Projet  •  Colombelles (14)  ↓

Le Parc des métallos

Valoriser les terres polluées d'une ancienne usine dans un parc urbain et dans l'aménagement paysager d'un quartier de logements

En résumé

Maître d’ouvrage : SEM Normandie Aménagement, par concession de la Communauté Urbaine Caen la mer
Maître d’œuvre : Liliana Motta
Budget : 567 000€ HT dont 150 000€ fléchés depuis une subvention de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) de 1M€ pour la revalorisation des terres polluées de l’ensemble du plateau

Chronologie synthétique

1996 : rachat par la SEM Normandie Aménagement des vestiges de l’usine de la Société Métallurgique de Normandie, construite en 1917 et désaffectée depuis 1993
2008 : attribution de la concession de la ZAC Jean-Jaurès à Normandie Aménagement par la Communauté Urbaine Caen la mer
2018 : projet Biosaine, qui expérimente le remblayage avec des terres très polluées pour produire de la biomasse ; lancement du projet de parc urbain au sein de la ZAC Jean-Jaurès
2020 : début des travaux du parc urbain
2022 : inauguration du parc urbain, baptisé « parc des métallos »

Sommaire
 

De bonnes graines

Rédaction : l’École du terrain, juillet 2023
Entretiens avec Liliana Motta / paysagiste ; Hugo Lainé / Normandie Aménagement et Aurélien Delchet / Atelier Georges

La terre aussi a une mémoire. À première vue, le flâneur ou la flâneuse arrivant sur le plateau de Colombelles ne se doute pas que ce lieu abrita la Société Métallurgique de Normandie, la plus grande usine sidérurgique de l’ouest du pays. Outre un réfrigérant et une grande halle désaffectée, toutes les installations ont été démontées, envoyées dans d'autres pays ou détruites. Ne reste que la terre, notamment polluée au mercure, aux hydrocarbures et au plomb. Celui ou celle qui y marche foule donc un témoignage du passé industriel.

« Avant, raconte la paysagiste Liliana Motta, la pollution rendait visible le travail. Une cheminée d’usine fumante assurait du travail et n’était donc pas un problème. Cette pollution était jetée dans l’eau, mise sous terre, ce n’était pas grave puisque l’on pensait que tout pouvait être absorbé ou transformé. Mais lorsque nous avons commencé à réaliser qu’elle attaquait notre propre organisme, le regard sur la pollution a changé ». Jusqu’à récemment, la dépollution d’un site consistait à excaver la terre polluée sur plusieurs mètres de profondeur, à l’emmener dans des décharges et à la remplacer par une terre saine. Or, l’opération présente un coût financier important - à titre d’exemple, l’évacuation en décharge des 2000m3 des terres les plus polluées du plateau de Colombelles a été évaluée à un million d’euros - et écologique - le transport par camions, le déplacement de la pollution du site vers une décharge... De plus, dans la perspective du Zéro artificialisation nette1 (ZAN), renaturer les sols, les dépolluer pour les restaurer devient également un objectif.  

Tout l’enjeu de faire avec ces terres polluées aux fins de créer un parc, dans cet écoquartier en construction, concoure ainsi à en retourner le stigmate. Ces terres polluées ne sont pas des déchets mais un patrimoine dont l’histoire ne doit pas être occultée ; une « pépite d’or », dit Liliana Motta. Faire avec, en somme, non pas résignéEs mais inventifs et inventives. « Même si on voulait cacher cette terre, elle ressort ».

Dans le sillage de la réhabilitation de la Grande Halle du plateau de Colombelles, devenue un tiers-lieu culturel, le WIP, la Société d’économie mixte (SEM) Normandie Aménagement, aménageur du projet d’écoquartier, décide de créer un parc urbain. Déjà sensible à la valorisation des terres polluées, qu’elle a expérimentée sur le chantier
de la piscine de Bègles et de la Condition Publique à Roubaix ou sur le terrain des Murs à pêches à Montreuil, Liliana Motta est choisie pour transformer les terres polluées de Colombelles en un lieu de promenade. Un lieu d’expérimentation, également, pour cette science encore nouvelle de la dépollution.

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Chantier d'aménagement du parc des métallos. Au loin, le réfrigérant et la grande halle du WIP, 2021 © Liliana Motta

C’est lors du projet de la cité de chantier du WIP, à quelques centaines de mètres de là, sur lequel Liliana Motta effectue de premières mesures de pollution, qu’est lentement née l’idée de valoriser les terres polluées du plateau aux fins de créer un parc urbain. « Il y avait de l’espace et transporter ces terres ailleurs coûtait très cher », précise Liliana Motta, qui travaille alors à un autre récit de la pollution. De fait, évacuer l’ensemble des terres polluées prévues pour le parc urbain représente un coût supérieur à trois millions d’euros. « J’ai défendu l’idée qu’il s’agissait de terres patrimoniales et qu’il fallait les garder, explique Liliana Motta. J’ai trouvé un allié au sein de la SEM Normandie Aménagement ».

En effet, Hugo Lainé, urbaniste et chargé d’opération, avait été sensibilisé à la question des terres polluées dans ses précédentes fonctions à l’Établissement Public Foncier de Normandie où il travaillait à la revalorisation de friches polluées. « Même si les sols sont pollués, ce sont malgré tout des ressources, explique-t-il. Mais le droit français n’aide pas à voir les choses ainsi puisque, dès qu’une terre est enlevée d’un site et emmenée ailleurs, elle est considérée comme un déchet, donc impossible à remployer ». Le plateau de Colombelles a été divisé en trois zones d’aménagement concerté (ZAC), dont celle baptisée Jean Jaurès pour en faire un quartier d’habitat. Selon la loi, sortir les terres polluées d’une ZAC vers une autre entraîne automatiquement sa requalification en déchet. « Nous avons négocié avec la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) que l’ancienne emprise de la Société Métallurgique de Normandie, bien que divisée en trois ZAC, soit considérée comme un site unique, nous permettant ainsi de mutualiser les terres polluées. Nous leur avons expliqué la logique vertueuse de notre projet et sa maîtrise des coûts. La DREAL est allée dans notre sens et n’a pas considéré ces terres polluées comme des déchets mais comme des ressources, pour peu qu’elles ne sortent pas du site ».

Les terres polluées ont donc été savamment analysées, catégorisées et bâchées. Une première partie, mélangée à de la chaux pour les faire durcir, a été utilisée comme structure pour la rue qui mène au WIP. Ces terres, très hétérogènes, par endroit molles, ailleurs dures, ici gonflées, avaient une mauvaise qualité géotechnique, qui empêchaient de les utiliser pour des fondations plus structurelles.   

Chantier d'aménagement du parc des métallos, 2021 © Liliana Motta
Chantier d'aménagement du parc des métallos. Au second plan à droite, le parc photovoltaïque, 2021 © Liliana Motta

Sur la nouvelle ZAC, un premier projet sort littéralement de terre, Biosaine. « Il s’agissait de refaire des terres les plus polluées du site des terres fertiles tout en les dépolluant en même temps », explique Hugo Lainé. Après de nombreuses études sous serre, il est décidé de planter 3000 aulnes blancs et robiniers, qui ont une pousse très rapide et dont les racines favorisent les micro-organismes du sol : bactéries et champignons, qui dégradent les hydrocarbures présents dans les sols. Tous ces arbres, cette biomasse sert ensuite pour le bois de chauffage. Nous avons ainsi rendu productif un site pollué », conclue Hugo Lainé. 

Dans la foulée, l’idée se forme de créer un parc urbain pour les futurEs habitantEs du quartier Jean Jaurès à partir de 40 000m3 de terres polluées. Normandie Aménagement décide de faire appel à Liliana Motta pour ses expériences passées sur la revalorisation de terres polluées et pour son travail actuel sur les espaces paysagers du WIP tout proche. Le montant du marché étant inférieur au seuil nécessitant une publicité et une mise en concurrence, c’est un marché de gré à gré qui est conclu.  

Chantier d'aménagement du parc des métallos, 2021 © Liliana Motta
Chantier d'aménagement du parc des métallos, 2021 © Liliana Motta

La SEM passe ainsi commande à Liliana Motta, assistée de sa maîtrise d’œuvre technique, de plusieurs propositions de dessin paysager selon différents budgets. En effet, le projet initialement budgété ne prévoyait qu’un simple engazonnement de la zone. Mais la subvention de l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) pour l’ensemble du plateau a permis de dédier 150 000€ à un projet paysager plus ambitieux. Liliana Motta préfère retourner la commande. « Nous proposons un jardin bien dessiné, à partir des besoins du commanditaire, mais dont l’équipement – les luminaires, les clôtures… – pourra être construit au fur et à mesure de l’appropriation du lieu par ses usagerEs ». Une sorte de programmation ouverte paysagère, dont l’esthétique - un belvédère à sept mètres de hauteur, des terrasses et plusieurs points hauts surplombant le plateau de Colombelles et la vallée de l’Orne - permet elle aussi de transformer le regard sur la pollution. « Il y a eu un travail serré avec les ingénieurs, raconte Liliana Motta, pour ajuster le choix des plantes et le dessin général du parc. Nous avions 40 000m3 de terre et étions donc obligés, sur une parcelle d’un hectare, de créer une bute, un étage. Mais tout devait rester praticable comme lieu de promenade. L’idée était de proposer différentes atmosphères : un espace de prairie et une montagne de végétation étagée qui passerait de l’arbustif [3 000 arbustes] au ligneux [150 arbres, chênes, peupliers, bouleaux, pins…] et du ligneux au conifère. Les arbres ne devaient pas dépasser une certaine hauteur à cause du vent et pour ne pas faire de l’ombre au parc photovoltaïque voisin. Les terres polluées sont ainsi réparties à différentes profondeurs en fonction de leur teneur ». Les terres les plus polluées sont confinées par un tissu hermétique, recouvertes de terres moins polluées compatibles avec l’activité humaine et d’une dernière couche où pousse la végétation.

Chantier d'aménagement du parc des métallos, 2021 © Liliana Motta
Chantier d'aménagement du parc des métallos, 2021 © Liliana Motta

L’esthétique du projet a contribué à son acceptation et, ensuite, à son appropriation par les usagerEs. Une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) (lien vers fiche ADEME) n’a révélé aucun risque pour les habitantEs, qui ont été longuement informéEs tout au long des cinq années du projet, notamment lors de rencontres, et n’ont manifesté aucune opposition.

« Beaucoup de villes rencontrent des problèmes similaires de terres polluées, explique Liliana Motta. Il était important pour nous, non seulement d’apporter une vision valorisée de ces terres mais de montrer qu’elles peuvent avoir un rendement économique positif. Plutôt que de clôturer ces lieux, de les interdire au public, voire de les transformer en décharge, il est possible de travailler avec ce sol existant, ces terres qui conservent l’histoire sociale et industrielle du lieu ». C’est en mémoire de cette histoire que le parc a été baptisé « parc des métallos ».

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Chantier d'aménagement du parc des métallos, 2021 © Liliana Motta

À ses abords, le travail sur les terres polluées du plateau continue - il en reste encore 50 000 m3. En 2018, Normandie Aménagement lance un marché public, sous la forme d’un accord-cadre de maîtrise d’œuvre de l’espace public, pour étudier la faisabilité d’utiliser ces terres polluées dans un futur quartier d’une centaine de logements collectifs et individuels. Atelier Georges, une agence d’architectes et de paysagistes, remporte l’appel d’offre. Ils et elles catégorisent les terres selon leur teneur en pollution et proposent, dans une étude remise fin 2021, de les utiliser pour façonner le paysage du futur quartier. Elles serviront de support à la double voie qui traversera cette zone et de remblais à l’allée cavalière qui l’entourera, ménageant ainsi des vues sur la vallée de l’Orne. « Par les contacts que les équipes du parc des métallos ont noué avec la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) et avec les autorités sanitaires, elles ont, sans mauvais jeu de mots, déblayé le terrain pour étendre la gestion des terres polluées à un quartier de logements », reconnaît Aurélien Delchet, architecte à Atelier Georges. Et ainsi semer de bonnes graines, en somme. 

Notes de bas de page
  1.  La loi Climat et Résilience, promulguée le 22 août 2021, prévoit en son article 194 la diminution progressive du rythme d’artificialisation des sols (la transformation d’un sol agricole, naturel ou forestier, pouvant entraîner une imperméabilisation totale ou partielle, afin d’y construire des logements, des commerces, des infrastructures, des équipements publics…). Le Zéro artificialisation nette est un objectif pour 2050 qui demande, dans un premier temps, aux territoires, communes, départements, régions, de réduire de moitié le rythme d’artificialisation d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020.
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