L'Arban
Portrait de groupe d’une SCIC (société coopérative d'intérêt collectif) d'aménagement rural composée d’acteurs et d’actrices publiques et privées du Plateau de Millevaches. Outil de développement local pour l’habitat, agence d’urbanisme publique et participative, foncière solidaire et accompagnatrice à l’auto-réhabilitation, L’Arban mène des actions co-construites sur toute la chaîne, depuis les études jusqu’à la gestion, en l’absence d’investisseurs immobiliers et d’opérateurs de logements sociaux.
En résumé
L’Arban, société coopérative d’intérêt collectif, dont le siège social est à Faux-la-Montagne, travaille sur le plateau de Millevaches et ses alentours.
3 pôles imbriqués : une agence d’urbanisme (ingénierie de projets d’aménagement et de projets immobiliers) ; une foncière solidaire pour des projets d’habitat, d’activités et de commerces collectifs ; des ateliers d’éco-construction pour l’accompagnement à l’auto-réhabilitation.
8 salariéEs, 205 sociétaires répartiEs en quatre collèges
La SCIC est dotée de 610 200 € en fonds propres et propriétaire de dix biens immobiliers
Chronologie
2008 : création de l’Association de Promotion de l’Eco-Habitat sur le Plateau de Millevaches, collectif d’élus, d’habitants et d’entrepreneurs locaux, qui préfigure la création de l’Arban
2009 : la commune de Faux-la-Montagne et l’association remportent le concours national Ecoquartier pour la construction de l’écoquartier du Four à pain
2010 : création de l’Arban, société coopérative d’intérêt collectif
2013 : construction du premier logement
2015 : développement d’un service d’accompagnement à l’auto-réhabilitation
2025 : ouverture de l’Atelier d’accompagnement à l’auto-réhabilitation accompagnée
-
- L’Arban, outil de développement local pour l’habitat et l’urbanisme
- L’Arban, au carrefour d’un territoire, d’un objet et d’une gouvernance
- D’une association à une société coopérative : entre intérêt collectif, général et public
- Une agence d’urbanisme publique et participative
- Une foncière solidaire face aux difficultés de financement du logement dans le patrimoine existant
- Un accompagnement à l’auto-réhabilitation : ne pas déconnecter la tête de la main
Mille plateaux
Rédaction : L’Ecole du terrain, novembre 2024
Entretiens avec Stéphane Grasser, Olivier Davigo, Juliana Colin, Alexandra Ivantchenko / L’Arban, Catherine Moulin / maire de Faux-la-Montagne, Maria Liberatore / architecte agence Lichen, Gérard Salviat / vice-président du Parc Naturel Régional de Millevaches, tous et toutes sociétaires de l’Arban
L’un des plus beaux slogans de Mai-68, claquant sur les murs, fut : « L’imagination au pouvoir ». Souvent décriée comme fantaisiste, voire utopique, nulle expérimentation pourtant ne s’engage sans elle aux fins de projeter ce qui n’est pas encore là ou de faire autrement.
Surtout, au sens de Baudelaire, l’imagination perçoit d’abord « les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances ». En somme, la faculté de faire des liens, de remailler, de repriser, de faire se rencontrer autant les êtres que les lieux. Rien d’étonnant, dès lors, à entendre Olivier Davigo, président de l’Arban, dire : « Pour moi, un moteur extrêmement important dans la vie, c'est l'imagination. Tout ce que l'on fait a d’abord été imaginé, en bien comme en mal. Si l’Arban est intéressant, c’est parce que c’est une bonne source d'imaginaire. C’est un carburant, souvent caché, bridé, mais qui nous fait avancer. Cet imaginaire est individuel comme collectif. Ce sont parfois des imaginaires qui se heurtent, qui ne vont pas dans le même sens, mais ils sont là. »
Olivier Davigo fut étudiant à la faculté de Nanterre au début des années 1980. « Nous avions une prof assez originale, raconte-t-il, psycho-sociologue en aménagement rural, qui emmenait ses étudiants sur le terrain. Nous avons ainsi passé plusieurs jours sur ce territoire du plateau de Millevaches et avons découvert des gens et un milieu accueillant. » De l’intérêt des pédagogies de terrain. « Lorsque, à la fin de nos études, on a voulu avec des amis créer une entreprise en milieu rural, c’est donc là que nous nous sommes installés il y a plus de quarante ans ». La scierie raboterie Ambiance Boisest une entreprise du bâtiment qui a la particularité d’être une des rares société anonyme à participation ouvrière (Sapo), autogérée par les salariéEs, tous payéEs au même salaire. L’incarnation d’un « désir de vivre et de travailler autrement et de sortir du schéma exécuteur-exécutant », que l'on retrouve, sans surprise, dans l’Arban.
A serpenter sur le plateau de Millevaches, entre 400 et mille mètres d’altitude, au milieu des hêtres et des résineux particulièrement verts en ce printemps pluvieux, on peine à s’imaginer que, jusqu’au mitan du siècle dernier, ces terres étaient agricoles, pastorales. La terre peu fertile, des structures familiales pauvres enclenchent une migration, d’abord temporaire, des hommes puis, dans l’entre-deux-guerres, une migration définitive de nombreuses familles. Les plantations forestières que l’on observe aujourd’hui proviennent donc de l’abandon des cultures et du reboisement des terres agricoles. À cheval sur trois départements (Corrèze, Creuse et Haute-Vienne), le Plateau de Millevaches compte environ 120 communes, la plupart de très petite taille (la moitié d’entre elles ont moins de 200 habitantEs). Un territoire peu dense, aux hivers parfois rigoureux, vivant principalement de la valorisation des ressources locales (élevage, bois), des services à la personne, du tourisme, du petit commerce et de l’artisanat. Mais un territoire d’une grande vivacité associative : deux médias locaux en témoignent fort bien. Radio Vassisvière, née en 1984, sur la commune de Royère de Vassivière, émettant une première fois juste pour animer une saison estivale, et qui n'a depuis cesser de diffuser, revendique « un rôle d’amplification des voix locales peu politisées, héritier de la vocation initiale de la radio pour la promotion du territoire1 ». Deux ans plus tard, l'image complète le son, et TéléMillevaches fait son apparition dans le paysage audio-visuel locale. Installée sur la commune de Faux la Montagne, elle est aujourd'hui la plus vieille télé locale associative en activité2.
Autre exemple d'implication, à Faux-la-Montagne, la mairie travaille avec une association foncière pastorale pour installer en estive un berger et son troupeau sur la centaine d’hectares des Rochers de Clamouzat, site classé appartenant au CEN (Conservatoire d'Espace Naturel).
L’Arban, outil de développement local pour l’habitat et l’urbanisme
Le terme Arban désigne en occitan un chantier collectif réalisé par les villageois. L’Arban est une société coopérative créée il y a bientôt quinze ans par des habitantEs et des éluEs du Plateau de Millevaches, dans la montagne limousine, et qui compte aujourd’hui près de 200 sociétaires. Des habitantEs, des éluEs, des collectivités territoriales, des associations, des architectes, des entreprises locales, un maillage dense d’acteurs et d’actrices pour un système d’entraide au service du bien commun. Un territoire peu dense et au climat parfois rigoureux mais surtout, un territoire qui attire de nouveaux habitantEs.
Clin d’œil, à certainEs de ces nouveaux arrivantEs maintenant salariéEs ou sociétaires de l'Arban : Alexandra Ivantchenko, aujourd'hui gestionnaire administrative et financière de l'Arban, travailla auparavant à la Friche de la Belle de Mai à Marseille et se forma à la comptabilité pour emménager sur la montagne limousine. Juliana Colin, architecte urbaniste, aujourd’hui responsable de l’agence d’urbanisme de l’Arban, a travaillé dix ans en bureau d’études entre l’agglomération toulousaine et le territoire du Grand Paris avant de créer son propre bureau d’études en Limousin et d’initier des premières missions avec l’Arban. Maria Liberatore, architecte, aujourd'hui sociétaire de l'Arban, a installé son agence à Faux-la-Montagne après s’être formée à Rome et avoir travaillé à Paris.
Petit retour en arrière : dans les années 2000, les acteurs et actrices de terrain diagnostiquent plusieurs difficultés, explique Olivier Davigo : « En premier lieu, il y a un manque criant de logement, en achat ou en location. Et concernant le parc locatif, il est trop souvent en triste état ; qualifiés de « passoires thermiques », les logements finissent par n'être tout simplement plus louables à une population, souvent jeune et aux revenus modestes. À cela s'ajoute une vacance de logements, anciens, ni à louer ni à vendre ou difficilement car coûteux à rénover. Logements mal isolés, mal placés, sans lumière, sans espace privatif extérieur et donc peu susceptibles d'attirer le chaland. Enfin, une urbanisation souvent mal maîtrisée, sans savoir qui provoque quoi mais au final, des centre bourgs désertés, un étalement urbain et une dépendance à la voiture, se traduisant par une dégradation des sites et paysages. » « Trouver une bonne solution pour habiter, revaloriser le bâti ancien et agir en faveur d’une urbanisation réfléchie », tels sont les trois enjeux à l’origine de la création de l’Arban, qui s’est constituée en foncière solidaire, en agence d’urbanisme, puis également en accompagnatrice à l’auto-réhabilitation.
Mais comment une association d’acteurs et d’actrices de terrain devient-elle une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) d’aménagement rural ? Comment réunit-elle tous les acteurs et actrices, publics et privés, intéressées à l’éco-construction, l’habitat et l’aménagement (collectivités territoriales, habitantEs, entreprises, associations…) et au service de quel intérêt (général ? public ? collectif ?) ? Quel rôle joue-t-elle en termes d’ingénierie locale à côté du politique ? Que permet une petite échelle d’intervention sur un territoire détendu ? Comment mène-t-elle des actions co-construites sur toute la chaîne, depuis les études jusqu’à la gestion, en l’absence d’investisseurs immobiliers et d’opérateurs de logements sociaux3 ?
L’Arban, au carrefour d’un territoire, d’un objet et d’une gouvernance
Catherine Moulin, maire de Faux-la-Montagne depuis 2008 après avoir été adjointe, raconte qu’au mitan des années 2000, « nous nous faisions interpeller par des gens qui nous reprochaient de prôner l’accueil sans pouvoir les loger puisqu’il n’y avait rien à louer ni à vendre. Nous avons donc travaillé avec un groupe un peu informel d’habitants et d’élus sur la problématique du logement. C’étaient nos chercheurs de toits ». Il existait bien, déjà, financée par l’ancienne région et le département du Limousin, une association, De Fil En Réseaux, créée en 2005 par des habitantEs, des associations, des coopératives et des entreprises locales (dont Ambiance Bois) en lien avec l’accueil et l’économie sociale et solidaire. Celle-ci servait de porte d’entrée pour les nouveaux arrivantEs désireux de s’installer sur le territoire4. Olivier Davigo continue : « Notre groupe informel travaillait plus particulièrement sur la question du logement. Et des gens venaient nous voir en nous proposant d’acheter un terrain sur lequel nous pourrions construire une ou deux maisons. Mais ne pouvait-on pas faire quelque chose de plus grand ? »
Catherine Moulin reprend : « Ce groupe a fait un gros travail. La Communauté de communes de l'époque nous a mis à disposition un chargé de mission qui préparait les rencontres que nous souhaitions organiser afin de comprendre ce qu’était le logement social en France. Parallèlement, la mairie achetait un terrain où allait être implanté un écoquartier. Il commençait à se dessiner dans nos têtes l’idée que nous allions construire quelque chose. » « Avec ce terrain, la commune s’est dit qu’elle avait trouvé l’objet concret pour faciliter l’accueil et l’installation, aménager et valoriser le foncier », complète Stéphane Grasser.
Afin de déverrouiller l’accès au logement et de répondre à l’absence de bailleurs sur le territoire, le groupe s’organise. En 2008, il se constitue en une association à l’acronyme volontairement imprononçable, l’APEHPM (Association de Promotion de l’Eco-Habitat sur le Plateau de Millevaches). L’association va mobiliser des dispositifs d’accompagnement comme le Dispositif Local d’Accompagnement (DLA5) pour s’acculturer au sujet du logement, en rencontrant notamment des bailleurs sociaux. Une expertise se forme et l’association engage plusieurs types d’actions. D’abord, elle recrute Stéphane Grasser, urbaniste et fonctionnaire territorial alors en disponibilité, qui dirigeait auparavant la cellule accueil du Conseil régional du Limousin. « Ils me sollicitent pour que je m’investisse professionnellement dans le projet avec deux objets distincts : travailler à l’émergence d’une entreprise coopérative dans le domaine de l’habitat, qui deviendra l’Arban, et mettre en place un écoquartier sur la commune de Faux-la-Montagne. » L’Arban naît donc de la rencontre entre un territoire, un sujet (l’habitat et l’accueil), un objet (l’écoquartier) et un certain projet de gouvernance (une société coopérative).
En 2009, le premier appel à projet Écoquartier est lancé par le Ministère du Logement. « On a trouvé cet outil intéressant », raconte Olivier Davigo. « Le concours national tombait à pic dans notre réflexion, dit de son côté Catherine Moulin. Nous avons déposé une candidature et avons remporté ce premier prix écoquartier rural. » « C’était le fruit de toute une démarche collective où l’APEHPM s’est associée avec des praticiens de l’urbanisme, notamment le paysagiste Alain Freytet. » « On anime des ateliers de réflexion auprès des futurs habitants pour définir à la fois le programme d'aménagement et les projets individuels de certains des acquéreurs des parcelles, raconte Stéphane Grasser. Des architectes aident les candidats à dessiner leurs maisons. Ce travail dessine les contours de ce que l’Arban fera ensuite en tant qu’agence d’urbanisme. » Si ce premier prix n'a pas apporté de subventions à la commune, il a permis une reconnaissance du travail réalisé et a fait connaître l'Arban alors en gestation, comme un outil sérieux et important pour le territoire.
« Le cahier des charges d’un écoquartier est exigeant : les futurs propriétaires doivent s’engager dans une recherche de haute qualité urbanistique, architecturale et environnementale, pour les logements comme pour les espaces publics. La typologie des logements doit être variée et "préserver une certaine diversité/mixité". La consommation de l’énergie doit être réduite et sa production privilégiée. Concerné au premier chef, le parc naturel régional Millevaches en Limousin, dans le périmètre duquel se trouve le village, aide au démarrage de la réflexion en dépêchant sur place un paysagiste, professeur à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles. Plusieurs candidats à la construction suivent des formations à l’approche environnementale de l’urbanisme. Aujourd’hui sur les 12 lots proposés à la vente, un reste propriété de la commune pour de la construction locative, 8 ont trouvé acquéreur, 5 maisons sont terminées et occupées dont un logement passerelle6, une autre est en construction, deux sont en projet7. »
Le projet d’écoquartier pousse l’association à travailler plus ardemment encore à sa structuration. « Il nous fallait vraiment une structure, une espèce de bras armé sur la thématique du logement, raconte la maire de Faux-la-Montagne. Une structure qui comprenne bien le territoire, puisqu’elle en est issue, qui fasse des interconnexions entre les élus, les habitants, les bureaux d’études locaux que nous connaissons, le CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement), les services déconcentrés de l’État, la DDT (Direction départementale des territoires)… » Et de conclure par une des définitions possibles de l’organisation : « L’Arban est un outil de traduction8. »
D’une association à une société coopérative : entre intérêt collectif, général et public
Dans les statuts de l’association figuraient déjà l’hypothèse de sa transformation en société coopérative afin d’en faire un outil opérationnel rassemblant des parties prenantes très diverses et une gouvernance partagée. « Cela répondait aux valeurs et aux fondamentaux des personnes impliquées dans cette histoire, explique Stéphane Grasser, dont certaines sont directement issues de parcours coopératifs. Dès le début, il y a donc eu une composition très mixte entre des acteurs publics, des acteurs privés et des professionnels. »
Financée pendant ces deux années par le comité Habitat de la Fondation de France – subvention qui représente alors 80% du budget de l’association et permet de salarier Stéphane Grasser – la structuration de l’association en société coopérative est travaillée sur deux points principaux : son modèle économique et sa gouvernance. Comment cette entreprise va-t-elle tenir debout et quelles seront ses ressources ? Quel cadre de gouvernance veut-on lui donner ?
Des groupes techniques de travail d’une vingtaine de personnes se mettent en place avec les membres de l’association, rejoints par des membres du Parc Naturel Régional (PNR de Millevaches), de la communauté de communes du Plateau de Gentioux, intégrée en 2014 à celle quatre fois plus étendue, de Creuse Grand Sud, des départements de la Creuse et de la Corrèze et de la région Limousin de l’époque.
S’élabore ainsi un cadre de gouvernance qui comprend quatre collèges, selon les motivations des sociétaires, qui représente chacun un quart des voix.
Le collège des investisseurs solidaires composé des personnes physiques ou morales soutenant le projet sans nécessairement s’investir dans la vie de la coopérative. Le collège des bénéficiaires composé des destinataires directs de l’intervention de l’Arban : avant tout les collectivités locales, mais aussi les futurEs occupantEs du parc immobilier de la SCIC. Le collège des professionnelLEs de l’éco-construction (salariées de l’Arban, architectes, paysagistes, entreprises du bâtiment…) intéresséEs par le travail de défrichement de l’Arban dans ce domaine. Enfin, le collège de la société civile, incarnant la dimension politique de la SCIC, composé des fondateurs fondatrices et des acteurs et actrices politiquement investiEs (associations et personnes physiques)9.
« Notre idée, raconte Stéphane Grasser, était de créer un outil favorisant des réflexions horizontales et participatives sur les pratiques d’aménagement. »
Creuser la question du modèle économique et du mode de gouvernance revient à affûter le dessin de l’identité de l’Arban.
« Nous nous sommes posés la question de ce que nous allions produire, de ce que ça allait nous coûter et nous avons commencé à esquisser des budgets primitifs, raconte Stéphane Grasser. Le projet de SCIC était dessiné sur trois ans avec, d’un côté, le nombre de salariés nécessaires et, en face, ce qu’il nous fallait dégager comme types et quantité de ressources. Le projet originel était d’être une foncière solidaire10, même si nous n’appelions pas encore ça ainsi. Créer des biens immobiliers communs. En se révélant capable d’acquérir du patrimoine bâti, on le soustrait aux logiques et aux aléas du marché (même si nous ne sommes pas sur des zones tendues, il y a malgré tout du mouvement et du logement alloué au tourisme11) et on construit un organe de gestion collectif qui émane des volontés du territoire pour piloter ce patrimoine. »
Très vite, pour des raisons économiques mais aussi politiques, l’Arban décide de ne pas se limiter au rôle d’opérateur immobilier ou de foncière solidaire mais d’être également un bureau d’étude, à tout le moins un atelier d’urbanisme et d’aménagement capable d’accomplir des prestations et de contribuer à l’équilibre financier de la coopérative.
Pour des raisons politiques aussi, puisque l’enjeu de l’habitat ne s’épuise pas dans celui du logement. « Si, à côté, les territoires ne sont pas dotés d’un certain nombre d’aménités, ne sont pas attractifs, réfléchis, pensés pour faciliter soit le maintien des populations, soit l’arrivée de nouveaux habitants, on raterait le coche », développe Stéphane Grasser. L’Arban s’imagine alors comme l’agence d’urbanisme du Parc Naturel Régional, encore jeune (créé en 2004) et peu doté en ingénierie. « Les seuls acteurs sur le sujet de la revitalisation des centres-bourgs étaient alors des bureaux d’études toulousains, bordelais, grenoblois ou parisiens, qui portaient un regard assez frustre sur les réalités que nous vivions. Or, nous on était là, sur le territoire, et on avait ces compétences. » Le PNR voyait alors d’un œil bienveillant l’émergence d’une sorte d’agence d’urbanisme locale. « Nous ne sommes pas une agence au sens d’aller regarder les commandes dans le Bulletin Officiel des annonces de marchés publics. Nous créons un outil au service du territoire et de ses besoins et il nous sollicite lorsque nécessaire. »
« Au service du territoire, « au service de la communauté », ces expressions invitent à s’interroger sur les intérêts défendus par l’Arban, structure privée agrégeant des acteurs publics pour produire du commun. Alors, intérêt général ? collectif ? public ? « Nous considérons que plus nous sommes horizontaux, plus on est de fous et plus on est démocratique, répond Stéphane Grasser. La puissance publique, quant à elle, (certes moins à l’échelle des petites communes mais dès lors qu’elle atteint une certaine taille) s’éloigne, de fait, du citoyen. Se pose ainsi la question de savoir qui elle représente. Les citoyens qui ont désigné des représentants ? Ou les intérêts technocratiques, économiques ou partisans de ces derniers ? L’intérêt général n’est alors plus nécessairement en adéquation avec l’intérêt collectif. Prenons le cas d’Uzerche. La commune décide, pour réhabiliter un bâtiment industriel, de vendre une part de son patrimoine historique, l’Hôtel du Sénéchal, un bâtiment du XVIIe siècle qui domine la ville et qui est, depuis quatre ans, un tiers-lieu dédié à la production artistique et artisanale. Tenu par l’association La Calade, il accueille les ateliers d’une luthière, de dessinateurs et même d’un archéologue qui mutualisent leurs outils. La revente de ce patrimoine se fait dans l’intérêt de la commune, dans « l’intérêt général » mais pas nécessairement dans celui des citoyens12. Ce qui, au fond, garantit peut-être le plus la démocratie, c’est d’avoir dans sa représentation une grande diversité de citoyens. Cela dit, l’Arban a aussi des travers. La limite d’une SCIC est qu’elle est démocratique dans un espace circonscrit à son sociétariat. On ne peut pas prétendre représenter tout le territoire sur lequel nous nous trouvons mais uniquement les sociétaires qui nous ont confié leur argent. L’intérêt collectif que nous faisons vivre consiste à additionner les regards, les capacités, les différences aussi, entre des collectivités, des acteurs publics et privés. C’est de ce dialogue que naît une démocratie consistante davantage que par l’objet que nous représentons. D’ailleurs, celles et ceux qui nous sollicitent ne sont pas obligés de devenir sociétaires. Mais dans les faits, la plupart des communes où nous avons acheté des biens le sont devenues. » L’Arban mène donc une action collective, ni publique, ni privée – au sens commercial – œuvrant ainsi à une troisième voix que souligne la complémentarité et l’imbrication de ses missions.
Une agence d’urbanisme publique et participative
L’Arban marche aujourd’hui sur trois jambes : une agence d’urbanisme ; une foncière solidaire et un atelier d’accompagnement à l’auto-réhabilitation. « Bras armé » de la commune de Faux-la-Montagne, qui lui a délégué certaines de ses compétences, elle permet ainsi de créer du lien avec d’autres communes. « Lorsqu’elles ont un projet difficile, cela permet d’échanger : “ça ne fonctionne pas trop chez nous, comment faites-vous ?”, raconte la maire de Faux-la-Montagne. C’est un phénomène boule de neige qui se diffuse. » Cette mise en relations d’éluEs autour du partage d’expériences s’apparente au travail mené par l’association BRUDED en Bretagne.
Pourtant, tout en étant reconnu par beaucoup d’institutions et d’éluEs, l’Arban, malgré presque quinze années d’existence sur le territoire, n’est toujours pas identifié par une majorité de communes comme un acteur qu’elles peuvent solliciter. Olivier Davigo et Stéphane Grasser se rejoignent sur les causes de ce phénomène. La SCIC est assimilée par beaucoup de communes à la « mouvance écologiste, anarchiste… »13, « c’est pour cette raison, continue Stéphane Grasser, que je ne peux pas nous considérer aujourd’hui comme l’agence d’urbanisme de tout le territoire. »
Malgré tout, l’Arban est bel et bien un « service à la communauté », pour Maria Liberatore, architecte originaire d’Italie installée à Faux-la-Montagne depuis plusieurs années et sociétaire de l’Arban, qui distingue les deux volets de la SCIC. « Il y a le volet de l’analyse urbaine : comment les villages dans lesquels nous habitons peuvent améliorer certains services et répondre aux demandes de nouvelles manières d’habiter ? Et il y a le volet du foncier : comment aider des collectifs à s’emparer de bâtiments et travailler avec eux pour les remettre en état afin qu’ils soient viables ? »
À l’égard du premier volet, l’Arban répond donc à des appels à projet ou des marchés émanant des collectivités locales pour des études – à titre d’exemple, pour la conception et la réalisation d’un éco-bourg à St Priest la Feuille, la redynamisation du centre-bourg de Blond, de Château Chervix ou de Flayat, la stratégie de rénovation du parc immobilier communal de Gentioux-Pigerolles. Pour cela, raconte Juliana Colin, responsable de l’agence d’urbanisme, « lorsque nous intervenons sur un projet d’aménagement, notre condition est de toujours mettre en place des espaces collectifs de travail ouverts aux habitants et aux éluEs. Des espaces dimensionnés en amont avec la collectivité. Nous répondons aux sollicitations des communes, et quelquefois à des cahiers des charges mais nous ne faisons jamais de prospection directe. Nous agissons dans le cadre d’une commande publique. Nous ne rentrons jamais dans un processus de négociation avec les élus pour arbitrer les lieux de la prise de décision. On anime des espaces de consultation et de co-construction. Mais la prise de décision reste toujours dans la main des élus.
« Quels sont ensuite les outils ? D’abord, continue Juliana Colin, l’arpentage : on va se balader ensemble, on va regarder et commenter ensemble les lieux de vie du bourg et dresser à partir de là un diagnostic partagé. Ensuite, on va définir collectivement les enjeux, puis les choix d’actions, la stratégie. Ces projets, ces idées peuvent aussi être redessinées, imaginées dans l’espace public avec des rubalises et de la craie. Autant d’outils faciles à maîtriser et qui créent de la co-construction, de la co-production, pas uniquement de la concertation. C’est une forme d’éducation populaire, qui combine des temps collectifs et des entretiens individuels. Ces ateliers rendent les habitants légitimes à prendre des décisions dans des domaines pour lesquels ils n’ont pas été formés. Les chantiers sont aussi parfois l’occasion d’ouverture à nos sociétaires. À Faux-la-Montagne, par exemple, plusieurs d’entre eux sont venus nous aider pour un chantier de démolition. Ailleurs, sur des petites phases de chantier circonscrites. Voilà d’autres endroits où il est possible de participer à la vie coopérative. Mais reconnaissons que cette vie est le parent pauvre de notre action. Nous n’arrivons pas à y dédier assez de temps. On fait d’abord le travail. »
L’Arban aide également les collectivités dans leur projet d’aménagement. Par exemple, sur la dernière parcelle constructible de l’écoquartier de Faux-la-Montagne, la SCIC a été missionnée pour accompagner la commune dans l’élaboration d’une étude avant-projet visant à définir les contours d’une opération de logements locatifs sociaux. La mission a concerné une phase de programmation puis une étape d’étude de faisabilité économique et financière : quel plan d’aménagement ? Quel programme de logements ? Quelles typologies de logements adaptés à la population locale ? Quelle approche économique du programme immobilier ? Quel portage immobilier ? Quel prix de sortie compatible avec les prix du logement social? Quel prix de sortie “acceptable” pour les acteurs impliqués ?
Pour d’autres projets, elle organise des ateliers avec les éluEs, recherche des collectifs porteurs du projet, établit un scénario d’occupation des locaux, aide au montage des dossiers de financement et au suivi des travaux.
« L’Arban est un outil intéressant dans son volet urbanisme, résume Olivier Davigo, en ce qu’il favorise l’ouverture des possibles. Il ouvre des fenêtres, fait réfléchir les gens, les fait se rencontrer, discuter ensemble. Et pas uniquement de façon théorique mais dans le cadre d’une pratique, d’un territoire, d’un objet. Notre imagination est ainsi nourrie par notre quotidien. »
Une foncière solidaire face aux difficultés de financement du logement dans le patrimoine existant
Dans son volet de foncière solidaire, l’Arban acquiert du bâti ancien. Par exemple, l’Hôtel du Sénéchal à Uzerche, qu’elle vient d’acheter à la mairie. « Pour ce projet, raconte Stéphane Grasser, nous avons dû prendre une décision rapide. D’habitude, cela prend plusieurs mois, le temps de jauger le collectif, sa consistance, de bien s’accorder sur les dimensions économiques, sur le montant acceptable du loyer, sur les besoins, les travaux que va entraîner le projet et sur le modèle économique ensuite. Nous mettons en place une collecte de fonds dédiés à l’opération, soit en recapitalisant la SCIC par la prise de nouvelles parts sociales, soit par des dons. Nous réalisons en direct une partie plus ou moins importante des travaux, un peu comme un bailleur avec une régie interne. »
En 2024, l’Arban dispose de dix biens immobiliers. Un logement passerelle à Faux-la-Montagne, un ancien gîte transformé en maison d’habitation où vit une colocation, deux maisons adaptées aux personnes âgées... Mais, de plus en plus, des espaces collectifs : un tiers-lieu, une ressourcerie, une brasserie associative mêlant épicerie bio, salon de lecture, de jeux et espaces de travail, un café associatif, un grand bâtiment occupé par un collectif d’artistes…
Qu’est-ce qui a éloigné l’Arban – selon le mot de Stéphane Grasser – de ses objectifs initiaux, centrés sur le logement ? Et quels pourraient être les leviers pour y revenir ? « La difficulté majeure, concède-t-il, est d’ordre financier. La bascule entre une sollicitation dessinée lors d’une étude d’urbanisme et le passage à l’action est conditionnée par plusieurs facteurs mais d’abord par des moyens financiers. Réinvestir du bâti ancien coûte cher. Au début de l’Arban, lorsque nous disposions de nos quelques moyens libres d’usage collectés par souscription(s), nous pouvions agir. Au fil du temps, cet argent a été utilisé, gagé. Aujourd’hui, nous disposons d’un capital de 600 000€ imputé sur des opérations et si nous voulons en conclure de nouvelles, il faut soit s’appuyer sur la capacité des collectifs qui nous sollicitent à lever eux-mêmes des fonds et à les faire transiter par l’Arban (via l’achat de parts sociales pour 20% d’apport), soit sur notre capacité à lever des crédits bancaires. Or, la Banque des territoires, auprès de qui nous avons voulu lancer une levée de fonds l’an dernier, nous proposent des conditions en décalage avec les réalités de nos projets et du territoire. » La Banque des territoires, créée en 2018 et qui regroupe les offres de la Caisse des dépôts à destination des territoires, demande, via ses titres participatifs14, un rendement de 5 à 7% quand les opérations de l’Arban dégagent un bénéfice net entre 1,5 et 5%15. « En clair, avec ces conditions, nous perdrions de l’argent ». L’Arban ne peut pas augmenter ses loyers sur un territoire relativement pauvre. Et une SCIC ne peut bénéficier de mécénat – telle est la zone grise de l’Économie sociale et solidaire. « Par comparaison, les banques privées nous prêtent à 4% et ce taux risque de descendre encore. La difficulté majeure est là : je suis étonné qu’un acteur public censé prendre en considération l’intégralité d’un territoire dans ses particularités, voire jouer de la péréquation entre les territoires, agisse ainsi. Parfois, on y arrive autrement : ce sont les associations occupantes du lieu qui bénéficient des subventions ou du mécénat pour réaliser les travaux. »
Cette situation a ainsi éloigné l’Arban de ses objectifs initiaux centrés sur la problématique du logement. Impossible, en effet, de s’y consacrer sans recapitalisation. Or, un particulier n’a pas les mêmes capacités (pour payer le loyer de son logement) qu’un collectif (pour mener des activités) d’aller chercher les 20% d’apport nécessaires. Pour l’Arban, les coûts de montages de projets et de réalisation de travaux retombent en s’appuyant sur l’énergie humaine des projets, en incitant les futurEs occupantEs du parc immobilier à participer à certains travaux. L’Arban mobilise ainsi des techniques à forte intensité humaine et à faible coût.
Cette situation plaide en faveur de politiques publiques favorisant le réinvestissement du bâti ancien par des foncières solidaires en leur permettant d’accéder à des prêts bonifiés, à des taux favorables ou à des conditions dérogatoires selon la réalité du territoire. Obtenir l’agrément logement social est une possibilité qui ouvre notamment à un taux de TVA réduit à 5,5%. Mais les demandes de l’Arban en ce sens ont été rejetées. De même, par deux fois, que celles relatives à l’agrément maîtrise d’ouvrage d’insertion (MOI) qui permet d’obtenir le concours financier de l’État ou des délégataires des aides à la pierre pour la réalisation de programmes de logements accompagnés. L’École du terrain a également documenté le travail de l’Établissement Public Foncier Local du Pays Basque, outil au service des 158 communes de la Communauté d’agglomération du Pays basque, qu’il accompagne dans la mise en place d’une stratégie foncière (constitution de réserves foncières ou réalisation d’opérations d’aménagement). Récemment agréé organisme de foncier solidaire (OFS), l’EPFL Pays Basque peut réaliser des opérations en accession sociale à la propriété par l’intermédiaire du bail réel solidaire (BRS), qu’il mobilise avant tout en territoire rural détendu où il privilégie la réhabilitation du patrimoine existant. La possibilité qu’offre le BRS d’amortir la charge foncière sur un temps très long (jusqu’à 99 ans), fait inédit dans le logement social, permet à l’EPFL de proposer des logements à des coûts maîtrisés malgré un coût d’achat du foncier qui peut être très important. Les bailleurs sociaux ou les coopératives HLM constitués en OFS ont la possibilité de solliciter la Caisse des dépôts pour financer leurs acquisitions foncières et opérations de viabilisation dédiées à la réalisation de logements sociaux ou en accession sociale à la propriété (prêt Gaïa). Mais ces possibilités ne sont pas ouvertes aux SCIC.
Un accompagnement à l’auto-réhabilitation : ne pas déconnecter la tête de la main
Ne pas déconnecter la tête de la main. Plusieurs fois, cette idée est revenue comme l’un des fils rouges de l’Arban. Au fur et à mesure des années, des études urbaines et des opérations de l’Arban, l’association réalise que l’accompagnement à l’auto-réhabilitation (ARA) est, au même titre que l’agence d’urbanisme et la foncière solidaire, l’un des outils pour rendre habitables des logements inconfortables et/ou vacants. La SCIC en a donc fait un troisième pilier. Afin d’aider les propriétaires n’ayant pas les moyens de payer pour rénover des logements qui restent vacants, l’Arban créé un service en 2015, pour accompagner les particuliers et les collectivités locales dans leurs travaux de rénovation. Ce service se développe et monte en puissance avec l’ouverture, début 2025, des Ateliers de l’Arban. Doté d’une outilthèque et d’une matériauthèque au service des particuliers et des entreprises du bâtiment, l’Arban propose ainsi d’effectuer le diagnostic d’un bâti ancien, de réfléchir à la programmation du projet, au chiffrage des travaux et d’accompagner le chantier, utilisant quasi exclusivement des matériaux locaux et biosourcés. Pour cette activité, l’Arban a créé un établissement complémentaire logé dans un hangar agricole de 600m² transformé en local artisanal. Les Ateliers ont reçu de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) le label « Manufacture de proximité ». Les prestations de l’Arban en la matière sont très demandées et la SCIC est l’une des rares structures d’ARA dont les opérations sont subventionnées par l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
« C'est important pour nous que les personnes qui habitent les espaces puissent être capables de les travailler et se réapproprient les savoirs constructifs », explique Maria Liberatore. Après ses études d’architecture à Rome, et avoir travaillé à Paris et s’être formée aux matériaux vernaculaires et biosourcés auprès de CRAterre (Centre international de la construction en terre, Université de Grenoble), elle a trouvé à Faux-la-Montagne l’endroit adéquat pour entamer ce qu’elle nomme la « pratique rurale ». « On habite ici, on travaille ici, on ne va pas plus loin qu'une heure de route, on travaille pour des dynamiques dans lesquelles nous sommes nous-mêmes inscrits. Nous sommes les habitants et habitantes, on est là, on peut être la maîtrise d’œuvre, on comprend tous les enjeux, l’usage, puisque, de fait, on utilise ces endroits. » Son agence, Lichen, elle la voit un peu comme une permanence architecturale du territoire. Son logo s’accompagne d’ailleurs de la mention « architectes sur la montagne limousine ». « Nous essayons d’expérimenter, c’est-à-dire à la fois de vivre à l’endroit même où nous travaillons, d’éprouver les architectures en même temps que nous les fabriquons et aussi d’expérimenter le non-fini. Nous avons pas mal de clients, souvent en maîtrise d'ouvrage privée, qui n'ont pas assez d'argent pour finaliser leur projet ou qui ont envie de mettre la main à la pâte. Alors nous les accompagnons jusqu'à la phase de gros œuvre (terrassement, charpente, menuiserie extérieure). Nous réceptionnons un bâtiment qui est clos, couvert, où les choses les plus difficiles sont faites et après nous laissons au client la gestion du chantier pour les finitions, la plomberie, l’électricité. C’est intéressant de nous dire que nous n’avons pas la main sur l’entièreté de l'ouvrage et que c’est à celles et ceux qui habitent les espaces de s’en emparer. »
Au fil du temps, l’Arban est ainsi devenu un trépied : des prestations d’urbanisme, d’ingénierie et d’ARA qui financent le fonctionnement dédié à la réhabilitation de bâtis communs et à l’investissement dans de nouveaux biens immobiliers. Les ressources s’hybrident et le patrimoine désormais conséquent de la SCIC (dix biens immobiliers) en engendrent de lui-même. L’Arban n’est toutefois que faiblement bénéficiaire (et à peine à l’équilibre en 2023).
À l’horizon de son quinzième anniversaire, où va l’Arban ? Lors de sa dernière assemblée générale, au premier jour de l’été, à Uzerche dans l’Hôtel du Sénéchal récemment acquis, la SCIC a, par exemple, voté dans ses statuts la non rémunération de ses parts sociales, entérinant une situation de fait depuis sa création mais qui la rapproche désormais, noir sur blanc, de la définition de l’intérêt général, notamment aux yeux des investisseurs. Surtout, une question a commencé à surgir. En recherche de fonds, l’Arban est de plus en plus sollicité par des collectifs ou des collectivités hors de son territoire historique. Uzerche, par exemple, est à une bonne heure de route de Faux-la-Montagne et à trente kilomètres de la plus proche commune adhérente du Parc Naturel Régional du plateau de Millevaches. Or, Stéphane Grasser le dit : « L’Arban est pertinent parce qu’il est enraciné ». Étendre son territoire d’intervention ne risque-t-il pas de desserrer les liens denses patiemment maillés par tous les acteurs et actrices qui font l’Arban ? Ou la SCIC n’est-elle pas aujourd’hui assez solide pour se permettre, au contraire, d’essaimer pour se renforcer un peu plus loin ? Si, comme l’écrit le philosophe Gilles Deleuze, le tact est « cet art d’instaurer de justes distances entre les hommes, non pas hiérarchiques, mais géométriques, et n’être ni trop près ni trop loin, pour éviter de donner ou de recevoir des coups », comment l’Arban, initiative de terrain collective atteignant désormais une taille critique, va-t-il continuer d’opérer avec délicatesse sur le territoire et de lier entre eux sans hiérarchie les personnes et les lieux ? L’avenir le dira.
Cette étude porte sur la revitalisation du bourg du Donzeil et de ses abords, dans une
approche globale qui place les usagers au centre du projet.
Chaque sociétaire est à la fois associé de la coopérative et occupe une position particulière et propre par rapport à l'entreprise (salarié et associé / bénéficiaire de l'activité de la SCIC et associé, …). Le pacte des coopérateurs, en proposant une structuration du sociétariat à partir de quatre collèges adossés à des motivations singulières (investisseurs solidaires / bénéficiaires / professionnels de l'éco-construction / acteurs de la société civile), vient expliciter cette double qualité. Il invite donc chacun à se situer dans la SCIC, à manifester ses attentes et ses engagements ("qu'est-ce que j'apporte / qu'est-ce que j'en attends" ?). Document d'adhésion symbolique au projet de l'entreprise mais également document de clarification, il constitue la base à partir de laquelle pourra être évalué le travail de la coopérative.
L'Arban a élaboré un cadre de gouvernance qui comprend quatre collèges, selon les motivations des sociétaires, qui représente chacun un quart des voix. Le collège des investisseurs solidaires composé des personnes physiques ou morales soutenant le projet sans nécessairement s’investir dans la vie de la coopérative. Le collège des bénéficiaires composé des destinataires directs de l’intervention de l’Arban : avant tout les collectivités locales, mais aussi les futurEs occupantEs du parc immobilier de la SCIC. Le collège des professionnelLEs de l’éco-construction (salariées de l’Arban, architectes, paysagistes, entreprises du bâtiment…) intéresséEs par le travail de défrichement de l’Arban dans ce domaine. Enfin, le collège de la société civile, incarnant la dimension politique de la SCIC, composé des fondateurs fondatrices et des acteurs et actrices politiquement investiEs (associations et personnes physiques).
- Nicolas Beublet, « Sur le plateau de Millevaches, le combat de deux médias associatifs pour créer du lien social », Slate, 18 juillet 2024.
2. Nicolas Beublet, « Sur le plateau de Millevaches, le combat de deux médias associatifs pour créer du lien social », Slate, 18 juillet 2024.
3. Le groupement d’intérêt public Creuse Habitat ou Creusalis, l’office public de l’habitat de la Creuse, se concentrent principalement sur Guéret et sa banlieue. Ils interviennent peu sur le territoire du plateau de Millevaches, au motif qu’il s’agit d’une zone détendue.
4. Voir « Vitalité politique sur le plateau de Millevaches », entretien avec Lucie Berthier, De Fil En Réseaux, revue Mouvements, n°84, 2015.
5. Outil spécifique d’intervention de l’État pour accompagner les entreprises de l’économie sociale et solidaire, le DLA, piloté par le Ministère du Travail, puis à partir de 2018, celui de la Transition écologique et solidaire, permet aux associations employeuses, structures d’insertion par l’activité économique et autres entreprises d’utilité sociale de bénéficier d’accompagnements sur mesure afin de développer leurs activités, de les aider à se consolider et à créer ou pérenniser des emplois.
6. Un logement passerelle est construit en 2013 dans l’éco-quartier : une maison individuelle meublée et équipée sur un terrain d’environ 500 m2 avec une forte ambition environnementale (excellente isolation thermique, très bonne étanchéité à l’air, matériaux biosourcés (d’origine végétale), assainissement écologique, etc.). Le logement passerelle s’adresse à des porteurs de projet habitant hors Limousin et qui souhaitent s’installer sur le plateau de Millevaches ou alentour, quel que soit le stade d’avancement de leur projet. En leur offrant un hébergement temporaire sûr et dédié (garde-meuble), il leur permet de se concentrer sur le montage de leur projet d’installation. La durée d’hébergement peut varier de 3 mois à 2 ans maximum.
7. Jean-Luc Varin, « Grâce à l’éco-quartier rural, la commune de Faux-la-Montagne s’agrandit », février 2020. Sur le plan financier, l’opération sera équilibrée pour la commune, le coût de l’achat du terrain et de la viabilisation étant compensé par celui de la revente des lots. Et ceci, même si la mairie a dû supporter des frais supplémentaires liés à la création de retenues d’eau, car le terrain est en pente.
8. On pense alors à la sociologie de la traduction, proposée par Bruno Latour et Michel Callon. La « traduction » est alors une métaphore pour désigner la manière dont certains acteurs et actrices deviennent les « porte-paroles » d’autres acteurs et actrices qu’ils et elles cherchent à « mobiliser » afin de les associer au sein d’un réseau sociotechnique. La traduction est également cruciale dans la sociologie des conventions de Luc Boltanski et Laurent Thévenot. Le terme de convention s’entend ici comme « des cadres interprétatifs mis au point et utilisés par des acteurs afin de procéder à l’évaluation des situations d’action et à leur coordination ». Nous pourrions remplacer le terme « convention » par celui d’ « imaginaire » employé par Olivier Davigo. Réunissant des acteurs et actrices aux conventions si diverses, l’Arban a mis en place des dispositifs de traduction afin qu’ils et elles puissent travailler ensemble. Non pas nécessairement parvenir à un illusoire langage commun mais instaurer des dispositifs d’écoute et de dialogue.
9. La SCIC est également composée de trois commissions : une sur l’immobilier, qui ne comprend que des salariéEs, analyse les sollicitations reçues, les demandes des porteurs et porteuses de projet et formule une proposition de réponse. Une autre se charge de la communication et réfléchit, de manière plus intense depuis un an, à la refonte du site Internet et de la politique de communication de la SCIC. Une dernière, composée des administrateurs et administratrices s’occupe des ressources humaines.
10. L’Arban est membre du réseau Foncier Solidaire France (lien) qui promeut et soutient le développement d’un mode de production du logement durablement abordable.
11. Sans compter les résidences secondaires, qui représentent, selon Gérard Salviat, vice-président du Parc Naturel Régional de Millevaches et adjoint au maire de La Villedieu, la moitié des logements du territoire.
12. Stéphane Grasser continue ainsi le récit de l’achat par l’Arban de l’Hôtel du Sénéchal à Uzerche : « En 2023, la commune lance un appel à manifestation d’intérêt pour trouver un repreneur pour ce lieu, sans destination donnée. Sollicités par la Calade, nous présentons un dossier en dernière minute. La mairie avait reçu d’autres projets, notamment celui d’un investisseur privé qui souhaitait en faire un tiers-lieu mais sans trop de précision. Comment se passe le travail ? J’ai rencontré les élus avec les occupants du lieu. D’ordinaire, je les emmène sur d’autres de nos lieux. Nous avons été auditionnés par le conseil municipal et j’ai eu quelques échanges oraux avec le directeur général des services. Nous avons finalement été retenus. A Uzerche, nous avons été convaincus par le lieu et par les gens de la Calade. La Calade était locataire de la mairie avec une convention d’occupation précaire. Ils sont désormais nos locataires avec un bail civil, plus sécurisant, qui offre plus de visibilité mais qui est aussi plus cher. »
13. Faux-la-Montagne est à dix kilomètres de Tarnac. En 2008, dix personnes y sont arrêtées, accusées d’avoir saboté les caténaires d’une ligne TGV. Désignées par le gouvernement comme membres de « l’ultra-gauche, anarcho-autonome », l’affaire, confiée à un juge antiterroriste, se révèle un fiasco judiciaire. Tous les prévenus sont relaxés et l’audience conclue que le « groupe de Tarnac était une fiction ». Selon Olivier Davigo, cette affaire colore encore la vision, par beaucoup d’acteurs et d’actrices, du plateau de Millevaches, auquel l’Arban est par ricochet assimilé.
14. Un titre participatif n’est pas un prêt mais une créance, régie par un contrat entre l’émetteur et la Banque des territoires souscriptrice, donnant lieu à une rémunération variable en fonction de la performance de l’émetteur.
15. Pour financer l’Arban, la Banque des territoires avait également demandé que les trois activités de la SCIC, aux niveaux de risques différents, soient séparées. L’Arban a refusé au motif, explique Stéphane Grasser, que « la pluriactivité est bénéfique sur un territoire avec une économie faible et fragile et permet d’absorber les chocs. »