Le lycée avant le lycée
Une permanence tripartite se monte pour réfléchir avec les habitantEs, via un chantier ouvert, au programme pédagogique et architectural du futur établissement scolaire
Porteurs de la démarche du Lycée avant le Lycée : Ville de Bagneux, Plus Petit Cirque du Monde, la Preuve par 7.
Permanence : trio formé de Jacques Garnier, architecte (la Preuve par 7), Martine Marchand-Prochasson (Ville de Bagneux) et Laure Damoiseau (PPCM)
Budget annuel de la permanence :
- Preuve par 7 : 107 600€ TTC dont 56 400€ en ressources humaines (permanent et stagiaire) ; 51 200€ pour le fonctionnement et les événements
- Plus Petit Cirque du Monde : 227 600€ dont 136 000€ pour le salaire de la permanente et des salariéEs du PPCM participant au projet ; 91 600€ pour le fonctionnement et les activités artistiques
- Ville de Bagneux : salaire d’une permanente à temps plein ; apports en nature et en ingénierie par les services de la Ville ; et apport de 6 000€ pour le fonctionnement
Maître d’ouvrage du lycée : Région Île-de-France
Aménageurs du quartier des Mathurins : LBO France (propriétaire qui a cédé la moitié du foncier à BNP Paribas Immobilier Résidentiel et en a conservé une partie pour un aménagement ultérieur) ; réalisation des espaces publics par la Ville de Bagneux et l’EPT Vallée Sud-Grand Paris via une convention de financement de Projet Urbain Partenarial ; promotion : BNP Paribas Immobilier Résidentiel et Link City
2012 : Rachat du site de la Direction Générale de l’Armement (DGA) des Mathurins par le fonds d’investissement LBO France
2016 : Campagne citoyenne et politique « Mobilycée-vous » pour que la Région Île-de-France inscrive la construction d’un lycée d’enseignement général à Bagneux
2017 : Inscription dans le Plan Pluriannuel d’Investissement (2017-2027) de la Région Île-de-France de la construction d’un lycée d’enseignement général à Bagneux
2018 : Inauguration symbolique du futur lycée avec la Preuve par 7 et le PPCM
2019 : Acquisition d’une partie du foncier par BNP Paribas Immobilier Résidentiel et démolition des anciens bâtiments de la DGA, à la seule exception du bâtiment Y construit par Jean Willerval dans les années 1980
Inauguration de la permanence dans les anciens tennis
2020 : Démarrage de la construction des immeubles de logements et déménagement de la permanence architecturale dans le bâtiment Y
2023 : Livraison des premiers logements de l’opération d’aménagement
2025 – 2027 : Travaux de construction du lycée
Le lycée avant le lycée
Rédaction : L’École du terrain, septembre 2022
Entretiens avec Martine Marchand-Prochasson / Ville de Bagneux ; Eleftérios Kechagioglou / Le Plus Petit Cirque du Monde ; Patrick Bouchain et Jacques Garnier / la Preuve par 7
Sur les hauteurs de Bagneux, au sud de Paris, un terrain militaire et industriel de seize hectares est racheté il y a dix ans par un fonds d’investissement qui souhaite le transformer en un nouveau quartier. D’un site historiquement clos, il s’agit de faire un quartier ouvert sur une ville de mieux en mieux connectée au Grand Paris grâce au prolongement de la ligne 4 du métro et, à l’horizon 2025, de la mise en service de la ligne 15. Aujourd’hui conduit par BNP Paribas Immobilier Résidentiel, le projet sur la colline des Mathurins accueillera ainsi, à partir de 2023, plus de 6 000 nouveaux habitants et habitantes dans 2 500 logements au cœur d’un territoire aux populations modestes, des activités, des espaces naturels et 1 200 lycéenNEs.
Car voilà des décennies que Bagneux (ville communiste depuis la guerre, commune populaire de 40 000 habitantEs dont 40% ont moins de 30 ans) attend la construction d’un lycée d’enseignement général, service public indispensable pour offrir à sa population une diversité de choix d’enseignement sans quitter la ville. En 2016, la libération du site des Mathurins au sud de la ville fut le départ d’une campagne de mobilisation citoyenne, « Mobilycée-vous », portée par l’alliance des habitantEs, des parents d’élèves et de la Ville qui aboutit à ce que la Région Ile-de-France programme la construction du lycée à l’horizon 2028 dans le nouveau quartier. Ce promontoire longtemps peu habité a une histoire ancienne : lieu de la culture de la vigne puis de l’exploitation du gypse et du calcaire, la Compagnie Thomson-Houston y installe ensuite son centre de recherche en 1955, avant d’être remplacée par le groupe Thales puis la Direction Générale de l’Armement (DGA), qui a quitté le site en 2016.
Le terrain n’est donc pas vague mais l’horizon de l’ouverture du lycée encore lointain. Entretemps, peut-on réfléchir à ce que serait le lycée de demain en mobilisant la jeunesse et les habitantEs ? Ouvrir dès maintenant « le Lycée Avant le Lycée », une permanence architecturale sur le terrain pour contribuer au projet d’un futur « lycée idéal » et le rendre ainsi irréversible ? Le Lycée avant le Lycée, lancé en 2018, occupe actuellement un espace dans le bâtiment Y, dernier vestige de l’ancien site militaro-industriel. Cette permanence architecturale est originale puisque trois acteurs et actrices s’y sont associées : une collectivité publique (la ville de Bagneux), un acteur culturel local (le Plus Petit Cirque du Monde) et La Preuve par 7.
Dès lors, puisqu’il s’agit du même mot, peut-on penser le programme architectural1 en fonction du programme scolaire ? Et comme une réminiscence du passé agricole et industriel du lieu, faire se rencontrer des savoirs, théoriques, manuels et pratiques ? Comment enseigner, apprendre et expérimenter en dehors des cadres pédagogiques classiques ?
Le Lycée Avant le Lycée devient un lieu pour s’emparer de tous les questionnements alentour avec les enfants et les adolescentEs – la construction d’un quartier, la formation des jeunes citoyenNEs, les lieux pour la jeunesse dans la ville. Un lieu qui ambitionne de faire se rencontrer jeunes et adultes, élèves et architectes, spécialistes et novices pour dessiner un avenir partagé.
Que faire avant le lycée sur le site du lycée ?
Dès 2012, la Ville avait négocié avec LBO, le fonds d’investissement alors propriétaire du terrain des Mathurins, dans le cadre de la convention de financement pour la réalisation des équipements publics du quartier, qui prévoit, au titre des contreparties financières ou en nature, qu’un hectare du futur quartier soit réservé pour la construction d’un lycée. Tel est l’enjeu majeur de la Ville. Mais d’un lycée différent, qui corresponde aux besoin des habitantEs, dont les deux tiers vivent dans des logements sociaux, afin qu’il ne soit pas évité. En effet, plus d’unE collégienNE sur trois habitant Bagneux n’est pas scolariséE dans les collèges publics de la ville, leur préférant ceux des communes voisines ou les établissements privés. « Il est évident que si on pose simplement un lycée comme ça sur le territoire, il va lui arriver la même chose », prévient Martine Marchand-Prochasson, ancienne directrice de la Citoyenneté pour la Ville de Bagneux. D’où l’importance, pour la municipalité, de transformer le futur lycée en lieu d’expérimentation, singulier, et d’y associer une majorité d’habitantEs sur le long terme.
Dès lors, en 2016, la Ville s’engage dans la campagne citoyenne « Mobilycée-vous » en faveur de la construction du lycée et incite les associations de la commune à s’impliquer. Parmi elles, le Plus Petit Cirque du Monde (PPCM), voisine du quartier. Né en 1992 du désir de quelques habitantEs de Bagneux de partager leur passion des arts du cirque et de l’éducation populaire, le PPCM est une école de cirque, un lieu de spectacles mais d’abord et avant tout un laboratoire d’actions citoyennes : cours de cirque et cultures urbaines en accès libre ou à destination des scolaires, des centres sociaux, des instituts médico-éducatifs et des habitantEs du quartier ; soutien à l’insertion professionnelle des jeunes artistes de cirque ; événements culturels organisés dans les lycées ou dans l’espace public. Ancré dans ce territoire qu’il enrichit depuis maintenant trente ans, c’est tout naturellement que le PPCM s’implique dans la mobilisation en faveur d’un futur lycée.
En 2017, la Région Île-de-France inscrit Bagneux dans son Plan Pluriannuel d’Investissement de construction de lycées qui court jusqu’en 2027. Un des premiers objectifs de la municipalité est atteint mais une nouvelle question se pose : que faire, pendant ces dix années incertaines, pour rendre cette construction irréversible et pour que l’élan soulevé par la campagne de mobilisation ne retombe pas ? Comment continuer d’impliquer les citoyenNEs dans la fabrication d’un établissement sur lequel la mairie a peu de prise, le quartier étant aménagé par un aménageur privé et le lycée étant construit et géré par la Région et le rectorat ? Ne serait-il pas possible d’occuper d’ores et déjà le terrain, cet hectare dévolu au futur lycée ?
Retour en arrière. Au début des années 2010, l’agence Construire, co-fondée par Patrick Bouchain, remporte le concours pour construire « en dur » le chapiteau du PPCM. Le chantier, ouvert au public, devient, pour les jeunes qui le fréquentent, une école de la construction et du risque, ce risque que les ouvriers et ouvrières partagent avec les circassienNEs, également présentEs dès cette étape. Il acculture aussi la municipalité à cette autre manière de faire de l’architecture. Dès lors, en 2018, quand la Ville de Bagneux et le PPCM envisagent la meilleure manière de réfléchir au futur lycée avec les habitantEs, Eleftérios Kechagioglou, directeur du PPCM, propose à Patrick Bouchain de faire de Bagneux l’un des sites d’expérimentation de La Preuve par 7 qu’il vient de créer. Comment maintenir la teneur politique et citoyenne d’un projet au cœur d’un quartier construit par un aménageur privé ? Comment intégrer les désirs et les expériences des habitantEs, et d’abord des jeunes, dans la construction d’un équipement ultra-normé tel qu’un lycée ? Comment transformer l’exercice classique de la construction en un chantier expérimental ? Telles sont les questions qu’il intéresse la Preuve par 7 de travailler sur le terrain du futur lycée. C’est ainsi que naît « Le Lycée avant le lycée ».
En 2019, quand BNP Paribas Immobilier Résidentiel acquiert une partie du foncier et entame la destruction des anciens bâtiments en vue de la construction d’un nouveau quartier de 2 500 logements, les porteurs du Lycée avant le lycée demandent de pouvoir occuper le site même du projet pour l’ouvrir aux habitantEs et y expérimenter une permanence architecturale. Une permanence singulière puisque finalement animée par trois personnes, issues chacune des trois structures initiatrices de la démarche : Justine Saur, puis, à sa suite, Jacques Garnier, architectes pour la Preuve par 7 ; Martine Marchand-Prochasson pour la Ville de Bagneux et Laure Damoiseau, urbaniste chargée de projets culturels au PPCM.
La permanence, baptisée « Le Lycée avant le Lycée », s’installe temporairement dans des bulles sur d’anciens terrains de tennis et leur vestiaire, finalement détruites par l’aménageur, où, une année durant, seront organisés des spectacles, des rencontres, des débats et des réunions avec les associations locales. L’occasion d’expérimenter et de se rendre compte de la pertinence de la démarche pour les trois acteurs et actrices. Pour le PPCM, ce projet est le prolongement hors les murs de son chantier ouvert et l’occasion de se saisir, dans un contexte urbain plus large, des enjeux d’éducation et de jeunesse qui lui sont chers. Pour la Ville, la permanence ancre le futur lycée et la participation du PPCM permet d’envisager le développement de filières artistiques ou circassiennes qui distingueraient le futur établissement. La Preuve par 7, quant à elle, souhaite faire de ce projet expérimental un exemple, la preuve qu’il est possible de construire différemment, très en amont, un établissement scolaire public, main dans la main avec la Région et le rectorat. Jacques Garnier détaille : « Quand la Région réhabilite un établissement public existant, elle consulte la communauté éducative, les usagers. Tout l’enjeu pour nous est que la permanence du Lycée avant le Lycée soit considérée comme cette communauté éducative et qu’elle puisse apporter une contribution, tant pour certains éléments du programme architectural que pour le programme pédagogique du futur lycée. C’est tout l’objet de la « Contribution au Projet Pédagogique », document commun aux trois entités qui sera le bilan exhaustif et polyphonique de la permanence. A partir de ce que nous avons vécu et expérimenté au quotidien et du travail d’enquête mené auprès des lycéenNEs, je travaille sur cette contribution à la programmation. Quelles pourraient être les relations avec l’extérieur de ce futur lycée ? Que pourrait-on réemployer ? Qu’est-ce qui pourrait servir à une « école du dehors » ? Pourrait-il y avoir des « lieux-tiers » au sein, ou même à l’extérieur d’un lycée - l’accueil, le CDI, la cantine, le préau... - pour relier les enjeux du programme architectural et du programme pédagogique ? ».
La situation géographique de la permanence rend son travail plus complexe. Les terrains de tennis ayant été démolis, elle a migré, depuis 2020, dans une partie du bâtiment Y et dispose de 270 m2 en rez-de-chaussée. C’est le seul vestige de l’ancien site militaro-industriel construit par Jean Willerval, premier grand prix national de l’architecture en 1975 et encore propriété de LBO, qui le met à disposition de la Ville via une convention d’occupation précaire. Elle n’est donc pas installée pour l’instant sur le lieu même où sera construit le futur lycée mais dans un bâtiment distant de 200 mètres, au milieu d’un très grand chantier interdit au public. Un terrain que, grâce aux nombreuses activités qu’elle y organise, notamment le mercredi où il est ouvert au public, elle a pu faire (re)découvrir aux habitantEs du quartier : stage de perfectionnement au BAFA, conférences, spectacles des centres de loisirs de la ville, accueil de lycéenNEs en stage, de troupes de cirques, arpentage du chantier, etc. : les premiers pas d’un « Tiers-Lieu des Savoirs » de la jeunesse à travers la ville. « Le terrain, anciennement militaire, n’avait jamais été ouvert, personne ne s’était trop posé de question à son sujet. Grâce à la permanence, les habitants le découvrent (ou le redécouvrent puisque, malgré tout, certains vieux habitants y ont travaillé) », explique Jacques Garnier.
L’originalité d’une permanence architecturale tripartite
Fin 2019, la permanence tripartite se structure avec la signature de deux conventions : une convention de partenariat entre les trois entités et une convention financière entre BNP Paribas Immobilier Résidentiel et l’association Notre Atelier Commun (qui porte le projet de la Preuve par 7) pour soutenir financièrement cette démarche.
La convention de partenariat détaille les engagements de chacune des entités de la permanence. Le PPCM investit chaque année 300 000€ dans le projet à travers les postes de Laure Damoiseau, d’un alternant, d’un stagiaire, d’un mi-temps dévolu aux actions avec les scolaires et les jeunes et met à disposition son directeur technique qui accompagne les travaux de la permanence. Eleftérios Kechagioglou, le directeur du PPCM, travaille environ un jour par semaine pour Le Lycée avant le Lycée et, par son expérience, son ingénierie, sa renommée et son implantation locale, la structure effectue nombre des demandes de subventions pour le projet. La Ville, quant à elle, participe en mettant à disposition le poste à plein temps de Martine Marchand-Prochasson et en fournissant des avantages en nature à la permanence (le service des espaces verts lui prête du matériel, la reprographie municipale se voit confiées toutes ses impressions...). Enfin, la Preuve par 7 accompagne le projet avec, notamment, la présence à plein temps de l’architecte Jacques Garnier.
Si une permanence à trois têtes permet une synergie et une présence plus dense et plus diverse sur le terrain, elle oblige aussi à des instances et des décisions collégiales parfois plus longues à prendre. « Avant même la mise en place du projet, il y a déjà une machine à faire marcher pour le porter. En se concentrant là-dessus, il y a parfois le risque de moins intégrer les habitants », explique Jacques Garnier, le permanent de la Preuve par 7. Chacune des trois structures a, en effet, ses propres objectifs mais tous convergent vers « l’atterrissage » aux Mathurins et le plus vite possible d’un lycée général et technologique (un peu) différent de l’ordinaire.
Le PPCM est en lui-même un permanent singulier. « À la différence d’autres permanents, même institutionnels, qui ne restent pas une fois le projet abouti, explique Eleftérios Kechagioglou, nous sommes là pour rester ». Depuis son ouverture, le PPCM a, en effet, tissé des liens avec tous les établissements scolaires de la ville et il se trouve à dix minutes à pied du futur lycée. D’où son implication, qui dépasse ce que l’on attend d’ordinaire d’un lieu de spectacle, de résidence et de formation artistiques. « À mon sens, les lieux culturels ne doivent pas être que des lieux de consommation, continue Eleftérios Kechagioglou. Ou bien, s’il y en a, le PPCM a aussi pour vocation d’être un lieu de vie, lié à son environnement, qui accompagne la transformation de son territoire et travaille avec ses habitants. Dès lors que ce projet entremêle tous les thèmes qui nous occupent (la jeunesse, l’éducation, la pédagogie par le faire, le chantier ouvert, la banlieue, l’écologie...), on se mobilise pour qu’il se fasse ». Ainsi, pour le PPCM, la permanence du Lycée avant le Lycée est au moins aussi importante que la construction effective du futur lycée. Toutes ces activités, chantiers de construction, ateliers avec les classes des lycées professionnels avoisinants amplifient le travail quotidien du PPCM comme un rebond à une autre échelle et autour d’un autre objet.
Associer un acteur privé de l’aménagement à la construction d’un lieu d’intérêt général
La permanence doit aussi composer avec cette singularité d’opérer sur le terrain d’un aménageur privé. Depuis 2019, la majeure partie du terrain du quartier des Mathurins est propriété de BNP Paribas Immobilier Résidentiel, qui prévoit la construction de 2 500 logements. La société met à disposition de la Ville l’hectare dévolu à la construction du lycée via une convention d’occupation précaire pour, tel qu’il est écrit, un usage assez classique « d’animations, de concertation et d’organisation de réunions publiques ».
Dès lors, la Ville négocie une participation de BNP Paribas Immobilier Résidentiel aux frais de la permanence. Plutôt que de financer de classiques « activités éphémères » d’animation et de communication, la Ville convainc BNP Paribas Immobilier Résidentiel de signer avec l’association Notre Atelier Commun (qui porte la Preuve par 7) une convention financière. La permanence architecturale menée par la Preuve par 7 se trouve ainsi financée au titre de « l’animation du lieu » par « l’organisation d’événements pédagogiques, ludiques et culturels » mais elle enrichit cette dénomination événementielle par une démarche au long court auprès des habitantEs, éminemment politique puisque reliée aux enjeux d’éducation et de formation.
Cette convention ne précise pas d’actions à mener ni de livrables à rendre. Malgré sa forme de convention de prestation, c’est un partenariat de confiance très libre qui s’établit entre un aménageur privé habitué des maisons du projet et une petite association qui met en œuvre une démarche totalement expérimentale. Au vu de la pertinence des actions menées sur le terrain, la convention a été reconduite chaque année depuis 2019, avec l’appui de la Ville.
Des relations avec BNP Paribas Immobilier Résidentiel se tissent peu à peu sur le terrain, par la présence continue sur le site du chantier, l’investissement des acteurs et actrices de la permanence et les études pour la construction d’un Tiers-Lieu des Savoirs. Mais aussi grâce à un séminaire organisé par la Preuve par 7 auprès des cadres nationaux et locaux de l’entreprise, du programmiste du futur quartier et des services et éluEs de la Ville de Bagneux pour les acculturer à l’urbanisme expérimental (la permanence, la programmation ouverte, les montages juridiques et économiques, l’implication de la société civile...). « L’acculturation se fait petit à petit au sein de la Ville, explique Martine Marchand-Prochasson. Les élus portent le projet à fond. Les services sont plus circonspects : le fait que la Ville finance un projet avec un établissement récent comme le PPCM interroge parfois, par rapport aux établissements culturels et sportifs historiques de la ville. Mais la médiation du PPCM et de la Preuve par 7 aident à la visibilité du projet et il est, de fait, de mieux en mieux accepté ».
Occuper le terrain pour y faire chantier : le « Tiers-lieu des Savoirs » et le « Lycée de Demain »
Depuis 2021, Jacques Garnier et Violaine Wallaert, responsable de médiation auprès des scolaires au PPCM, animent « Le Lycée de Demain », un programme qui réunit huit classes, 130 élèves et une trentaine d’enseignantEs issuEs de quatre lycées professionnels du territoire (De Vinci à Bagneux, Jean Monnet à Montrouge, Louis Girard à Malakoff et Adolphe Chérioux à Vitry-sur-Seine). « Les élèves contribuent à la construction du futur lycée de Bagneux par un projet artistique qui met en valeur leurs compétences professionnelles, raconte Jacques Garnier. Quand on leur demande ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans leur lycée, les premières réponses sont plutôt floues. Mais le projet artistique leur permet de les affiner, de parler de tout ça via un filtre ». C’est ainsi qu’avec un artiste, les lycéenNEs en électricité et énergie renouvelable ont transformé l’un des Algeco en ghetto-blaster géant. Les lycéenNEs de Vitry ont dessiné des affiches ; celles et ceux de Montrouge, spécialiséEs en maçonnerie et en économie de la construction, ont construit des plots en béton marbré pour surélever les Algeco et celles et ceux de Malakoff ont réalisé la maquette d’un Tiers-Lieu des Savoirs, tout en réfléchissant au futur lycée en revalorisant leur propre foyer, remeublé et décoré via une gouvernance en autogestion. « Ces ateliers sont un terrain formidable pour faire un diagnostic, une maîtrise d’usage, au contact direct des usagers, s’enthousiasme Jacques Garnier. L’objectif est que ces lycéens contribuent matériellement à la construction du futur lycée, même longtemps en amont, en proposant des réponses ». Voilà comment la permanence met au point et à l’épreuve non seulement le programme architectural du futur lycée mais aussi son programme pédagogique, questionnant les domaines de savoirs et leurs lieux de transmission (vidéo de restitution du Lycée de demain).
Des bulles de tennis au terrain du futur lycée en passant par le bâtiment Y, la permanence du Lycée avant le Lycée est foraine. Elle a ainsi ouvert aux jeunes qui la fréquentent la possibilité de voir la ville se construire et de réfléchir aux métiers et aux questions qu’un tel chantier implique. Le Lycée Avant le Lycée portait également l’idée d’un Tiers Lieu des Savoirs. Un lieu pour parler d’éducation, celle qu’on a reçu, celle qu’on voudrait recevoir, de ce lycée à venir ou des autres. Pour voir aussi comment se construit un morceau de ville, un bâtiment provisoire, forain était imaginé sur la parcelle du lycée, qui puisse accueillir des habitantEs au-delà du cadre scolaire : enfants, parents, éluEs, ouvriers et ouvrières du chantier. Ce lieu aurait été l’incarnation construite de ce « Tiers-Lieu des Savoirs », cette idée d’école du dehors, d’école du terrain. La permanence navigue aujourd’hui entre sa base arrière dans le bâtiment Y, ses expérimentations sur la parcelle du futur lycée, et se lie à d’autres lieux et équipements de la commune : le PPCM bien évidemment, l’Agrocité mais aussi d’autres lycées franciliens qui participent au projet du Lycée avant le Lycée.
« Depuis le début, la permanence réfléchit au contenu pédagogique du futur lycée, qui est aussi important que le programme architectural. Mais c’est aussi le plus difficile, du ressort du rectorat et pour lequel nous n’avons pas de légitimité scientifique. L’idée d’un Tiers Lieu des Savoirs et son chantier participatif permettait d’entrer dans la pédagogie par le bâti, par le faire, de penser la construction d’un lieu par les jeunes. C’est la méthode qui devient une pédagogie par l’exemple. Ce lieu auto-construit et réversible qui donne une grande liberté aux jeunes sur le temps long n’aurait-il pas pu être considéré comme un prototype ? Grâce à lui, peut-être qu’une part d’auto-construction sera envisagée dans le chantier du futur lycée ou bien un cahier des charges centré sur le réemploi. », explique Eleftérios Kechagioglou. « Le chantier participatif est un formidable outil pour intégrer des gens qui sont moins à l’aise pour réfléchir de manière abstraite à la fabrique du lycée, pour s’exprimer en groupe dans des débats ou des tables rondes », renchérit Jacques Garnier. Jeunes des centres de loisirs, en lien avec le Centre communal d’action sociale (CCAS), adultes autistes, habitantEs voisinNEs du futur lycée, toutes et tous participent à des ateliers de construction, encadrés par les permanentEs et par le collectif d’architectes-constructeurs CAVAPU spécialisé dans le réemploi. Ils et elles travaillent sur six Algeco récupérés d’un autre chantier par les architectes de Construire, Loïc Julienne et Alice Bergazov, qui travaillaient en lien avec la Ville, depuis 2020, pour édifier un bâtiment forain de 170m2 en bois et en toile, sur la parcelle du lycée, financé par des fonds de la Ville et de la Région.
Mais l’idée de construire un bâtiment forain est finalement abandonnée par les éluEs de Bagneux fin septembre 2022. Les études pour le projet et les procédures ont pris beaucoup de temps, et la Région souhaite disposer d’un terrain nu pour débuter le chantier début 2025. Si l’investissement financier dans une construction ne paraît plus pertinent pour une telle durée, l’idée et les principes de ce Tiers Lieux des Savoirs, qui existe finalement déjà sur le terrain, demeurent très forts. Ne serait-ce finalement pas le réemploi de l’existant qui devrait faire tiers-lieu ? Est-ce possible d’imaginer ce lieu dans le lycée ? La décision de ne pas construire remet sur le métier les questions qui se posaient au début du projet.
Par son implication des jeunes, des lycéenNEs, des habitantEs, de toutes les actrices et acteurs institutionnels et locaux, le Lycée avant le Lycée aura accompagné une véritable subjectivation politique. La permanence aura socialement transformé le territoire avant, espérons-le, une transformation urbanistique. La cession à la Région de l’hectare pour y construire le futur lycée est en cours. Le Lycée avant le Lycée n’y est sans doute pas pour rien. L’enjeu est désormais que la méthode ouverte de la permanence et sa Contribution au Projet Pédagogique innervent le futur chantier.
Bilan de la première phase de projet du "Lycée avant le Lycée" de Bagneux (2018-2019-2020)
Convention financière par laquelle BNP Paribas Immobilier Résidentiel soutient la démarche de la permanence architecturale de l'association Notre Atelier Commun. Il s'agit ici d'un soutien direct, par l'aménageur privé sur une part de ses fonds dédiés à Ville pour la concertation, via une convention de financement à une association pour conduire une démarche expérimentale en lien et place d'une maison classique du projet. Les livrables correspondent aux actions définies par l'association et produites sur le terrain.
- Compte rendu de la mission jeunesse menée sur le site du Lycée avant le Lycée par Fanny Taillandier
- Un lycée entre imaginaire et réalité Bagneux 2022, Fondation Daniel et Nina Carasso, 2 juin 2022, 2’57, (film) [En ligne]
- « A Bagneux, des élèves imaginent le lycée de demain », article paru dans L’Etudiant, mars 2024
- Document écrit dans lequel le maître d’ouvrage définit l’ensemble des objectifs d’une opération. Le contenu du programme présente les idées directrices de l’opération, clarifie les enjeux sociaux, culturels, économiques, établit une hiérarchie des objectifs, donne une définition des performances à atteindre. Il indique les principes de fonctionnement, l’affectation des espaces, les objectifs qualitatifs, les contraintes de délais et de coûts. Les programmistes sont les professionnelLEs qui assistent le maître d’ouvrage dans l’élaboration de ce programme. Cette programmation peut aussi se réaliser in situ, en actes, en mettant en oeuvre par le biais d’une permanence architecturale une programmation ouverte. Ainsi, la personne qui mène la permanence, souvent architecte, se met au service de la communauté politique, usagère et habitante pour bâtir le programme.
- La parcelle sera ensuite cédée à la Région.