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BRUDED

Structure de coopération entre éluEs bretons et ligériens, BRUDED est une singulière association libre d'ingénierie locale en faveur d'un développement durable des territoires.

En résumé

En résumé

Bruded est un association loi 1901 de 10 salariés à laquelle adhèrent 274 collectivités, dont 7 intercommunalités de Bretagne et de Loire-Atlantique

Budget annuel : 600 000€ (80% pour la masse salariale), dont 60% de subventions publiques, principalement : État, Secrétariat général pour les Affaires Régionales, SGAR : 90 000€ ; Région Bretagne : 90 000€ ; ADEME : 90 000€ (sur la mise en œuvre de Plan climat-air-énergie territorial par les communes) ; Département d’Ille-et-Vilaine : 25 000€ ; Département de Loire-Atlantique : 15 000€ ; Métropole de Rennes : 10 000€ (dans le cadre d’un contrat de coopération entre Rennes et 13 EPCI voisins sur les thèmes transversaux du tourisme durable, de la transition, de l’aménagement écologique et de la mobilité) ; autres départements bretons : entre 7000 et 15 000€ ; Banque des territoires : 5000€…

La cotisation annuelle est de 0,34€ par habitant pour les communes et de 0,20€ par habitant pour les intercommunalités (plafonnée à 8 000€).

Chronologie synthétique

Chronologie

Années 2000 : plusieurs maires de communes bretonnes et du nord de la Loire-Atlantique ayant entamé des projets d’éco-lotissements ou d’approvisionnement local et bio de leur cantine scolaire sont sollicités par d’autres éluEs locaux pour essaimer leurs pratiques

2005 : fondation de l’association BRUDED, avec le soutien du Conseil Régional de Bretagne

2008-2011 : passage de un à quatre salariéEs, tous chargéEs de développement, répartiEs sur les territoires

2015 : ouverture du réseau aux communautés de communes sous l’angle de la coopération EPCI-communes, tout en réaffirmant la base communale du réseau

2021 : suite à l’augmentation du nombre de communes adhérentes après les élections municipales de 2020, portées à 240, mise en place d’une co-direction et de référents thématiques

2024 : 280 communes adhérentes soit près des 20% des communes de Bretagne et Loire-Atlantique, et 8 communautés de communes adhérentes soit près de 15% des EPCI

Faire rhizome

Rédaction : L’Ecole du terrain, novembre 2024
Entretiens avec Ivana Potelon / codirectrice, Mikael Laurent / ancien codirecteur, Sarah Müller / élue, ancienne co-présidente et Guénael Launay / élu, administrateur

Un tiers acteur à la singulière neutralité : apartisan mais politiquement engagé, structure de coopération entre élus 

A la manière d’un jeu d’enfant où relier des points entre eux fait surgir des animaux, tirer un trait entre les communes fondatrices du réseau que sont Langouët, Silfiac et Saint-Brieuc-de-Mauron fait apparaître une forme oblongue en amande d’un peu plus de cent kilomètres de côté au cœur de la Bretagne rurale. C’est sur ce territoire, entre l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan, que dans les années 2000, plusieurs maires engagent des projets d’éco-lotissements faisant la part belle à l’éco-construction de logements et à l’aménagement d’espaces publics conviviaux et durables. En parallèle, ces élus précurseurs relocalisent l’approvisionnement de leur cantine scolaire avec des agriculteurs bio ou durables du territoire. Ces élus sont rapidement sollicités par d’autres qui souhaitent s’inspirer de leurs démarches. Plutôt que de répondre au coup par coup et afin de favoriser les rencontres entre les élus, les trois maires fondent BRUDED en 2004 – les statuts seront déposés en septembre 2005.

BRUDED est donc une émanation du terrain, une association loi 1901 dont les membres sont des communes ou des Communautés de communes1 qui souhaitent partager et transmettre leurs démarches de projet. Mais l’association a également bénéficié d’un contexte politique favorable : en 2005, le Conseil régional de Bretagne lance le dispositif Eco-Faur qui subventionne (à hauteur de 70 000€ en moyenne) des projets d’urbanisme et de construction durables, et permet notamment à des petites communes de bénéficier d’aides au financement d’études stratégiques et pré-opérationnelles. « Cet appel à projet éco-conditionné a eu un impact puissant pour structurer et faire évoluer des filières d’accompagnement des collectivités en agissant sur la commande publique dès l’amont (dans la construction ou la rénovation de bâtiments publics, d’éco-lotissements ou dans l’aménagement de centre-bourgs en espace public, par exemple) », explique Ivana Potelon, co-directrice de Bruded. L’un des maires fondateurs de l’association étant élu régional en charge de la politique environnementale, le lien avec le Conseil Régional est facilement tissé. Celui-ci voit en BRUDED un outil pour faire le lien entre les communes rurales qui sollicitent le dispositif Eco-Faur, en leur apportant des retours d’expérience. Depuis lors, la Région Bretagne est l’un des financeurs publics importants de l’association.

Mais alors, BRUDED, qu’est-ce exactement ? Une association d’éluEs ? Un outil de service public ? Un tiers acteur entre les politiques et les professionnelLEs de l’aménagement ? Un réseau qui maille tout le territoire breton et ligérien ? Tout cela à la fois. La charte que l’association fait signer à chaque nouvelle commune adhérente est claire. BRUDED n’est pas un prestataire et une commune ne peut y adhérer uniquement dans l’optique de bénéficier d’un accompagnement ou de retours d’expérience d’autres communes pour un projet ponctuel. En adhérant à BRUDED, la commune intègre un réseau au sein duquel elle s’engage à « participer activement » en mettant en perspective ses projets avec d’autres et en partageant « ses expériences et promouvant ses réalisations et démarches » dans une dynamique de long terme – les communes peuvent d’ailleurs adhérer à l’année ou, comme le font les trois quarts d’entre elles, au mandat. En retour, BRUDED ne s’adresse pas aux particuliers – comme peuvent le faire, par exemple, les CAUE – mais aux éluEs en organisant des visites de réalisations, des rencontres et ateliers ou en mettant à leur disposition l’accompagnement de ses chargéEs de développement.

visite cour école 2022
Une cinquantaine d'éluEs ont visité la cour d'école de Betton dans le cadre d'une cycle de visites en 2022 : présentation de la démarche associant les éluEs, enseignantEs, personnels périscolaires, parents pour la création d'une aire de copeaux de bois, de jeux avec des grumes de bois de récupération, 2022 © BRUDED

« Appartenir à BRUDED est motivant, explique Sarah Müller, adjointe à la commune de Concoret en charge du patrimoine, du tourisme, de la vie associative et de la communication, par ailleurs ancienne coprésidente de l’association de 2014 à 2018 puis de 2020 à 2022. On découvre des territoires, des expériences, des sujets autres qui font résonnance avec nos problématiques, parfois à des échelles différentes. BRUDED nous permet d’avoir une vision transversale et globale des projets communaux, là où les générations précédentes raisonnaient davantage en silo. Complémentaire du CAUE et d’autres associations dont la commune est adhérente, BRUDED pratique le dialogue entre pairs, particulièrement fécond lorsque l’on fait face à certains projets qui peuvent nous désorienter. Ces échanges nous éclairent sur des points de vigilance ou d’ouverture. L’échange de documents facilite notre réflexion. Grâce à cela, on va plus vite et plus loin mais, en prenant le temps de la réflexion et de l’échange, on sait aussi qu’on ne va pas trop vite. Les visites de site sont également instructives : se déplacer sur le territoire est très formateur, c’est une sorte de mini-stage qui nous confronte à d’autres problématiques, d’autres expériences dont on va se nourrir. BRUDED est aussi facilitateur. Les chargéEs de développement sont des éclaireurs qui nous orientent vers d’autres acteurs ou nous diffusent des documents. Tout ce réseau d’expérimentations nous motive. On se sent poussé par nos pairs – même dans les échecs ou les points de vigilance. Cela permet de nous réconforter dans nos choix politiques et d’aller plus loin. Et puis, lorsque l’on se déplace par exemple, les éluEs sont fierEs de montrer leur projet, la motivation et l’aboutissement d’une expérimentation. Cette fierté est moins partageable dans d’autres réseaux. »

Chacun des dix salariéEs de BRUDED – à l’exception des deux chargées de gestion administrative et de communication – est en effet chargéE de développement sur le territoire d’intervention où il ou elle habite. Une manière de permanentE territorialE proche de ses partenaires locaux, qui connaît l’actualité de son territoire et en comprend, de manière incarnée, les dynamiques. La force de BRUDED est ainsi de s’appuyer à la fois sur un « ancrage réticulaire » et sur « un fonctionnement décentralisé2 ». En 2023, l’association a ainsi accompagné 201 projets de collectivités.  

Mais quelle posture adopter pour une association engagée, entièrement financée par des subventions publiques et les cotisations de ses adhérents, et dont le conseil d’administration est entièrement composé d’élus ? C’est en revendiquant une singulière neutralité que BRUDED est parvenu à fortifier son outil et à densifier son réseau. « Nous revendiquons une neutralité mais par le prisme des retours d’expérience, nous soutenons les élus dans leurs démarches innovantes, en les aidant à positionner le curseur en faveur des transitions environnementales et sociales, selon leur contexte local », explique Ivana Potelon. Qu’est-ce à dire ? BRUDED est régulièrement sollicité par des acteurs privés : une entreprise proposant une prestation d’éco-pâturage, un aménageur, un porteur de projet commercial ou d’ingénierie auprès des collectivités. « Nous ne faisons jamais la promotion de tel ou tel acteur privé mais nous valorisons, dans chaque retour d’expérience des communes adhérentes, les accompagnements techniques et financiers qu’elles ont pu avoir (de la part d’une association, d’un institutionnel, d’un privé), explique Ivana Potelon. Nous sommes un tiers acteur neutre. Parfois, des communes nous sollicitent pour un ambitieux projet d’éco-construction et nous demandent quels architectes ont déjà travaillé sur ce type de chantier. Nous répondons, non pas en faisant la promotion de tel ou tel architecte, mais en renvoyant vers les retours d’expérience d’autres communes en disant : voilà ce que nous ont dit les élus. Cela peut paraître du pinaillage mais la neutralité du réseau est fondamentale. Et elle ne nous empêche pas d’instiller des éléments politiques au travers des retours d’expérience. » En somme, l’équipe de BRUDED permet que les élus parlent aux élus.

« Cette méthode des élus qui parlent aux élus est particulièrement bien trouvée, explique Guénael Launay, maire d’Augan depuis 2020 et administrateur de BRUDED depuis mai dernier. C’est pragmatique, les échanges sont concrets. Ce réseau aide aussi politiquement à porter des projets dans notre commune. Une commune du réseau a, par exemple, décidé d’installer une yourte dans la cour de son école pour augmenter ses capacités d’accueil, privilégiant une installation possiblement réversible du fait de la baisse attendue des effectifs dans les prochaines années. Si je veux faire la même chose dans ma commune, je sais que j’aurai des oppositions. Le simple fait de dire que l’expérience a été tentée ailleurs facilite la discussion. Sur des projets innovants, se référer à un exemple enrichit la discussion et fait sauter cette première étape un peu suspicieuse. »

L’association aide les élus, souvent en manque de ressources (financières, techniques, humaines), à développer des projets vertueux et à redonner vie à leur territoire. Elle met en avant le poids de la décision politique et valorise l’ingénierie de projet. Ivana Potelon en donne un dernier exemple : « Une commune dépense 50 ou 100 000€ dans une démarche d’animation et d’accompagnement des propriétaires de maisons vacantes en centre bourg – ce qui est beaucoup, en particulier pour une petite commune – mais quand, suite à cette démarche,  trente logements sortent de terre ou sont rénovés et permettent de loger des actifs, ça coûte moins cher que de construire un lotissement avec toutes les études et les travaux gérés par la collectivité. Cela consomme aussi moins de foncier. Il s’agit, pour aider les élus à atteindre leurs objectifs, de leur donner à voir la diversité des démarches empruntées par d’autres communes. »

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Avec BRUDED, les éluEs échangent sur leur projet et visitent les réalisations de leurs pairs tout en abordant des questions techniques et de méthode. Les premiers projets partagés concernaient notamment des écolotissements, quand l'association soutient désormais les dynamiques de centre bourgs, 2012 © BRUDED

Tout en étant engagée, BRUDED ne défend pas une doctrine et n’est nullement dans une posture d’assistance à la maîtrise d’ouvrage. « Lorsque nous soutenons un adhérent sur un projet, nous ne fixons jamais le curseur à sa place en lui disant quoi faire (par exemple sur l’éco-construction ou la gestion de l’eau). Nous allons, en revanche, le questionner sur ses enjeux, contraintes et objectifs et, afin qu’il fixe lui-même son curseur, lui apporter les retours d’expérience adéquats afin qu’il visualise comment a pu se traduire ailleurs une ambition politique. Il ne s’agit pas d’une démarche descendante qui viendrait dire quoi faire mais de donner des clés afin que chaque élu, en fonction de son contexte local, politique, social et de la capacité d’acceptation de sa population, se positionne en ouvrant un maximum de questionnements en amont. »

C’est une démarche presque naïve, telle que la revendique Ivana Potelon. Une naïveté qui participe de ce positionnement de tiers acteur local. Les chargéEs de développement qui composent l’équipe salariée de BRUDED viennent, en effet, d’horizons divers : de l’architecture ; du milieu associatif dans la protection de la biodiversité ; du soutien à l’agriculture durable dans un Groupement d’agriculteurs biologiques (GAB) ; de la sphère privée, dans un bureau d’étude qui faisait de la planification urbaine ; de l’ADEME, l’agence de la transition écologique ; du militantisme associatif… ChacunE d’eux développe ainsi une forme de compétence et d’expertise par sédimentation d’expériences. Cette non spécialisation est particulièrement idoine pour traiter de projets toujours à la croisée de thématiques multiples. Comment, sur le littoral, « repositionner l’offre de logements pour les actifs plutôt que pour les touristes » ? Comment faire venir des bailleurs dans le centre rural de la Bretagne ou, en l’absence de bailleurs, comment y proposer du logement social ? Comment sensibiliser les éluEs à une approche globale de la santé qui prenne en compte l’aménagement, le cadre de vie, la qualité du logement ?

BRUDED tient son efficacité de sa structure ouverte d’interaction locale, au croisement des régimes du savoir et de l’action, au plus près des élus de terrain ; de son positionnement régional et territorial plutôt que thématique et national. De l’aveu même d’Ivana Potelon, l’association recrute des « parcours atypiques » et, avec l’institutionnalisation de l’association, elle reste vigilante quant au risque d’un recrutement « plus conformiste » qu’elle tient à maintenir divers.

Historique d’une association libre d’ingénierie locale avec les élus locaux 

C’est que, depuis 2005, BRUDED a beaucoup évolué. Grâce à la première subvention du Conseil régional de Bretagne et à la cotisation des premières communes adhérentes, BRUDED se structure et créé deux postes afin d’animer le réseau. En 2012, elle comptait quatre salariéEs, tous chargéEs de développement. Parmi eux, Mikael Laurent assure également une mission de coordination, assurant le lien entre les salariéEs et la présidence de l’association. Les autres missions transversales (communication, comptabilité, lien avec les partenaires financiers) sont réparties entre les chargéEs de développement.

Mais le réseau BRUDED croît : à la faveur des élections municipales, l’association voit son nombre de communes adhérentes augmenter de moitié, passant de 80 à 130 en 2014 pour atteindre 280 aujourd’hui. Cette hausse suite à chaque scrutin municipal s’explique, selon Ivana Potelon, par le renouvellement des équipes avec, notamment, des éluEs issuEs de la société civile qui ont connu BRUDED lors de la constitution de leur liste ou à travers leur vie professionnelle ou associative. Depuis 2015, les fonctions support sont assurées par une chargée de gestion administrative et sociale et une chargée de communication. Depuis 2021, BRUDED compte dix salariéEs. « Suite à l’augmentation de l’activité de l’association, il ne m’était plus possible d’assumer seul la coordination de l’association en sus de mes missions de chargé de développement de terrain, raconte Mikael Laurent. Nous avons donc mis en place une co-direction avec Ivana, afin de conserver cette vision panoptique sur l’ensemble des projets. Nous dédions ainsi la moitié de notre temps de travail à cette fonction. Même si ce n’est pas toujours simple de rester chargé de développement à côté, cela nous est apparu important pour conserver le sens du projet associatif et comprendre le vécu de nos collègues. ». Une majorité de salariéEs a demandé à travailler à temps partiel afin de conserver du temps à consacrer à leurs projets associatifs locaux. « Cela forme un vivier de personnes engagées sur leur territoire, qui viennent aussi nourrir le réseau », explique Ivana Potelon.

BRUDED anime un réseau d’élus. Son conseil d’administration paritaire est composé de 27 éluEs (aujourd’hui 18 maires, 9 adjointEs ou conseillerEs municipaux) représentant les communes de cinq départements de la Bretagne historique. Deux maires assument, pour un mandat de quatre ans, la co-présidence de l’association, renouvelée par moitié tous les deux ans. « Nous veillons à ce que l’un des deux maires représente l’est du territoire et l’autre l’ouest dans l’idéal, explique Ivana Potelon. Il est important pour nous que l’association soit présidée par des élus, qui, par leur fonction, ont déjà une compétence d’employeur dans leur mairie, savent parler en public et animer des réunions. »

Sarah Müller a été, en 2014, la première femme coprésidente de Bruded, jusqu’en 2018 puis de 2020 à 2022. « Une co-présidence tournante créé une dynamique. On passe le relais à des gens qui ont envie, qui ne viennent pas forcément du même territoire. Cela évite qu’une même personne conserve la présidence pendant dix ans, au risque d’encalminer la structure. »

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Visite de l'école réhabilitée et agrandie de la petite commune de Mouais (400 habitantEs) en Loire-Atlantique : réalisation avec des matériaux du territoire, bois, paille, terre en écho à l'identité de la commune, et démarche mise en place pour le pilotage du projet, 2022 © BRUDED

Jusqu’en 2021, la présidence de l’association assurait seule la fonction employeuse. Depuis 2022, celle-ci est assurée avec le binôme de co-direction qui peut notamment recruter seul des contrats de moins de six mois. Les entretiens individuels des salariés sont ainsi menés par unE membre de la co-direction et un autre de la co-présidence. « Il est fondamental pour nous que les co-présidents gardent un pied dans la vie d’équipe de l’association. Cela permet de nourrir le projet stratégique et, pour cela, il faut connaître la réalité des chargés de développement. », explique Ivana Potelon.

Le chargé de développement, permanent territorial de l’association

Quel est précisément le quotidien d’un chargé de développement à BRUDED ? Sa première mission concerne son terrain d’intervention. Il y pilote les événements, visites et rencontres organisées, de même que les trois à quatre cycles thématiques annuels programmés en fonction des retours des éluEs, des administrateurs, administratrices et des enjeux du territoire. Il est le référent d’une cinquantaine de communes adhérentes, dont il rencontre les éluEs au moins une fois tous les deux ans. Il se rend dans ces communes à la demande des éluEs ou de sa propre initiative s’il sait qu’un projet intéressant se met en place. Il ou elle interroge les éluEs, voit avec elles et eux si tous les aspects du projet ont été anticipés, et, grâce aux retours d’expérience d’autres communes, les oriente vers les partenaires adaptés et se fait le soutien de la future gouvernance du projet (la commune va-t-elle le piloter en régie ? comment va-t-elle s’organiser pour cela ? a-t-elle besoin d’une assistance à maîtrise d’ouvrage ?...).

En parallèle de cet accompagnement, une « capitalisation de l’expérience quasi journalistique » se met en place.

Une seconde mission, partagée et transversale, concerne la mise en place d’outils collaboratifs, la communication ou la centralisation des nombreuses sollicitations extérieures (250 par an, venant de chercheurs, de chercheuses, de partenaires, porteurs et porteuses de projets de collectivités hors Bretagne…). Avec la croissance de BRUDED, l’enjeu de la spécialisation se fait de plus en plus saillant. Certes, la répartition des chargés de développement selon un découpage territorial permet une vision panoptique de chacun des projets suivis. Certes, leur parcours singulier qui s’accompagne d’une montée en compétence par sédimentation d’expérience nourrit ce positionnement neutre, faussement candide, de tiers acteur. Mais à mesure que les projets suivis s’accumulent, une expertise thématique ne s’avère-t-elle pas nécessaire ?

Depuis 2021, chaque chargéE de développement est aussi le référent, dans l’organisation interne de l’équipe, de plusieurs thématiques (énergie, aménagement, biodiversité, commerce, tiers-lieux, renouvellement urbain, eau, mobilité, parmi la vingtaine au total). En binôme (un pilote et un soutien), il ou elle centralise les expériences du réseau sur cette thématique et élabore un travail intellectuel sur la pluralité des démarches de projet traitant de ce sujet. Les référentEs territoriaux documentent les projets, qu’ils ou elles transmettent ensuite au référent thématique pour relecture. « Mais nous ne voulons pas que la porte d’entrée, pour les collectivités adhérentes, soit thématique. Ce sera toujours le référent territorial. Nous pensons, en effet, que l’élu, tout comme le référent territorial, n’est pas un spécialiste, qu’ils sont donc au même niveau. En revanche, lorsque l’on travaille ensuite sur une thématique précise, il y a parfois besoin d’une vision à la fois plus globale, sur l’ensemble des projets, et plus spécifique, sur une thématique singulière. » Ou comment BRUDED, pour ses éluEs adhérentEs comme pour ses salariéEs, produisant de manière collective leur propre savoir aux fins d’une meilleure compréhension et d’une capacité transformatrice, se révèle proche, dans son esprit, de la recherche action, de la capacitation et de l’éducation populaire.

« Je continue de rentrer en contact avec BRUDED via la chargée de développement de mon territoire, raconte Guénael Launay. Le binôme que nous formons est bien plus horizontal, en symbiose que celui qu’un élu forme avec ses services techniques, où les relations sont pyramidales et bien moins collaboratives. La clarté de la ligne politique engagée en faveur du développement durable facilite ce travail, à l’inverse des communautés de communes, par exemple, à la ligne politique plus dispersée. »

Avec dix salariéEs, maintenir cette horizontalité est une gageure. A l’inverse, comment acculturer les services techniques des communes à ces expérimentations ? « Un jour, j’ai emmené mes agents techniques lors d’un déplacement organisé par BRUDED, raconte Sarah Müller. Cela transforme aussi les relations de travail. Je ne suis plus dans une position de donneuse d’ordres. Nous travaillons ensemble. La documentation mise à disposition est aussi précieuse. Sur tel projet, je peux directement donner tel cahier des charges aux services techniques pour qu’ils s’en inspirent, plutôt que de les voir répondre : « ça va être compliqué ».

La documentation des projets en dialogue avec l’accompagnement de terrain

On mesure la place centrale jouée par la documentation de projets dans la démarche de BRUDED. « Dès le début, c’est notre ADN, renchérit Ivana Potelon : l’identification de retours d’expériences innovantes, techniquement (non conventionnelles, vertueuses ou ambitieuses), mais aussi socialement ou bien dans leur gouvernance, qui auraient matière à intéresser d’autres communes. Dès le début, les élus fondateurs se sont dits qu’il fallait écrire ces démarches afin de les transmettre, également à l’adresse de nos partenaires techniques et politiques. » Le site de l’association, qui mutualise aujourd’hui plus de 900 expériences, engage une réflexion stratégique : vise-t-il une communication de promotion (pour l’extérieur) ou de terrain ? La réponse ne tarde pas : « Nous avons tellement de matière que se pose la question de son animation et de son adresse. Mais la communication de terrain est fondamentale pour nous. Nous n’avons jamais pris notre bâton de pèlerin pour prospecter et aller chercher des communes intéressées. Nous avons uniquement ouvert certains de nos événements aux communes non adhérentes dans une logique d’essaimage et d’interconnaissance ‘par l’action’. Notre réseau, et le centre de ressources d’expériences sur notre site internet, ne fonctionne que grâce au débat incessant entre le terrain et le « haut », qui va lui répondre, dans un aller-retour permanent. Les chargés de développement, qui s’entretiennent régulièrement avec leurs communes, actualisent des projets documentés il y a plusieurs années et récoltent des informations sur de nouveaux projets, pour enrichir notre site internet, qui est entièrement en accès libre. Le centre de ressources de BRUDED est donc toujours enrichi par le terrain, nos chargés de développement et les élus. Il est un préalable à la constitution du réseau mais sans échange avec le terrain, il ne vivrait pas. » En 2023, BRUDED a ainsi documenté 127 nouveaux projets.

Ivana Potelon raconte la documentation d’un projet : « Nous sommes sollicités par des élus en amont d’un projet, par exemple la rénovation d’une ancienne longère en micro-crèche avec des matériaux écologiques. Grâce aux autres retours d’expérience, nous allons les aider à définir leurs objectifs avec un regard à 360° et à les traduire dans  leur cahier des charges, à se tourner vers les bons partenaires techniques pour, ensuite, sélectionner des architectes capables de répondre à leurs ambitions. Au travers de ce soutien se forme un fonds de dossier (esquisses, programmation architecturale…) et, lorsque nous sentons que les ambitions politiques se concrétisent, qu’elles ne sont pas déshabillées au fil des étapes, nous commençons à capitaliser et à diffuser sur notre site. La documentation permet aussi de mettre en avant les points de vigilance pour veiller précisément à ce que les ambitions politiques ne soient pas détricotées. Lorsque nous n’avons pas accompagné le projet, le chargé de développement sollicite un rendez-vous avec l’élu à qui il demande de témoigner de sa démarche, complété de documents techniques, pour les diffuser. »

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A l'occasion de chaque réunion du conseil d'administration, les éluEs et l'ensemble de l'équipe salariée se déplacent dans la commune d'un administrateur et découvrent ses projets et réalisations dans la convivialité. A La Grigonnais (44), le maire Gwenael Crahès a présenté le réseau de chaleur communal, l'aire de jeux faite en régie, les jardins partagés, une opération de logements sociaux réalisés en bail à réhabiliter, et le soutien au commerces locaux, 2022 © BRUDED

Au fil des ans, BRUDED reste fidèle à ses deux grandes orientations : le soutien aux dynamiques de centralité (faire revivre les centre-bourgs au travers de commerces, services, d’animations culturelles, proposer des logements, favoriser la mobilité douce et active, proposer des espaces publics conviviaux, renaturés, frugaux,..) et aux dynamiques locales (structurer des filières locales, soutenir l’agriculture durable, la production locale d’énergie, l’offre de santé, le commerce local…). « Au sein de BRUDED, les éluEs sont convaincuEs de la nécessité de la sobriété foncière pour préserver les espaces naturels, les terres agricoles ». Avec cette richesse d’expériences sur vingt années de recul, peut-on dresser la liste de quelques problématiques récurrentes ? « Le passage à l’opérationnel, répond d’emblée Ivana Potelon. Nous avons de beaux plans guide, de beaux Plan locaux d’urbanisme, mais après ? Nous devons donc accompagner les communes lorsqu’elles rédigent leur cahier des charges pour les études préalables en leur conseillant de se mettre en lien avec des porteurs de projets potentiels pour intégrer dans le projet leur réalité économique et programmatique. Une autre problématique concerne le modèle économique de ces projets. Mais des leviers variés existent : travailler en régie, réétayer les services municipaux pour moins recourir à la prestation, faire appel à des structures régionales (comme les Établissements publics fonciers), travailler avec des Sociétés d’économie mixte (SEM), monter des partenariats public-privé… Parmi les autres enjeux, celui du lien avec les bailleurs sociaux qui peinent parfois à intervenir dans des communes rurales, faute d’équilibre économique ; certaines collectivités les considèrent comme de vrais partenaires locaux plutôt que comme un simple acteur ponctuel, qu’il faut associer en amont pour trouver l’interface judicieuse : parfois, la commune porte la première étape de conception de l’opération pour tenir ses ambitions, tout en sécurisant le bailleur associé qui intervient ensuite en tant que porteur du projet. Mais certaines communes doivent se débrouiller sans bailleur : certaines portent elles-mêmes la construction de logements, quand d’autres font appel à un constructeur de maisons individuelles pour vendre les maisons sur plan, dont elles gardent la propriété. Ici aussi, pas de chemin unique, mais une pluralité de démarches. »

Tout au long de ce parcours, une question devient lancinante : l’outil BRUDED, qu’Ivana Potelon reconnaît comme « rare et précieux », est-il réplicable dans d’autres régions ? « Nous avons été sollicités par des élus qui souhaitent mettre en place un réseau semblable dans d’autres régions. » D’autres réseaux d’éluEs locaux existent, comme Les Maires pour la planète qui recensent, depuis 2019, les bonnes pratiques environnementales des communes de Charente-Maritime, de Charente et de Corrèze aux fins de les faire connaître à d’autres municipalités, ou encore Expériences Communes qui se déploie en Normandie. Mais entre l’impulsion des trois maires fondateurs, le soutien historique du Conseil régional, le choix d’un accompagnement territorial qui enclenche la documentation de près d’un millier de projets et ce positionnement de tiers acteur, apartisan mais politiquement engagé, « on voit bien que les ingrédients de la recette ne sont pas si simples à mettre en place. »

Notes de bas de page

1. Les communautés d’agglomération et les métropoles ne peuvent pas adhérer à BRUDED. Elles peuvent, en revanche, conventionner sur des actions spécifiques.

2. Le Code source du réseau Bruded, Note synthétique introductive produite par Collporterre, 2015.