pris ces apports, se voit bien souvent annihilé par les travaux de rénovation qu’on leur impose.
La Cartographie du quotidien représente les différents repères architecturaux et paysagers du quotidien de Mélusine, dans un rayon d’accessibilité d’environ 20 minutes à pied autour de la permanence. Si le fond de plan reste aux normes classiques de représentation, c’est la sélection des éléments représentés qui constitue le regard subjectif de cette carte.
Les corons de la rue de Plewna pourraient apparaître, sur des plans type “autocad”, comme parfaitement identiques les uns aux autres. Pourtant, chaque logement a été approprié de manière unique par ses habitantEs et révèle aujourd’hui des propriétés et dysfonctionnements distincts. Dans son travail, Mélusine s’attache notamment à la lecture attentive de ce déjà-là pour, d’une part, maximiser la réutilisation de l’existant et, d’autre part, déceler et projeter les interventions les plus ajustées à chaque situation. Une attention qui tend également à faciliter la participation des habitantEs, pas toujours accoutuméEs à la lecture de documents techniques. L’élévation des façades des corons de la rue en est un exemple significatif, où l’illustration retrouve un rôle clé dans l’expression technique des spécificités de chaque logement, autant que dans l’accessibilité des documents produits avec et pour les habitantEs.
Plans de relevé et de programmation des logements, réalisés individuellement avec chaque foyer de la Cité d’Orient.
Une coupe sensible a été dessinée avec les habitantEs du quartier, pour représenter les modes de vie sur une parcelle de la rue de Plewna, à l’époque des mines. À partir du témoignage des “ancienNEs”, ainsi que de diverses ressources que les habitantEs mettaient à sa disposition (photos de famille, anciennes coupures de journaux, livres personnels, etc.), Mélusine élabora avec elles et eux une représentation à la fois technique et illustrée de leurs souvenirs.
Après un an de permanence, un second état des lieux a pu être posé. Les multiples négociations engagées par le biais de la permanence permirent notamment de trouver des solutions de gestion locative plus ajustées, et en décembre 2022, plus aucunNE habitantE ne formulait de refus de travaux. D’autre part, cette carte indique le développement des relations connues entre les habitantEs dans le quartier, caractérisé par l’accroissement constaté des liens d’amitié entre voisinNEs.
À son arrivée, Mélusine dressa un constat général permettant de situer globalement les habitantEs rencontréEs, les différents statuts des logements (vacants, achetés, occupés par des ayants-droits) et s’ils avaient, à prioris été isolés. S’ajoute à cette carte, les refus de travaux et raisons évoquées par les habitantEs. Face aux nombreux conflits et au climat délétère dans le quartier, Mélusine répertoria également les relations connues entre les habitantEs au lancement de la permanence.
Cette coupe illustre les ressources et enjeux locaux, en superposant sur un seul et même plan, les éléments historiques et actuels marquants du territoire.
Le tableau “Efficacité des plans de rénovation énergétique” recense les objectifs quantitatifs des plans de rénovation, mis en regard des réalisations. Selon la Mission d’information sur la rénovation thermique des bâtiments de l’assemblée nationale, il y aurait ainsi au mieux 145 000 rénovations lourdes en 2019, contre les 700 000 ambitionnés par la Stratégie Nationale Bas Carbone. Ce qui suppose au minimum une multiplication par 5 des rénovations énergétiques lourdes. Face à ce constat quantitatif, on voit l’intérêt d’explorer des alternatives à la rénovation lourde.
Le workshop Bio-ARA, pour Auto-réhabilitation accompagnée en matériaux Biogéosourcés, s’est tenu à Harnes, dans la Cité d’Orient, en septembre 2022. Il a associé conférences, chantier participatif et journée d’étude. Le chantier s’est tenu au 142 rue Debarge, et a exploré les potentiels ornementaux des enduits terre crue à partir de matériaux récoltés localement - argiles, schistes des terrils, anas de lin, plantes tinctoriales, craies, etc. Il a réuni des étudiantEs de l’Ensap Lille, les habitantEs de la Cité, les chercheurs et chercheuses de la chaire, la plasticienne Tiphaine Calmettes, la doctorante-enduiseuse Marie Flécheux, l’association les Tinctoriales, Les Compagnons bâtisseurs, ainsi que les actrices et acteurs locaux et nationaux du logement social, de l’ARA et des matériaux biosourcés. Une exposition à la Cité des Electriciens, à Bruay-la-Buissière, a permis de partager localement les résultats de ce workshop. Cherchant à relier les propriétés esthétiques de ces finitions à des propriétés techniques, des tests de Capacité Tampon Hygrique des finitions terre crue ont été entrepris avec le LGCgE sur la base des ornements développés par les étudiantEs et les habitantEs.
Le workshop Bio-TEX investigue la création de rideaux hygrothermiques en lin de grandes dimensions avec un atelier couture et des conférences. Il a lui aussi rassemblé en octobre 2023 des étudiantEs de l’Ensap Lille et des habitantEs rémunéréEs de la Cité, accompagnéEs par les designers textiles d’About a Worker et Emma Cogné, ainsi que les chercheurs et chercheuses de la Chaire. Les étudiantEs ont conçu et fabriqué avec les habitantEs des rideaux répondants à de problématiques thermiques des maisons des habitantEs. Les rideaux de Béatrice et Mélusine créent un sas d’entrée, celui de Manu enveloppe son escalier pour garder la chaleur en bas, celui de Lucie habille sa fenêtre de chambre en été et en hiver de manière réversible. Les textiles ont été donnés par des entreprises textiles historiques ou récemment réinstallées dans le nord : fil de Safilin, tissus en lin de lemaître demeestere, dentelle de Sophie Halette, Métisse du Relais ou encore laine wallone de Woolconcept. Les rideaux développés sont visuellement et tactilement chauds et relativement isolants, associant confort technique, de maîtrise et esthétique. Ils mettent en scène de nouvelles relations entre habitantEs et climats intérieurs et extérieurs. Une instrumentation des rideaux installés est en cours afin d’apporter des éléments sur le rôle technique des rideaux, en situation réelle d’usage. Ce travail se poursuit par ailleurs avec les designers d’About a Worker par la création d’un système de rideaux hygrothermiques biosourcés modulables, qui habillera les maisons rénovées de la Cité d’Orient. Les résultats de ce travail et du workshop seront présentés lors d’une exposition à la Cité des Électriciens en mars 2024.
Les relevés climatiques habités articulent un relevé des données de confort technique avec une station de confort - mesure de température de l’air, de rayonnement, d’humidité, de la vitesse du vent, calcul de l’indicateur de confort predicted mean Value calcul - avec des éléments de confort ressenti - mobilier climatique, décoration, espace, situations d’usage. Des entretiens avec les habitantEs sur la base de ces relevés, associés à une analyse architecturale experte, permettent de rendre compte de la diversité des pratiques de confort, des esthétiques thermiques, visuelles et tactiles des intérieurs, de différents états de l’architecture existante. Ces relevés constituent ainsi des bases pour une réhabilitation fine des maisons, au plus près du confort ressenti des habitantEs et des qualités de l’architecture existante.
- Premier type de logements construits par les compagnies minières, majoritairement entre les années 1820 et 1890
- Voir notamment :
- Projet NZC rénovation (2021) Programme d’innovation collaborative NZC rénovation, analyse du cycle de vie des cas génériques retenus. Alliance HQE. Available at:https://www.hqegbc.org/quels-leviers-pour-la-renovation-bas-carbone/ (Accessed: 23 June 2022).
- Majcen, D., Itard, L.C.M. and Visscher, H. (2013) ‘Theoretical vs. actual energy consumption of labelled dwellings in the Netherlands: Discrepancies and policy implications’, Energy Policy, 54, pp. 125–136. Available at: https://doi.org/10.1016/j.enpol.2012.11.008.
- Collectif Slow Heat (2021) Diagnostic Slow Heat. Bruxelles. Available at: https://www.slowheat.org/_files/ugd/c1433a_caa58818e6774e68825b8fa31a23d2cc.pdf (Accessed: 23 September 2022).
- Kiel, M. (2014) Insulating Modernism : Isolated and Non-Isolated Thermodynamics in Architecture. Birkhauser
- NEZ Héloïse, « Les savoirs et savoir-faire des professionnels face à la participation : entre aptitude au dialogue et communication graphique », in BIAU Véronique, FENKER Michael, MACAIRE Elise, L’implication des habitants dans la fabrication de la ville. Métiers et pratiques en question, Cahier Rameau, n°6, 2013, pp.151-164
- Au lancement de la permanence, de nombreux habitants se plaignaient des dépôts sauvages récurrents dans les rues de la cité. Des amas de matériaux de construction en tout genre, de mobiliers, d’électroménagers se constituaient dans les espaces résiduels du quartier. Avec l’aide des habitants, Mélusine regroupa l’ensemble de ces déchets en un seul et même endroit et proposa d’en faire un stock commun pour le quartier. Avec un peu d’entretien, le lieu devint rapidement un espace d’échange pour les habitants : l’un venait déposer une porte, et repartait avec une poutre ; l’autre du grillage, et déposait une palette, etc
- La Buvette de Ginette fut installée à l’initiative de l’habitante éponyme, dans le garage du “142”, le logement vacant mis à disposition par Maisons & Cités comme espace collectif. A l’origine, Ginette fit cadeau de son buffet de mariage pour organiser le bar. L’espace put ensuite être aménagé grâce aux nombreux autres dons du quartier, récupérés à la ressourcerie naissante. Bien visible depuis la rue et la voyette centrale du quartier, la buvette ouvre dès que les beaux jours permettent d’accueillir les réunions en extérieur. Le plus souvent tenue par les enfants du quartier sous la responsabilité de Ginette, chaque rencontre collective à propos du projet de rénovation était alors l’occasion de partager un verre, et chaque apéro de quartier était l’occasion de se donner des nouvelles du projet de rénovation
- Le Cinéphémère est une action organisée autour de deux activités : faire un film ensemble, et en regarder ensemble. Pour donner à voir les bouleversements produits par la permanence, Mélusine mit à disposition des habitants une caméra, pour qu’ils puissent filmer leur quotidien, ce qu’ils avaient à cœur de montrer, de raconter, de revendiquer. Autour d’ateliers de Cinéma et accompagnés par deux cinéastes, les habitants ont alors pu apprendre à manipuler l’outil et définir leurs objectifs pour le film, aujourd’hui en cours de montage. Pour accompagner cette action, les habitants et Mélusine construisirent un écran géant, cousu main, pour projeter et regarder des films ensemble dans le quartier l’été
- Les propriétés hygrothermiques des enduits terre crue améliorent la qualité de l’air intérieur en stabilisant l’humidité et en absorbant des composés organiques volatiles. Ils ont par ailleurs un potentiel ornemental, tactile et décoratif quasi infini. Ce potentiel ornemental pourrait-il permettre d’améliorer les propriétés hygrothermiques des finitions terre crue ? Dans le cadre de la thèse de Martin Fessard, un test en cours de Capacité tampon hygrique au LGCgE de différents enduits aux ornements, textures et finitions différentes explore cette hypothèse. Source :
Darling, E.K. et al. (2012) ‘Impacts of a clay plaster on indoor air quality assessed using chemical and sensory measurements’, Building and Environment, 57, pp. 370–376. Available at: https://doi.org/10.1016/j.buildenv.2012.06.004.
McGregor, F. et al. (2016) ‘A review on the buffering capacity of earth building materials’, Proceedings of the Institution of Civil Engineers – Construction Materials, 169(5), pp. 241–251. Available at: https://doi.org/10.1680/jcoma.15.00035 - Nous nous appuyons pour cela sur la Théorie des trois conforts, de Pascal Amphoux. Il critique le “mythe du confort universel”, “idéal technique” basé sur des équipements techniques, la domotique et un confort expert sensé optimiser les dépenses énergétiques. Il oppose à ce confort technique le sentiment de confort, qui interroge les relations entre les usagers et le confort. Ce sentiment articule selon lui confort de commodité – l’efficacité technique des équipements de confort – le confort de maîtrise – la capacité d’adapter son environnement – et confort de réserve – l’attachement émotionnel, intime, corporel, spatialisé aux équipements de confort. A rebours du confort technique de la rénovation lourde, cette typologie de conforts diversifiés pourrait permettre d’explorer des modes de rénovations techniquement plus frugaux, mais aux modes de vie et esthétiques plus riches, suscitant un ré-engagement des habitants avec les dispositifs de confort et les climats intérieurs et extérieurs. Source :
Amphoux, P. (1990) ‘Vers une théorie des trois conforts’. Available at: https://hal.science/hal-01561140 (Accessed: 27 January 2023) - Les photos de l’exposition
- Les photos du workshop